lundi 23 avril 2007

Ségolène a-t-elle déjà perdu?

Nous ne pouvons qu'applaudir la performance de Ségolène. Sa qualification pour le second tour n'était pas évidente, compte tenu de son incompétence manifeste, de la pauvreté de son programme et du caractère calamiteux de sa campagne.
Un bon score donc...mais le second tour commence mal. Ségolène a sorti un grand discours hier soir...un grand discours façon "balais dans le c....". Crispée, stressée, peut-être par les 31% de Sarkozy.

Cela ne devrait pas s'arranger avec le ralliement d'Eric Besson à son adversaire de droite. Besson a d'ailleurs déclaré :

"Dès l'automne 2006, il était déjà limpide pour beaucoup d'entre nous que si la confrontation portait sur (...) les idées et sur la capacité à gouverner, alors Ségolène Royal n'avait guère de chance de l'emporter face à Nicolas Sarkozy". "Il fallait donc, pour espérer le battre, le diaboliser, le caricaturer en espérant parvenir à ce qu'il fasse peur.

"Dans cette entreprise, j'ai pris ma part, trop largement ma part, et je suis reconnaissant à Nicolas d'avoir bien voulu, parce que nous nous connaissions, mettre cela sur le compte du combat partisan", a-t-il poursuivi.

Quand on vous disait qu'elle était nulle...

Si même ses anciens amis lui tournent le dos, ce n'est pas les faibles voix de la gauche qui lui permettront de battre Sarkozy. Quant à Bayrou, son intérêt est que Sarkozy gagne, que le PS soit détruit et qu'il devienne la seule opposition, gage d'une victoire possible dans 5 ans.... Allez essaye encore Sego.....

13 commentaires:

Anonyme a dit…

MAÎTRE ROCARD SUR UN ARBRE PERCHE TENAIT EN SON BEC UN CANULAR

MAÎTRE BAYROU PAR L'ODEUR ALLECHE SUBIT A PEU PRES ...LE SORT DE GEORGES MARCHAIS !

Michel Rocard a été à bonne école avec son mentor d'alors , François Mitterrand.
Avant d' être à son tour la victime Elyséenne , Rocard n'a cependant rien perdu de l'assassinat politique que perpétra Mitterrand à l'encontre de Georges Marchais à l'époque de la fameuse alliance PS-PC .

Un assassinat politique qui intervint suite à l'allégeance faite à Mitterrand par Georges Marchais ébloui par les promesses socialistes qui lui étaient faites , et dont le PC ne s'est depuis jamais remis , jusqu'à ce jour encore . ( résultats de Marie George Buffet : 1,97 % ! )

C'est le même scénario que tente de réaliser Michel Rocard aujourd'hui , relayé dans la foulée par Ségolène Royal pas assez finaude pour avoir eu cette idée la première , à l'encontre de monsieur Bayrou .

N'en déplaise à Jean De La Fontaine , cette fois ci c'est le corbeau qui engloutira seul le camembert , et le renard Bayrou qui sera plumé .

Dépouillé de ses voix centristes , qui plus est n'iront pas à Ségolène dans le secret des isoloirs quelques miettes mises à part , Bayrou verra passer au loin monsieur De Robien se diriger vers une nouvelle crêmerie , à la bien meilleure réputation .

Georges Marchais-François Bayrou ...c'est un peu l'histoire qui recommence .

Le renard Bayrou jura mais un peu tard...qu'on ne l'y reprendrait plus !

Anonyme a dit…

Bon c'est maintenant un peu plus clair, mais faites quand même un effort.
Ce site de l'UMP va-t-il enfin changer de nom afin qu'il reflète ce qu'il est vraiment ?

C'est à dire un site de lâches et de dégonflès, prêt à toutes les bassesses et à toutes les manipulations, comme Sarkozy qui ne travaille que pour les intérêts des grands groupes et des nantis.

Il suffit de regarder le programme économique de Sarkozy:
Baisse du bouclier fiscal pour les revenus de plus de 3M€ (Forgeard peut lui dire merci),
Baisse de 50000€ de l'ISF à partir de 6M€ de patrimoine (Forgeard repasse à la caisse).
Fin des droits de succession (comme ça les héritiers de Forgeard peuvent arréter de travailler)

Sarkozy qui a absorbé (et donc qui est devenu) l'extrème droite, tente un nouveau grand écart en absorbant un transfuge de gauche (qui l'avait précedemment trainé dans la boue; un camelot peut dire et vendre n'importe quoi) au risque de s'en faire éclater le fondement.

Ca ne l'empèchera pas de renforcer les pouvoirs présidentiels si il est élu, afin de bloquer tout risque de cohabitation et de faire de la France le nouvel empire de Bokassa 2. (pardon Bocsa)

Anonyme a dit…

Pour l'édification des foules voici un écrit relativement récent et très intéressant de Monsieur Besson:


L’inquiétante rupture tranquille de Monsieur Sarkozy

La France est elle prête à voter en 2007 pour un néo-conservateur américain à passeport français ?
Les partisans du candidat de l’UMP jugeront la question provocatrice et y verront, à l’approche, de l’élection présidentielle, une caricature injuste, exacerbée par l’approche de l’élection présidentielle.
Alors, convenons-en d’emblée. Nicolas Sarkozy sera, pour la gauche, un adversaire redoutable même si son palmarès électoral est bien moins riche qu’on ne l’imagine.
L’homme ne manque ni d’idées, ni de force de conviction, ni de capacité de séduction. Son énergie, son culot, son aplomb, son ambition, sa soif inextinguible de reconnaissance sociale et de pouvoir, sa résistance à l’adversité
sont légendaires.
Son supposé « parler vrai » (parfois son parler crû mais lorsque Sarkozy est grossier, il dit parler comme les Français), son sens de la formule, son
insolence étonnamment juvénile en font un « bon client » pour les média audiovisuels.
Avec Nicolas Sarkozy, ils capteront toujours un mot, une image, un clin d’oeil, une provocation pour le sacro-saint « 20 heures ».
Orfèvre en communication(1) méthodique et parfois impudique, l’homme a, de plus, su draper son implacable et froide quête du pouvoir dans une toge

ÉRIC BESSON

Introduction
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glamour (Nicolas-la-star-amie-des-stars y compris de celles dont l’exemplarité est discutable) sans laquelle il ne saurait – nous dit-on – y avoir de « saga politique » digne de ce nom.
Ce « sarko-show » est une arme de dissimulation massive, car celui qui ne cesse de prétendre vouloir « être jugé sur ses résultats » n’a pas son pareil pour masquer les piètres bilans de son action. Ceux d’un médiocre ministre
de l’économie et des finances ou ceux d’un ministre de l’Intérieur survolté mais peu efficace : les violences faites aux personnes n’auront cessé d’augmenter en dépit de ses communiqués triomphants.
Mais l’échec n’atteint que rarement notre héros. Le plus souvent parce qu’il le noie dans le mouvement perpétuel : chaque fois qu’il se trouve en difficulté
ou se voit obligé de se justifier de son action, le candidat de l’UMP se saisit d’un fait divers pour enfiler la combinaison qu’un Le Pen laisse parfois au vestiaire de « celui qui dit tout haut ce que les Français pensent tout
bas ». Un jugement à l’emporte-pièce, une provocation suivie d’une polémique,
le tout conclu par un sondage qui démontrerait que Sarkozy a les
élites contre lui mais le peuple avec lui et le tour est généralement joué.
En cas de nécessité, si provocation et écran de fumée ne suffisent pas, Nicolas
Sarkozy actionne le parachute de secours, celui de la défausse. Car celui qui se décrit comme un pieux catholique n’aime rien tant que battre sa coulpe sur la poitrine des autres : il n’est, par essence, jamais responsable. Ses
erreurs, ses échecs ? C’est toujours la faute des autres. Non à Voltaire, rarement
cité, mais à Chirac, à Raffarin, à Villepin etc, cibles sarkozyennes dont on se gardera cependant ici de prendre la défense véhémente. Ou en dernier ressort la faute aux juges. Glissements progressifs du volontarisme du Ministre de l’Intérieur. En 2002, il suffisait de lui donner les rênes de la police et de le laisser libre de mettre en oeuvre une répression salutaire pour que l’insécurité soit enrayée. En 2006, le Ministre de l’Intérieur confesse son impuissance
: son action remarquable est entravée par le laxisme des juges. Une seule conclusion s’impose : la vraie vie, celle de Nicolas Sarkozy bien sûr, mais aussi celle de la France, ne commencera qu’après son accession à
l’Elysée. Ce document a le grand défaut de s’intéresser encore à la « France
d’avant », celle où Nicolas Sarkozy peut encore être jugé sur ses actes et
sur ses intentions déclarées, alors que lui ne se consacre plus qu’à la « France
d’après », celle d’après le sacre selon lui annoncé.
Concurrent redoutable, donc, mais aussi respectable, citant ses sources
d’inspiration, assumant jusqu’à l’automne 2006 tout à la fois son ambition
L’inquiétante « rupture tranquille » de Monsieur Sarkozy
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et sa volonté de « rupture » avec un modèle français supposé exsangue, qu’il
n’a cessé de caricaturer pour mieux le vilipender.
Le fait qu’au moment d’entrer en campagne électorale, lucide quant aux craintes
que son tempérament et son improbable oxymore de « rupture tranquille »
fait naître, Monsieur Sarkozy ait choisi de brouiller les pistes et de s’adresser
à la « France qui souffre » ne doit pas faire illusion. L’infléchissement des
discours indique seulement qu’après avoir été, avec l’appui (qui l’eût dit !) de
François Fillon le fossoyeur du gaullisme social, le candidat de l’UMP s’est
attaché provisoirement la plume – au demeurant talentueuse – d’un Henri
Guaino que l’on avait déjà connu ardent dénonciateur de la « fracture sociale »
en 1995. Le vernis ne tiendra pas. Car l’homme qui se dit pragmatique est
d’abord un idéologue.
Respecter Nicolas Sarkozy, c’est se frotter à ses mots, à ses concepts, à leurs
racines. L’homme n’est avare ni de discours, ni d’écrits. L’explorateur devra
d’abord débroussailler l’accessoire : une littérature abondante consacrée au
culte de soi, caractéristique d’un ego largement plus dilaté que la moyenne
déjà élevée de ceux des hommes politiques ; il ne se laissera pas davantage
abuser par ses revirements tactiques : le « pragmatisme sarkozyen » se nourrit
de revirements spectaculaires comme en témoigne son reniement dans le
dossier de la fusion Suez-GDF : après avoir s’être très solennellement engagé
à ce que l’état ne privatise jamais GDF, le prétendant de la droite à l’Elysée
n’aura pas attendu deux ans pour se révéler parjure !
Il nous faudra donc prendre Nicolas Sarkozy aux mots, aux idées, sans jamais
nous livrer à des attaques personnelles – ce document n’en contient pas – et
nous écartant des caricatures réductrices : « Sarko-facho » est un slogan à
la fois stupide et contre-productif, car s’il est un danger pour une certaine
conception de la République française laïque et sociale, Sarkozy n’est pas
un danger pour la démocratie française en dépit d’une relation aussi « amicale
» qu’intéressée et exigeante avec les propriétaires des grands médias
français et d’une conception très particulière de la fonction ministérielle : Sarkozy
n’a-t-il pas justifié auprès de ses proches au printemps 2004 son retour au
Ministère de l’Intérieur par souci de se protéger des attaques… de sa propre
famille politique en vue de sa future campagne présidentielle ?
Disons le clairement : le procès objectif que l’on peut instruire contre l’idéologue
engagé en politique qu’est Nicolas Sarkozy est suffisamment lourd et
digne de débats passionnés pour qu’il ne soit besoin de l’affubler – et l’affaiblir
– de fantasmes ou de procès d’intention.
Introduction
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Ce que cet ouvrage cherche à démontrer est que non seulement, ne lui en
déplaise, Nicolas Sarkozy est bien « libéral, atlantiste et communautariste »
mais qu’il est devenu une sorte de filiale française de la Bush Cie, un néoconservateur
américain à passeport français.
Libéral, il l’est assurément depuis toujours et profondément. Mais contrairement
à la légende qu’il entretient le candidat ne l’assume pas franchement
et préfère se retrancher derrière des mythes.
Plutôt que de dire explicitement qu’il souhaite revenir sur la durée légale
du travail et remettre en cause le droit du travail, Nicolas Sarkozy préférera
affirmer qu’il souhaite, par exemple, que « celui qui veut travailler plus
et gagner plus puisse le faire ». Ce qui, pris au pied de la lettre signifie que
ce ne serait plus le chef d’entreprise mais le salarié qui fixerait son temps
de travail ou que tout salarié à temps partiel serait en droit d’exiger de travailler
à plein temps ! Sarkozy-le-libéral sait que la France ne l’est pas. Ou
plus exactement il a tiré de l’expérience de la campagne présidentielle de
Balladur en 1995 la conviction que le libéralisme pur ne pourrait jamais
concerner plus d’une dizaine de pourcents d’électeurs.
Le libéralisme de Sarkozy s’est donc mué en libéralisme « populaire ». À
Georges W. Bush, Nicolas Sarkozy ne s’est pas contenté d’emprunter les
slogans ou la mise en scène (ah, cette intronisation du président de l’UMP
avec un décor calqué sur celui de la campagne de Bush…). Il lui a pris la
méthode : « parler des problèmes des gens », à défaut d’avoir la moindre
idée de la façon de les résoudre. Se servir des mots pour prétendre panser
les maux. Décrire ce que l’on est incapable de guérir. Diagnostic claironné
…, inefficacité à moitié pardonnée. Ainsi, en 2003, l’éphémère
Ministre de l’Économie et des Finances se targue t-il de prendre en charge
la « menace des délocalisations » et de répondre à l’angoisse -réelle- des
Français. Un plan de « relocalisations » est annoncé en grande pompe, il
n’aura aucun effet, l’emploi industriel restera le grand perdant de la législature
mais peu lui chaut : Nicolas Sarkozy estime qu’il a « préempté le
débat » et que les Français savent désormais qu’avec lui les délocalisations
trouveront à qui parler…
À « W », le très libéral Nicolas Sarkozy aura aussi emprunté l’obsession
de la fin de l’impôt progressif. L’emballage paraît toujours frappé au coin
du bon sens : « éviter la fuite des capitaux » pour démanteler l’impôt de
solidarité sur la fortune dont la suppression est pourtant étrangement absente
du programme de l’UMP, « permettre à ceux qui travaillent d’en tirer les
L’inquiétante « rupture tranquille » de Monsieur Sarkozy
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fruits » pour porter une réduction de l’impôt sur le revenu qui n’aura pleinement
profité qu’aux 10 % des Français les plus aisés, accéder au voeu
des Français de « transmettre leur patrimoine à leurs enfants à la fin d’une
vie de labeur » pour mettre en oeuvre la réforme de la taxation des donations
et successions la plus inégalitaire jamais conçue !
Le libéralisme de Nicolas Sarkozy n’est ni la facette la plus originale – tous
les libéraux du monde tiennent son discours – ni la plus inquiétante : on
plaidera volontiers qu’une démocratie moderne a besoin de deux pôles,
libéral-conservateur d’un côté, réformiste-progressiste de l’autre et que
Nicolas Sarkozy, en dépit de ses faux-semblants partiels a le mérite de
redessiner une ligne de clivage claire entre la droite et la gauche sur le plan
économique et social.
Son atlantisme forcené, sa très grande complaisance pour ne pas dire sa
fascination à l’égard de la politique extérieure de Georges Bush sont autrement
plus graves.
N’acceptons pas l’écran de fumée que dresse « Sarkozy l’américain », formule
qu’il revendique et dont il s’est dit « fier » lors de deux voyages aux
états-Unis, en 2004 et en 2006.
Sarkozy se veut « l’ami des américains ». Pourquoi pas ? Qui se voudrait
« l’ennemi des américains » ? Qui n’éprouve de la reconnaissance pour
l’engagement qui fut le leur pour nous délivrer du joug nazi ? Qui refuse de
lutter contre le terrorisme ? Qui n’est pas orphelin des Twin Towers ? Qui
échappe à la dialectique attirance-rejet que suscite en chacun de nous un
« American way of life » dont nous avons appris à connaître la grandeur
autant que les servitudes ?
Mais ce qui pose problème, et qui doit faire débat en cette année 2007,
c’est l’allégeance aveugle à une politique dite de lutte contre le terrorisme
absurde et inefficace dont la guerre en Irak est la plus sanglante
illustration.
On verra plus loin que dès 2004 les silences de Sarkozy sur l’intervention
américaine en Irak autant que ses déclarations d’amour aussi naïves que
déplacées envers « la musique et les films américains » avaient semé de
trouble.
Mais ce n’était rien au regard de l’extravagant voyage du Ministre de
l’Intérieur en septembre 2006. Le spectacle d’un candidat à la présidenIntroduction
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tielle supposé issu de la famille gaulliste quémander un rendez-vous dans
un bureau attenant à celui du Président des États-Unis, dans l’espoir finalement
exaucé, de rencontrer quelques minutes le grand homme, lui arracher
une photo immortalisant l’instant et l’exhiber comme un trophée est un
spectacle pénible pour tout Français nourri au lait de la « grandeur de la
France » et de son « message universel ». Mais entendre un candidat majeur
à la Présidence de la République critiquer aux États-Unis la politique étrangère
– en l’espèce justifiée- et « l’arrogance » de son pays est proprement
insupportable.
Tous les journalistes américains ont alors souligné la tonalité étonnamment
farouchement « pro-américaine » et « pro-Bush » des propos de Monsieur
Sarkozy, certains faisant remarquer non sans malice que le Ministre de
l’Intérieur français s’était révélé plus ardent défenseur de la politique de
Bush que beaucoup de parlementaires républicains eux-mêmes, troublés
par les échecs à répétition des initiatives de leur dirigeant sur la scène extérieure,
échecs qu’après une sévère défaite électorale Bush lui-même devra
reconnaître fin 2006.
Dans une dépêche du 13 septembre 2006, l’AFP rapporte que selon un
expert de la Brookings Institution cité par le Washington Post, « Sarkozy a
eu le genre de rhétorique que l’on aurait attendu d’un responsable de l’administration
Bush » !
Quant au Canard Enchaîné du 20 septembre 2006, il prête à Jacques Chirac
– exceptionnellement cité ici – les propos suivants « Sarkozy a multiplié
les maladresses aux États-Unis. Il s’est totalement aligné sur la politique
américaine et sur Bush ( …) Bien loin du gaullisme et même des grandes
traditions politiques et diplomatiques françaises ».
Libéral, atlantiste… et, toujours plus grave, communautariste.
C’est une évidence. Nicolas Sarkozy ne croit pas au « modèle républicain »
d’intégration. De ses lacunes ou de ses échecs –malheureusement incontestables
– il veut profiter pour non pas réformer ce « modèle », pour le rendre
plus efficace, mais pour le démanteler. On verra plus loin, citations
précises à l’appui, en dépit de ses dénégations récentes que le modèle
que le patron de l’UMP a en tête est communautariste et confessionnel.
De ce point de vue le bilan du « ministre en charge des cultes » est lourd
de menaces pour l’avenir : non content de mettre à mal la loi de 1905 et les
fondements de la « laïcité à la française », Nicolas Sarkozy aura pactisé
L’inquiétante « rupture tranquille » de Monsieur Sarkozy
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avec les islamistes de l’UOIF, favorisé l’ascension médiatique de Tarik Ramadan,
fait preuve d’une étrange bienveillance à l’égard des sectes allant jusqu’à
recevoir en grande pompe l’un des prosélytes le plus célèbre de l’église de
Scientologie, l’acteur Tom Cruise.
Coupables écarts ! Erreurs isolées ? Non. Nicolas Sarkozy ne se contente
pas de se livrer à un cynique marketing confessionnel à visée électorale.
Comme Georges Bush, son action est théorisée : il compte sur les religions,
toutes les religions y compris « fondamentalistes » et souvent « intégristes
» pour réguler la vie en société, encadrer les jeunes et ramener
l’ordre dans les quartiers.
On verra donc, tout au long des chapitres qui suivent où est la vraie source
d’inspiration du candidat Sarkozy.
Elle n’est pas, ce serait respectable, authentiquement libérale (le libéralisme
de Sarkozy empreinte à Hayek ou Friedman, pas à Tocqueville ou
Aron). Elle enterre le gaullisme autant que l’héritage laïque et républicain.
La vraie Bible de Nicolas Sarkozy réside dans la pensée néo-conservatrice
américaine.
Son vrai modèle ? Georges W Bush.
Plusieurs journalistes français ayant accompagné le Ministre de l’Intérieur
aux Etats-Unis en septembre 2006, ont raconté l’anecdote suivante. On
demande à Nicolas Sarkozy en quoi il se différencie de Georges Bush. La
réponse fuse, mélange d’humour à l’américaine, de fausse modestie et de
provocation : « il a été élu deux fois Président. Moi pas ».
Il s’agit certes, d’une boutade. Révélatrice, cependant. Spontanément, Nicolas
Sarkozy ne voit rien qui le distingue de Georges Bush. Sauf que l’un a gagné
deux fois une élection présidentielle. Et l’autre pas. Pas encore ? Nous
voilà prévenus…
Éric Besson
(1) Dans leur remarquable « Les habits neufs de la froite française », Alain Bergounioux et Caroline Werkoff-Leloup (Fondation Jean Jaurès
2006) notent à juste titre que cette communication permanente est aussi « une communication sous tension qui cultive le conflit ».
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Beaucoup n’ont retenu de l’ouvrage de Nicolas Sarkozy consacré à la question
religieuse, « La république, les religions, l’espérance», que sa suggestion
de modifier la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des
églises et de l’État. Peu nombreux sont ceux qui ont observé que son ambition
réelle est bien plus vaste et qu’elle consiste à faire des religions le nouvel
outil de régulation de nos sociétés. Exagération de notre part ?
Absolument pas ! Il suffit de le lire : « Je suis convaincu que l’esprit religieux
et la pratique religieuse peuvent contribuer à apaiser et à réguler une
société de liberté ». Et d’ajouter, pour être certain d’être bien compris, qu’« on
aurait tort de cantonner le rôle de l’église aux seuls aspects spirituels »(1).
Il puise en fait directement son inspiration des états-Unis. On dit souvent
que l’État y est laïque mais que la société y est religieuse. Les Américains,
très attachés à leur liberté individuelle, ont toujours préféré en appeler à
la charité chrétienne plutôt que d’accorder trop de pouvoirs à l’état. Ainsi
les racines profondément religieuses de l’Amérique associées à son individualisme
directement hérité de la conquête de l’Ouest ont permis de limiter
le poids de l’État dans la société américaine. On comprend mieux alors
la fascination de Nicolas Sarkozy pour le modèle américain : substituer à
la solidarité nationale de nouvelles solidarités, essentiellement communautaires,
est le moyen de réduire le poids de l’état et de la sécurité sociale
dans l’économie française.
Le président de l’UMP plaide donc pour une transformation radicale des
relations entre les églises et l’état et un retour en force des religions dans
1
Nicolas Sarkozy
L’apologiste du modèle communautariste religieux
PIERRE BAYARD
L’inquiétante « rupture tranquille » de Monsieur Sarkozy
12
les affaires publiques. On l’a vu proposer de construire des lieux de culte
pour résoudre les problèmes des banlieues ! Mais pourquoi alors ne pas
déléguer aux prêtres, aux imams et aux pasteurs un rôle de maintien de la
concorde dans les quartiers ? Et pourquoi alors s’arrêter aux seuls problèmes
des banlieues ? Les religions peuvent légitimer un retour à l’ordre moral
dans les domaines de la santé publique et de l’éthique ou se substituer progressivement
à notre état Providence.
Cette relégitimation du rôle politique et social des églises prônée par
Nicolas Sarkozy n’est pas sans danger.
Elle s’est tout d’abord traduite par l’intronisation de l’UOIF – une organisation
musulmane intégriste et minoritaire – comme représentant officiel de
l’Islam de France. Nicolas Sarkozy se revendique comme l’ami exigeant
des musulmans, il est en fait devenu l’avocat de l’UOIF.
Cette politique de relégitimation fragilise ensuite l’autonomie des cultes
car en accordant des droits et des obligations aux religions, Nicolas Sarkozy
propose en fait de renouer avec le régime bonapartiste du concordat de
1801 qui avait organisé un régime de cultes reconnus par l’État. Revenir
sur la laïcité, c’est en effet amener l’État à faire le tri dans les philosophies,
les croyances et les opinions !
Cette politique organise enfin, et de fait, la promotion des mouvements
sectaires et des intégristes. En effet, en octroyant un statut aux religions,
Nicolas Sarkozy pose inévitablement la question de la définition de la religion.
Quelles sont les religions qui pourront prétendre à ce statut ? Que
faire avec les mouvements fondamentalistes et avec les sectes qui revendiquent
le statut de religion ? On sait que les témoins de Jéhova ont d’ores
et déjà obtenu des tribunaux français le statut de religion. à qui le tour sous
l’empire des idées sarkozystes ? L’église de la scientologie, les Raëliens,
ou encore l’Ordre du Temple Solaire ?
Attardons nous donc, tout au long de ce chapitre, à disséquer les idées du
président de l’UMP, véritable apologiste du communautarisme religieux.
Cet exercice est aujourd’hui d’autant plus utile que, fidèle à sa nouvelle
stratégie de « la rupture tranquille », le président de l’UMP veut rassurer
et atténuer les craintes et les peurs que son discours a fait naître parmi les
Français. Il se fait donc aujourd’hui le chantre de notre République laïque
et le premier rempart contre le communautarisme : il dénonce à Périgueux,
le 12 octobre dernier, « la République (qui) s’abîme dans le communautaNicolas
Sarkozy ou l’apologiste du modèle communautariste religieux
13
risme » et en appelle à cette France qui « ne veut pas de la confusion entre
le spirituel et le temporel ». Mais cette nouvelle posture ne doit pas nous
induire en erreur, elle n’est que le camouflage d’un projet de société directement
importé des états-Unis et tendant à réguler la société par les religions.
Un projet qui inquiète, à juste titre, et qu’il lui faut donc désormais,
le temps de la campagne électorale, mettre en sourdine. Mais un projet
qu’il est facile de débusquer car Nicolas Sarkozy y avait consacré une bonne
part de son énergie et de ses discours au cours des dernières années.
SON PROJET : RÉGULER LA SOCIÉTÉ PAR LES RELIGIONS
Le modèle européen comporte une spécificité bien souvent tue, quoique
déjà mise en évidence, dès le début du 20ème siècle, par le sociologue allemand,
Max Weber. C’est celle d’un désenchantement progressif du monde,
c’est-à-dire de sa laïcisation au fur et à mesure qu’il avance dans la modernité.
Les États-nations européens se sont émancipés de l’autorité pontificale
– c’est toute l’histoire du gallicanisme en France, de l’anglicanisme
en Grande Bretagne ou du Kulturkampf en Allemagne – et les peuples européens
éloignés des croyances religieuses.
Ce phénomène s’est traduit en France de deux manières. Tout d’abord, par
le choix de la laïcité, l’État n’exerçant aucun pouvoir religieux et les églises
aucun pouvoir politique. Ensuite par le recul des pratiques et des croyances
religieuses. Les sans religion représentent ainsi 27 % de la population française
de plus de 18 ans. Parmi les catholiques, ils ne sont que 12,8% à être
pratiquants, c’est-à-dire à fréquenter la messe au moins une fois par mois ;
24,6 % sont des pratiquants occasionnels et 62,6 % ne sont pas pratiquants(2).
Ce phénomène de recul des pratiques religieuses ne concerne pas seulement
la religion catholique. Pour les musulmans, les proportions sont les
mêmes selon une enquête réalisée par Sylvain Brouard et Vincent Tiberj(3) :
21 % de pratiquants réguliers contre 79 % de non pratiquants ou de pratiquants
épisodiques. Ces données corroborent des enquêtes antérieures et
notamment celle réalisée par Ipsos pour le Figaro en avril 2003 et selon laquelle
44 % des musulmans n’étaient pas pratiquants. Par conséquent, le rapport
à l’Islam semble, en France, peu différent du rapport au catholicisme.
C’est pourquoi, les débats sur la laïcité avaient quitté le devant de la scène
depuis de nombreuses années. Seule la grande tourmente du débat sur
l’école privée les avait temporairement ravivés en 1984. Ils connaissent
toutefois depuis quelques années un regain de vigueur avec les interrogations
sur la place de l’islam en France et les controverses sur les sectes et
L’inquiétante « rupture tranquille » de Monsieur Sarkozy
14
les religions émergentes. Et, comme à son habitude, Nicolas Sarkozy y
participe avec vigueur, tout à son souci d’apparaître porteur d’un nouveau
message. Et quel message ! Il s’agit ni plus ni moins que de promouvoir en
France un nouveau modèle de régulation des problèmes sociaux par les
religions dans la plus pure tradition des états-Unis, récemment ravivée par
les évangélistes néo-conservateurs américains. Ce projet est porteur de
très lourds dangers : il implique d’en finir avec notre tradition de séparation
des églises et de l’état, il conduit inévitablement à renforcer les sectes
qui revendiquent le statut de religion et s’accompagne d’ores et déjà
d’un accroissement de l’influence des intégristes musulmans de l’UOIF.
Rarement, dans notre République « indivisible, laïque, démocratique et
sociale » selon l’article 3 de notre Constitution, un ministre de l’intérieur et
des cultes se sera autant intéressé aux affaires religieuses.
Une stratégie de marketing politico-religieuse
On pourrait croire que, tout à son ambition de présidentiable et fidèle à sa
réputation d’attrape tout, Nicolas Sarkozy conduit une classique opération
de marketing électoral. Et qu’il importe des États-Unis une stratégie de
marketing communautariste et religieux.
Aucune communauté religieuse n’est en effet oubliée.
La communauté juive fait l’objet de toutes ses attentions – ce qui est bien
normal quand elle est frappée dans sa chair à l’occasion d’attentats touchant
ses écoles et ses synagogues – mais Nicolas Sarkozy n’hésite pas à
en manipuler les souffrances à des fins partisanes : le mercredi 28 avril
2004, il indique à l’Assemblée nationale qu’« après cinq années du gouvernement
de M. Jospin, on était arrivé à faire croire aux États-Unis que la
France était un pays antisémite ! ». Peut-être eût-il fallu effectivement un
geste politique plus fort de la part de Lionel Jospin dont chacun connaît les
convictions profondes sur ce sujet pour dénoncer les agressions répétées
dont les juifs de France étaient victimes mais quelle ignominie de la part de
Nicolas Sarkozy que de laisser entendre que le gouvernement Jospin aurait
eu une quelconque complaisance à l’égard de l’antisémitisme. Cet homme
est prêt à tout pour séduire chacune des communautés religieuses de France.
Il entreprend à l’égard de la communauté musulmane une intense campagne
de séduction : il participe au congrès de l’UOIF en 2003 et 2005, refuse
d’apporter sa caution à la loi sur l’interdiction du port du voile dans les établissements
scolaires, valorise plus qu’il n’affaiblit Tarik Ramadan lors de
Nicolas Sarkozy ou l’apologiste du modèle communautariste religieux
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l’entretien qu’il lui accorde en novembre 2003, propose de modifier la loi
de 1905 pour autoriser le financement des mosquées par les pouvoirs publics.
Un présidentiable ne saurait se désintéresser des 5 millions de musulmans…
Enfin, il n’oublie pas la communauté catholique qu’il rassure en rappelant dans
son ouvrage « la République, les religions, l’espérance » qu’il est « de culture
catholique, de tradition catholique, de confession catholique ». Encore un
peu et notre République aura non plus un ministre des cultes qui parle à ses
concitoyens mais un catholique qui s’adresse à des musulmans et des juifs.
Seule la communauté protestante est oubliée, probablement parce qu’il la
considère comme acquise historiquement à la gauche…
Bref, quand on écoute Nicolas Sarkozy, on croirait entendre Georges
W. Bush l’évangéliste s’adressant aux hispaniques de tradition catholique
lors de la dernière campagne électorale américaine…
Un projet de société d’inspiration américaine
Mais ce serait se méprendre sur les intentions réelles de Nicolas Sarkozy
que de croire qu’il se contente de mener une simple opération de marketing
électoral. Son ambition est bien plus vaste, il cherche un nouveau mode
de régulation de la société et croit l’avoir trouvé dans les religions.
Là encore, il puise son inspiration aux États-Unis. Le peuple américain est
le peuple le plus profondément religieux de tous les pays industriels avancés
du monde : 98 % des américains croient en Dieu, 61 % assistent à un
office religieux au moins une fois par mois et près de la moitié (45 %) au
moins une fois par semaine. Leur interprétation littérale des écritures est
encore plus surprenante : 68 % de la population américaine croit au diable,
plus du tiers des Américains prend la Bible au pied de la lettre. 93 %
d’entre eux ont une Bible chez eux. 40 % des Américains croient que le
monde s’achèvera par la bataille ultime entre Jésus et l’Antéchrist.
Aujourd’hui, la religion évangélique ne cesse de s’étendre aux États-Unis.
À partir d’une théologie chrétienne assez vague, elle se fonde sur la conversion
personnelle, voire la reconversion permettant aux fidèles de renaître.
On sait que Bush est l’un de ces « born again ».
Les racines profondément religieuses de l’Amérique associées à son individualisme
directement hérité de la conquête de l’Ouest expliquent la prolifération
d’organisations issues de la société civile. Les Américains
consacrent en effet énormément de temps au service de leurs communauL’inquiétante
« rupture tranquille » de Monsieur Sarkozy
16
tés à travers les associations d’étudiants, les clubs de jeunes, les associations
de quartiers et du citoyen, les clubs artistiques pédagogiques, les
activités sportives et récréatives. Ayant toujours renâclé à accorder trop
de pouvoirs à l’État en raison de leur conception de la liberté individuelle,
ils préfèrent donc maintenir des impôts à un niveau relativement faible,
limiter l’intervention du gouvernement dans la collectivité et en appeler à
la charité chrétienne et individuelle.
On comprend mieux alors la fascination de Nicolas Sarkozy pour le modèle
américain. En Europe, et en France en particulier, la société civile est beaucoup
plus laïque d’esprit, beaucoup moins liée à la notion chrétienne de
charité individuelle et beaucoup plus proche de l’idée socialiste de responsabilité
collective à l’égard du bien-être de tous. Raviver les sentiments
communautaires et la religiosité dans un contexte de progression de l’individualisme
permettrait de substituer à la solidarité nationale des solidarités
communautaires et ainsi de réduire le poids de l’État et de la sécurité
sociale dans l’économie.
Le retour des religions dans la vie publique française
C’est sous cet éclairage que les lignes écrites par Nicolas Sarkozy dans
son ouvrage « la République, les religions, l’espérance » prennent toute
leur signification. « Je suis convaincu que l’esprit religieux et la pratique
religieuse peuvent contribuer à apaiser et à réguler une société de liberté »(4).
« Maintenant que les lieux de culte officiels et publics sont si absents de
nos banlieues, on mesure combien cet apport spirituel a pu être un facteur
d’apaisement et quel vide il crée quand il disparaît »(5). Et pour ceux qui
n’auraient pas encore compris, il ajoute encore « Au bout du compte, l’espérance
dans un au-delà meilleur est un facteur d’apaisement et de consolation
pour la vie aujourd’hui »(6).
Les religions comme solution aux problèmes des banlieues
La conséquence de cet appel à la résurrection des religions est évidente :
« On aurait tort de cantonner le rôle de l’église aux seuls aspects spirituels
»(7). Comme aux États-Unis, il faut en appeler aux religions pour régler
nos problèmes. Ceux de la Corse par exemple(8) mais plus encore ceux de
nos banlieues. « Quel est le problème de nos banlieues ? C’est qu’elles se
sentent abandonnées, y compris par l’État »(9). Fort de ce constat, Nicolas
Sarkozy préconise-t-il un retour de l’état dans ces quartiers ? Pas du tout !
« Les cadres de l’église en France pourraient susciter une grande réflexion
sur la nécessité de construire des synagogues, des églises et des mosquées
dans les banlieues. À mon sens, il est aussi important d’ouvrir des
Nicolas Sarkozy ou l’apologiste du modèle communautariste religieux
17
lieux de culte dans les grandes zones urbaines que d’inaugurer des salles
de sport, elles-mêmes très utiles ! Ce qui doit nous préoccuper, c’est ce
que vont être les idéaux de la jeunesse qui vient. Tous ces jeunes qui ne
croient plus à grand chose, voilà un défi pour toutes les religions ! Elles
pourraient s’occuper de créer des lieux de paix, de rencontres, de dialogue
multiconfessionnels »(10). Et d’insister encore : « Je pense donc utile
que soit créée une grande mosquée dans celles de nos grandes villes qui
en sont dépourvues. Je vois qu’il manque des églises dans certaines banlieues
de la Seine-Saint-Denis, que des communautés juives ou protestantes
souffrent de ne pas avoir assez de synagogues ou de temples »(11).
La construction de lieux de culte comme solution aux problèmes des banlieues,
voilà le projet du président de l’UMP. La délégation aux prêtres, aux
imams et aux pasteurs du maintien de la concorde dans les quartiers ! N’estce
pas d’ailleurs ce que l’on a d’ores et déjà parfois observé lors des violences
d’octobre et novembre 2005 ?
L’intérêt général exigerait donc que l’État construise, comme avant 1905,
des lieux de culte. Mais alors, combien d’églises, de mosquées et de synagogues
? Et l’état devra-t-il également financer des lieux de cultes pour les
témoins de Jéhovah ? Le Conseil d’État, la Cour de cassation et la Cour
européenne des droits de l’homme leur ont déjà assuré la liberté de
conscience et garanti le libre exercice du culte… Et que penser de la connexion
qui existe entre ce projet de Nicolas Sarkozy et l’ambition de l’Union des
organisations islamiques de France (UOIF) de promouvoir l’islam comme
un moyen de lutter contre la délinquance ? L’un de ses dirigeants, Amar
Lasfar, qui anime la mosquée de Lille, ne cesse en effet d’insister sur ce
rôle de pacification des relations sociales qui incomberait à l’Islam. Et Farid
Abdelkrim, l’une des figures emblématiques des jeunes musulmans de France,
est encore plus explicite : « L’islam, c’est un Kärcher qui permet de nettoyer
les comportements les plus tordus qui soient. Avec l’islam, j’ai arrêté
de fumer, j’ai arrêté de boire, j’ai arrêté de voler, j’ai respecté mes parents,
j’ai voulu faire des études. C’est pas grâce au centre, c’est grâce à l’islam
(…) Je dois tout à dieu ». Voilà qui fait étrangement écho aux projets et
même aux propos tenus par Nicolas Sarkozy ! Mais quel paradoxe : l’ordre
républicain sauvé par des islamistes qui refusent de respecter la loi
républicaine !
Et pourquoi alors s’arrêter aux seuls problèmes des banlieues ? Car nul
ne sait où s’arrêteront les prétentions politiques et sociales des religions
ainsi relégitimées.
L’inquiétante « rupture tranquille » de Monsieur Sarkozy
18
Les religions comme légitimation du retour de l’ordre moral
Les croisés des fondamentalismes investiront naturellement le domaine
de la santé publique et de l’éthique. Le droit à l’avortement sera plus que
jamais menacé et les grands débats éthiques de notre temps hypothéqués
par le retour d’une sorte d’Inquisition. Souvenons-nous de la situation de
cette américaine de 41 ans, plongée depuis plus de 15 ans dans un coma
végétatif, et qui était devenue le symbole d’une bataille juridique et politique
entre partisans et adversaires de l’euthanasie. George Bush avait alors
clairement choisi son camp en promulguant d’urgence, en mars 2005, une
loi votée spécialement par le Parlement et autorisant la justice fédérale à
faire réalimenter la jeune femme.
Les religions comme substitut à l’état-providence
Mais l’emprise des religions sur la société irait bien au-delà de ces seules
questions de santé publique et d’éthique. Elle s’étendrait tout d’abord à la
protection sociale. Pourquoi en effet ne pas en appeler à la charité religieuse
pour régler le problème du financement de la sécurité sociale en
France et en Europe ? Il sera facile à Nicolas Sarkozy de rappeler que la
moitié des hôpitaux et les deux tiers des organisations d’assistance sociale
relèvent aux États-Unis du secteur privé à but non lucratif. La relégitimation
du rôle social et politique des religions à laquelle il procède est en fait
la première étape de la délégitimation de l’État Providence et donc du démantèlement
de la sécurité sociale. Adapter notre système de sécurité sociale
est une nécessité, le démanteler un retour à l’Europe des années 30.
Les religions comme garant de la bonne éducation des jeunes
Et après la sécurité sociale viendra le tour de l’enseignement. Quoi de plus
normal d’ailleurs puisqu’il faut réhabiliter les valeurs religieuses au sein de
notre jeunesse : « On ne peut pas éduquer les jeunes en s’appuyant exclusivement
sur des valeurs temporelles, matérielles, voire même républicaines
(…). La dimension morale est plus solide, plus enracinée, lorsqu’elle
procède d’une démarche spirituelle, religieuse, plutôt que lorsqu’elle cherche
sa source dans le débat politique ou dans le modèle républicain. (…)
La morale républicaine ne peut répondre à toutes les questions ni satisfaire
toutes les aspirations. (…) »(12). L’éducation nationale doit donc former des
croyants et non des citoyens… Nul doute que Nicolas Sarkozy proposera
bientôt que, comme aux États-Unis depuis 1954, les écoliers prêtent chaque
matin un serment d’allégeance aux institutions et à Dieu. Que l’enseignement
religieux figure parmi les enseignements obligatoires. Que se
développent les établissements scolaires communautaristes. Que se multiplient
les universités privées.
Nicolas Sarkozy ou l’apologiste du modèle communautariste religieux
19
Après avoir soutenu les jeunes filles voilées dans les collèges et lycées
publics, cette organisation a désormais l’ambition de créer des établissements
islamistes pour les accueillir. Elle compte bien sur le ministre de l’intérieur
pour obtenir le classement de son premier établissement scolaire
sous contrat d’association après cinq ans de fonctionnement. La République
contrainte d’assurer la rémunération d’enseignants intégristes, voilà l’une
des conséquences du projet social de Nicolas Sarkozy !
Il n’y a pas jusqu’à la politique monétaire qui pourrait être placée sous la protection
de Dieu. Pourquoi ne pas écrire sur les billets de la banque centrale
européenne la devise figurant sur les dollars : « nous avons confiance en Dieu » ?
Et pourquoi ne pas confier aux églises la tenue de l’état civil comme sous
l’Ancien régime ? La question n’est pas aussi anachronique qu’elle en a l’air.
En Italie, six communautés religieuses ont signé des accords avec l’État
qui leur confèrent le droit de célébrer des mariages civilement valables(13).
La cohérence de cette politique de renouveau du pouvoir social et politique
des religions devrait conduire Nicolas Sarkozy à instituer, comme aux
États-Unis depuis 1952, une journée nationale de prière et la fixer comme
là-bas au premier jeudi du mois de mai ! Il ne l’a pas encore proposé mais
cela ne saurait tarder…
Hier, l’Europe importait des États-Unis le jean, le coca-cola, le rock n’ roll ou
encore son cinéma. Aujourd’hui, Nicolas Sarkozy nous propose d’importer Dieu !
LES DÉRIVES DE CET ACTIVISME COMMUNAUTARISTE
La relégitimation du rôle politique et social des églises prônée par Nicolas
Sarkozy n’est pas sans danger : elle repose sur la remise en cause de la
loi de 1905, elle sape le modèle républicain français de séparation des églises
et de l’Etat, elle organise de fait la promotion des mouvements sectaires
et la main mise des intégristes de l’UOIF sur l’Islam de France.
La remise en cause de la loi de 1905
Dans «La République, les religions, l’espérance », Nicolas Sarkozy suggère
de modifier la loi du 9 décembre 1905 relative à la séparation des églises
et de l’État.
Le point de départ de sa réflexion : la situation tout à fait particulière de la
communauté musulmane en France. Alors que l’État a construit, avant 1905,
L’inquiétante « rupture tranquille » de Monsieur Sarkozy
20
de nombreuses églises et qu’il contribue encore aujourd’hui à leur entretien,
l’islam, en raison de son implantation tardive, se trouve dans l’obligation
de financer seul ses propres mosquées. Il serait donc juste, selon Nicolas
Sarkozy, de contourner la règle de la séparation des Eglises et de l’état
afin de permettre à la seconde religion de France de disposer d’un nombre
suffisant de lieux de culte.
Si le constat effectué par Nicolas Sarkozy est juste, son analyse est,
comme bien souvent, partielle et partiale, et surtout, ses intentions réelles
vont bien au-delà d’un simple toilettage de la loi de 1905.
Son constat est juste, incontestablement. La pratique du culte musulman
est encore trop souvent reléguée dans des foyers réaménagés, des appartements
privés quand ce n’est pas – mais c’est heureusement devenu l’exception
- dans les caves mêmes de certains immeubles. Cette situation
n’est pas digne de notre République. Aucun républicain ne peut et ne doit
se résoudre à choisir entre des mosquées financées par des pays étrangers
représentatifs du fondamentalisme le plus archaïque et des lieux de
culte insatisfaisants et source de frustration. Cette situation n’est pas non
plus conforme à l’esprit de la loi de 1905, et notamment de son article 1er
selon lequel « La République assure la liberté de conscience. Elle garantit
le libre exercice des cultes ».
Mais l’analyse de Nicolas Sarkozy est partielle et partiale. Elle insiste exclusivement
sur l’identité religieuse des communautés étrangères installées sur
le territoire français. Elle élude la ghettoïsation de certains quartiers de nos
banlieues, la discrimination à l’entrée des boîtes de nuit, la récurrence des
contrôles d’identité, les diplômés d’université exclus du marché de l’emploi
pour délit de faciès, les lycéens de l’enseignement professionnel ne trouvant
pas de stages faute d’entreprise pour les accueillir, les candidats locataires
d’origine africaine, antillaise ou maghrébine recalés par des propriétaires racistes
ou la politique des quotas des organismes HLM. Ne pas parler de ces
situations, limiter l’analyse à la seule question des lieux de culte, c’est occulter
les vrais défis posés aujourd’hui à notre politique d’intégration, dont l’échec,
ne nous y trompons pas, ne pourrait que continuer à faire le jeu de tous ceux
qui souhaitent prôner le repli identitaire au sein de la République.
Fondamentalement – et c’est là qu’est notre différence avec Nicolas
Sarkozy – nous voulons tout donner aux enfants de l’immigration en tant
que citoyens. Car ils sont citoyens beaucoup plus et bien avant que d’être
musulmans. C’est, au mieux, se donner bonne conscience que de réduire
Nicolas Sarkozy ou l’apologiste du modèle communautariste religieux
21
l’intégration au fait religieux, de réduire nos concitoyens à leur religion héritée
: pour reprendre le décompte paroissial de M. Sarkozy, il n’y a pas «
cinq millions de musulmans » pratiquants. L’angoisse existentielle sur la
perte de sens du « vivre ensemble » est bien réelle mais la réponse apportée
par le candidat de l’UMP ignore que le lien social et le sens de la solidarité
se nourrissent autant, voire dans les faits beaucoup plus, des
engagements au service des autres – qui apportent du sens, de l’espoir et
de la convivialité dans les quartiers – que de la religion.
La réponse au malaise qui s’est instauré entre la France et les immigrés ou
supposés tels, est donc ailleurs : dans la réalisation de l’idéal républicain
d’intégration. Un idéal constitué de devoirs pour les intéressés et la République.
De devoirs pour les intéressés car nul ne peut échapper aux lois de notre
République qu’elles concernent la laïcité, l’égalité des droits ou le statut
de la femme, égal à celui de l’homme. Cela a justifié le vote de la loi sur l’interdiction
des signes religieux dans les établissements scolaires.
De devoirs pour la République car chacun a le droit de revendiquer à son
égard l’application des valeurs républicaines de liberté, d’égalité et de
fraternité.
Trois mesures doivent être prises de manière désormais urgente.
La première : accorder enfin aux étrangers le droit de vote à chaque fois
que la souveraineté nationale n’est pas en cause, c’est-à-dire pour les référendums
locaux, les élections municipales, cantonales et régionales. Ainsi
mettrions nous fin à ce paradoxe qui autorise un lithuanien en France depuis
six mois à participer à une élection municipale alors qu’un algérien ou un
sénégalais présents sur notre territoire depuis 25 ans ne se sont toujours
pas vus reconnaître ce droit !
La deuxième mesure consiste à généraliser l’expérience de « discrimination
positive socio-économique » conduite à Sciences Po à toutes les grandes écoles
(polytechnique, l’ENA, l’école nationale de la magistrature, l’école normale
supérieure, HEC…). Cette discrimination positive est la seule solution conforme
à notre idéal républicain qui permette de relancer l’ascenseur social, aujourd’hui
en panne, au profit des jeunes vivant dans les banlieues dites difficiles.
La République doit enfin – et c’est la troisième urgence – permettre aux
musulmans d’exercer dignement leur religion en favorisant le bon fonctionL’inquiétante
« rupture tranquille » de Monsieur Sarkozy
22
nement de la fondation d’utilité publique récemment créée et chargée de
financer la construction de mosquées. Créées par décret, les fondations
d’utilité publique sont des personnes morales de droit privé dotées d’un patrimoine
affecté à une oeuvre. Leur financement est majoritairement privé mais
l’état approuve toutefois leur statut et veille à leur fonctionnement démocratique
et à la transparence de leurs comptes. Ainsi, la République française
aurait-elle résolu la question lancinante des lieux de culte musulman
sans réviser la loi de 1905. Nicolas Sarkozy, de retour place Beauvau, n’a
pu interrompre ce projet de fondation promu par Dominique de Villepin, lorsqu’il
était ministre de l’intérieur, mais il n’a tout fait pour que la fondation ne puisse
pas fonctionner. Et de fait, elle ne fonctionne toujours pas…
Et pour cause, Nicolas Sarkozy ne veut pas seulement régler le problème
des lieux de cultes musulmans. Ses intentions vont bien au-delà : il veut
non pas toiletter la loi de 1905 mais réouvrir la question du financement
des religions par les pouvoirs publics pour l’ensemble des religions et pas
seulement pour l’islam : « On peut faire évoluer le texte. Il restera notamment
une question à régler, qui n’est pas conjoncturelle, qui n’est pas anecdotique
: c’est celle du financement des grandes religions de France »(14).
Son ambition va donc bien au-delà du seul culte musulman. Et d’insister :
« Quelles sont les difficultés auxquelles nous nous heurtons ? De mon point
de vue, elles concernent toutes les religions et sont de deux types : toutes
ont un problème de recrutement, de formation et de rémunération des ministres
du culte, toutes ont également une difficulté de financement des lieux
de culte ». Sa réelle ambition est donc bien de bouleverser l’équilibre entre
les religions et l’état issu de la loi de 1905.
La remise en cause du modèle laïque français
En effet, la France en particulier, et l’Europe de manière plus générale, diffèrent
considérablement du modèle américain. outre-Atlantique, la religion
a précédé l’état et a créé la société politique. Et même si l’État fédéral américain
est constitutionnellement laïque, les États-Unis sont sociologiquement
empreints de religiosité. L’état est laïque mais la société pas du tout !
À l’inverse, l’Europe a été marquée par un profond conflit entre l’Eglise et
les Etats. De ce conflit est né un modèle européen d’organisation des relations
entre les religions et l’Etat selon lequel la religion est une affaire totalement
privée dans laquelle la sphère publique ne doit interférer qu’avec
d’infinies précautions. « Ce modèle européen » s’est décliné de manière
différente selon les traditions nationales. Selon Jean-Baubérot et Françoise
Champion, on peut distinguer deux logiques d’autonomisation de la société
Nicolas Sarkozy ou l’apologiste du modèle communautariste religieux
23
et du politique à l’égard de la religion : une logique de sécularisation dans
laquelle cette autonomisation s’effectue par le bas, à partir de la société
civile elle-même, et une logique de laïcisation dans laquelle elle s’effectue
par le haut, à partir de l’État. La première concerne les pays à dominante
protestante qui connaissent une mutation interne de leurs églises, la
seconde touche les pays à dominante catholique beaucoup plus marqués
par le conflit entre les ordres étatique et religieux. La religion a donc cessé
sur l’ensemble du continent européen de structurer l’organisation, les sources
et les finalités de nos sociétés démocratiques. En ce sens, tout le continent
est laïque mais seules les nations dans lesquelles la logique de laïcisation
fut à l’oeuvre ont instauré une séparation stricte de l’église et de l’État.
C’est notamment le cas de la France. Elle est sortie de l’affrontement entre
la République et l’église catholique en organisant une séparation stricte
entre d’une part l’église et d’autre part la société et l’état. Cela s’est fait en
deux temps.
Celui tout d’abord de la laïcité de combat. « Le cléricalisme, voilà l’ennemi »
s’écrie Gambetta à la Chambre le 4 mai 1877. Une série de lois est adoptée
dans les années 1880 afin d’émanciper l’école et la société de l’emprise de
l’église catholique : la loi du 12 juillet 1880 supprime l’obligation du repos
dominical ; celle du 15 novembre 1881 abolit les distinctions de croyances
dans les cimetières ; celle du 5 avril 1884 réglemente les processions ; la loi
Naquet du 27 juillet 1884 rétablit le divorce ; la loi du 14 août 1884 supprime
les prières publiques dans les assemblées ; la loi du 21 décembre 1800 crée
un enseignement secondaire public de jeunes filles ; la loi du 6 juin 1881 instaure
la gratuité de l’enseignement primaire public et celle du 9 mars 1882
son caractère laïque et obligatoire ; la loi Goblet du 30 octobre 1886 laïcise
le personnel des écoles publiques, elle exclut également l’Eglise et toute
référence religieuse des lieux où ils étaient traditionnellement présents : la
famille, les funérailles, l’enseignement ou encore l’hôpital.
Vient ensuite le temps de la laïcité de liberté avec la loi de 1905 de séparation
de l’église et de l’état. Car lorsque la laïcité devient une qualité de l’État,
elle se modifie. De laïcité de combat, elle devient alors une laïcité de liberté.
C’est Aristide Briand, le rapporteur de la loi à la Chambre des députés, qui
saisit le mieux la transformation de la laïcité lorsqu’elle devient la qualité
de l’État : « Quel est le but que vous poursuivez ? Voulez-vous une loi de
large neutralité, susceptible d’assurer la pacification des esprits… ? »(15) .
« Vous reprenez votre liberté ; il n’est que justice que vous laissiez à l’église
L’inquiétante « rupture tranquille » de Monsieur Sarkozy
24
la sienne et que vous lui permettiez d’en jouir dans les limites où l’ordre
public n’en sera pas menacé »(16). La loi de 1905 est donc avant tout une
loi de pacification car elle est une loi non seulement de neutralité de l’État
mais également d’organisation de la liberté de religion, elle permet de réintégrer
dans la République ceux qui s’en sont fait exclure, et tout d’abord
les catholiques. Jaurès ne s’y était d’ailleurs pas trompé. Il voulait clore la
question religieuse pour pouvoir enfin traiter de la question sociale. C’était
le leitmotiv de ses discours en 1905 : « il est urgent de le faire pour passer
à la question sociale ». Nicolas Sarkozy poursuit un siècle plus tard un
objectif diamétralement opposé : rouvrir la question religieuse pour ne pas
traiter la question sociale. N’ayant rien à proposer pour résoudre les problèmes
sociaux de notre société, si ce n’est donner les pleins pouvoirs au
marché, il prend argument de la diversité de notre société pour réhabiliter
les identités communautaires et revenir sur la loi de 1905 et chacun des
trois piliers de la laïcité française : l’autonomie des cultes, la liberté religieuse,
et le respect de l’ordre public.
Premier pilier de la laïcité française, l’autonomie des cultes résulte de la
séparation de l’État et des églises. Elle est proclamée dès l’article 2 de la
loi de 1905 : « la République ne reconnaît, ne salarie, ni ne subventionne
aucun culte ». En accordant des droits et des obligations aux religions,
Nicolas Sarkozy bafoue le principe de séparation de l’État et des églises
et fragilise l’autonomie des cultes. Sous le prétexte fallacieux d’actualiser
la loi de 1905, il propose en fait de revenir au régime bonapartiste du concordat
de 1801 et des articles organiques de 1802. Avec ses textes, Bonaparte
avait organisé le clergé catholique. Certes, il n’en avait pas fait une religion
d’État – puisqu’il avait également doté d’un statut les cultes luthérien,
calviniste et israélite – mais il avait organisé un régime de cultes reconnus
par l’État. C’est exactement ce que Nicolas Sarkozy propose aujourd’hui
aux Français en revenant sur les principes de la loi de 1905. Une administration
des cultes qui octroiera le statut de religion et donc les privilèges
qui y sont associés.
Deuxième pilier de la loi de 1905, la liberté religieuse est la conséquence
de la séparation de l’église et de l’état. Au terme de l’article 1er de la loi de
1905, « La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre
exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt
de l’ordre public » mais elle ne peut le faire que parce que le principe
de séparation libère l’état de toute appréciation ou qualification concernant
les convictions religieuses ou philosophiques. Comme l’a dit André
Philipp, alors président de la commission de la Constitution, devant l’asNicolas
Sarkozy ou l’apologiste du modèle communautariste religieux
25
semblée constituante le 29 août 1946, « la laïcité n’est pas une philosophie,
ni une doctrine, c’est simplement la coexistence de toutes les philosophies,
de toutes les doctrines, le respect de toutes les opinions et de
toutes les croyances ». Revenir sur la laïcité, c’est amener l’Etat à faire le
tri dans les philosophies, les croyances et les opinions ! En fait, Nicolas
Sarkozy propose aux Français un retour à la tradition du gallicanisme de
l’Ancien régime, une tentative d’appropriation de l’église par l’État, ou, à
tout le moins, un contrôle politique des églises de France.
Le respect de l’ordre public, troisième pilier de la laïcité française, est la
seule limite à la liberté religieuse (comme d’ailleurs aux autres libertés). La
République garantit la liberté des cultes « sous les seules restrictions édictées
ci-après dans l’intérêt de l’ordre public » selon les termes mêmes de
l’article premier de la loi de 1905. Aucune liberté n’est absolue et pas plus
la liberté de conviction religieuse ou philosophique que les autres. Cette
liberté peut être source de danger pour la société et pour les individus ainsi
que nous le rappelle le développement des mouvements sectaires. Or la
laïcité de l’État facilite en France le traitement juridique de la question des
sectes. En effet, l’État n’a pas à qualifier certaines doctrines de secte ou de
religion, il se contente d’apprécier si les activités des groupes sectaires peuvent
être poursuivies devant les tribunaux. Cette approche a fait les preuves
de son efficacité. Nicolas Sarkozy propose d’en saper les fondements,
c’est-à-dire le principe de séparation des églises et de l’État.
Le risque de promotion des sectes
Nicolas Sarkozy souhaite doter les religions d’un véritable statut qui leur
conférera certes des obligations – et notamment celle de participer à la
régulation sociale de la société – mais surtout des droits vis-à-vis de la
puissance publique qui participera à leur financement et facilitera le recrutement,
la formation et la rémunération des ministres du culte. De cette
manière, il pose inévitablement la question de la définition de la religion.
Quelles sont les religions qui pourront prétendre à ce statut ?
En 1905, les cultes étaient clairement identifiés, on recensait en métropole
les cultes catholique, réformé, luthérien et israélite et, en outre mer, l’islam.
Aujourd’hui, la situation est bien plus complexe : les catholiques peuvent
appartenir à plusieurs rites, sans même compter les intégristes fidèles du
défunt Mgr Lefebvre ; les orthodoxes relèvent de différentes écoles ; de nouvelles
églises protestantes sont apparues à côté des luthériens et des réformés
: les Anglicans, les Baptistes, les Pentecôtistes, les évangélistes de
L’inquiétante « rupture tranquille » de Monsieur Sarkozy
26
toute nature ; il y a encore les bouddhistes, les hindouistes et bien évidemment
les musulmans… Cette énumération montre combien l’entreprise de
Nicolas Sarkozy est aujourd’hui chimérique… Réalisable dans le contexte
religieux simplifié du début du 20ème siècle, il ne l’est plus un siècle plus tard
au temps de la multiplication des rites et de l’individualisation des pratiques
et des croyances. Nicolas Sarkozy s’est tout simplement trompé de siècle.
Et que faire en premier lieu avec les mouvements fondamentalistes ? Des
intégristes catholiques, des églises évangélistes les plus fondamentalistes,
des Juifs orthodoxes ou encore des fondamentalistes islamistes qui
encouragent le port du voile dans les écoles ? On sait que Nicolas Sarkozy
est particulièrement bienveillant à leur égard : « Que des hommes de foi
croient « fondamentalement », fondent leur vie sur la foi et veuillent respecter
les fondements de leur religion, quoi de plus normal ? »(17). Il semble
ignorer que le fondamentalisme peut être parfois incompatible avec la
liberté de conscience et certaines des lois de la République. Jean Louis
Langlais, président de la mission interministérielle de vigilance et de lutte
contre les dérives sectaires jusqu’en août 2005, remarquait dans une interview
donnée au Nouvel observateur(18) : qu’« une lecture littérale du dogme
religieux peut conduire à des pratiques qui mutilent la liberté individuelle ».
Et que faire, ensuite, des sectes qui revendiquent le statut de religion ?
Cette revendication procède d’une stratégie globale visant à obtenir une
reconnaissance officielle. Elle se heurte aujourd’hui au principe de la séparation
des églises et de l’État qui renvoie les pratiques religieuses à la sphère
privée, et ne reconnaît aux pouvoirs publics aucune compétence pour définir
ce qui est religieux et ce qui ne l’est pas. Mais quand un statut des religions
existera, les pouvoirs publics seront contraints de répondre aux sollicitations
des sectes et on peut craindre à juste titre qu’elles ne parviennent que trop
souvent à obtenir satisfaction.
Les expériences étrangères le prouvent. En Autriche, une loi de 1998 a
créé un statut de « communauté confessionnelle » qui permet, au bout
d’une période de dix ans, d’accéder à la catégorie des religions reconnues.
Les Témoins de Jéhovah bénéficient d’ores et déjà de ce statut et il est fort
probable qu’ils seront considérés comme une religion reconnue au bout
de ces dix années (en 2008). En Italie, les communautés religieuses peuvent
signer des accords avec l’état afin d’entretenir des aumôneries, d’assurer
l’instruction religieuse des élèves dans les écoles publiques, de célébrer
des mariages civilement valables et de bénéficier des mêmes financements
publics que l’église catholique. Les Témoins de Jéhovah ont signé un accord
Nicolas Sarkozy ou l’apologiste du modèle communautariste religieux
27
avec l’État. Au Québec, le statut de « corporation religieuse », qui permet
de bénéficier d’exonérations fiscales, a été accordé au mouvement Raëlien
en 1994.
La France a déjà fait l’expérience de cette tendance irrésistible à la reconnaissance
des sectes lorsqu’ils existent des avantages accordés aux communautés
religieuses. Cette situation se rencontre heureusement rarement
puisque le principe de séparation de l’église et de l’état a précisément pour
objet de libérer l’État de toute appréciation ou qualification concernant les
convictions religieuses ou philosophiques. Elle se rencontre pourtant car
la suppression du service public des cultes décidée en 1905 a conduit le
législateur à prévoir le remplacement des établissements qui en avaient
la charge par des associations cultuelles. Ces associations s’inscrivent
bien évidemment dans le cadre des associations déclarées prévues aux
articles 5 et 6 de la loi de 1901. Toutefois, au fil des ans, plusieurs avantages,
notamment fiscaux, leur ont été accordés. Obéissant à un régime de
droit commun destiné à organiser la séparation des églises et de l’état, les
associations cultuelles ont été ainsi dotées d’un régime dérogatoire. Elles
bénéficient d’une exonération de taxe foncière pour leurs édifices affectés
à l’exercice d’un culte, depuis la loi du 14 juillet 1909 complétée par l’article
112 de la loi du 29 avril 1926. Depuis la loi du 13 janvier 1941, cette exonération
s’applique à tous les édifices cultuels, y compris ceux qui ont été
acquis ou construits postérieurement à 1905. Contrairement aux associations
de droit commun, elles peuvent, depuis une loi du 25 décembre 1942,
recevoir « des libéralités testamentaires et entre vifs destinées à l’accomplissement
de leur objet ou grevées de charges pieuses ou cultuelles ».
Elles bénéficient d’un régime de faveur en matière de droits de mutation à
titre onéreux depuis l’adoption d’une ordonnance du 30 décembre 1958.
Enfin, depuis la loi du 23 juillet 1987, les dons consentis aux associations
cultuelles peuvent ouvrir droit à des déductions fiscales pour les donateurs,
dans la limite de 5 % du revenu imposable pour les personnes physiques,
et de 3,5 ‰ du chiffre d’affaires pour les personnes morales.
On comprend mieux pourquoi la principale offensive juridique menée par
les sectes sur le terrain de la reconnaissance religieuse porte sur le régime
de l’association cultuelle prévu par la loi du 9 décembre 1905. Les Témoins
de Jéhovah ont ainsi engagé une bataille juridique de grande envergure,
en incitant leurs associations locales à contester devant le juge administratif
les décisions d’assujettissement à la taxe foncière dont elles font
l’objet. Et ils ont fini par la gagner !
L’inquiétante « rupture tranquille » de Monsieur Sarkozy
28
Loin de renforcer la lutte contre les dérives sectaires, l’ambition de Nicolas
Sarkozy de doter les religions d’un véritable statut risque d’aboutir au résultat
inverse : la légitimation par le droit de certaines sectes se prévalant du
statut de religion ! Alors que l’état laïque peut sans difficulté lutter contre
les dérives sectaires au nom des troubles à l’ordre public, il sera contraint,
dans la logique sarkozienne, de financer des sectes et de leur assurer des
privilèges fiscaux !
Et cette pente dangereuse sera d’autant plus rapidement et facilement dévalée
que les Etats-Unis, au nom de la liberté de conscience, militent pour l’octroi
du statut de religion à certains groupes sectaires. Le département d’Etat
américain, dans les rapports annuels qu’il consacre à la liberté de religion
dans le monde, a déjà mis, à plusieurs reprises, la France à l’index. Dès 2000,
il dénonçait la « stigmatisation de certaines religions en les associant à tort
à des cultes ou sectes dangereux »et déplorait qu’« un rapport de l’Assemblée
nationale de 1996 de même qu’un rapport parlementaire de suivi de 1999,
étiquettent 173 groupes comme "sectes", décisions qui ont contribué à une
atmosphère d’intolérance envers les minorités religieuses. Quelques uns
des groupes de cette liste sont d’évidence dangereux, mais la plupart sont
seulement mal connus ou impopulaires ». Un an plus tard, il qualifiait les
Scientologues, les Raëliens, les adeptes du Vajra Triomphant et ceux de
l’Ordre du Temple Solaire de « groupes religieux minoritaires » !
Dans ce contexte, Nicolas Sarkozy pourra-t-il résister à l’amicale pression
américaine, lui qui se veut le plus américain des hommes politiques français,
lui qui veut rompre avec le modèle social européen au profit du modèle
américain ? Il ne pourra plus, pour récuser les prétentions américaines, se
réfugier derrière la séparation organique entre l’état et les églises puisqu’il
l’aura fragilisée afin de légitimer l’intervention de l’état dans la sphère religieuse.
Parions qu’il finira par céder au nom de la liberté des consciences
et de l’amitié transatlantique ! Il le fera à sa manière, de façon habile, sans
s’exposer directement, en laissant les juges se prononcer en lieu et place
du pouvoir politique. Et ce qui est déjà arrivé avec les témoins de Jéhovah
en France se reproduira avec d’autres mouvements sectaires ! Le statut
de religion leur sera accordé et l’état, dans son nouveau rôle de promoteur
des religions, participera à leur financement et facilitera le recrutement, la
formation et la rémunération des ministres de ces cultes sectaires !
Nul doute que les scientologues seront les premiers à bénéficier de ce nouveau
statut ! On se souvient en effet que Nicolas Sarkozy a pris le temps
de recevoir à Bercy et de déjeuner longuement avec Tom Cruise le 30 août
Nicolas Sarkozy ou l’apologiste du modèle communautariste religieux
29
2004 alors que Jacques Chirac avait refusé de recevoir l’acteur membre
de l’église de scientologie.
Le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie ne pouvait ignorer
la véritable nature de l’église de la scientologie. C’est une organisation
manipulatrice, uniquement préoccupée par la rentabilité financière,
qui joue sur la culpabilité des adeptes pour les retenir, en sacrifiant leur
vie familiale et relationnelle, en leur soutirant des sommes astronomiques
pour des prestations qui ne semblent jamais apporter les résultats
escomptés. Elle figure parmi les 173 sectes recensées dès 1996
par l’Assemblée nationale et la commission de l’Assemblée nationale
constituée en 1999 pour enquêter sur la situation financière, patrimoniale
et fiscale des sectes ainsi que sur leurs activités économiques et
leurs relations avec les milieux économiques et financiers. Ces rapports
citent la Scientologie comme « le meilleur exemple » de secte
ayant bâti sa fortune sur la vente et l’investissement dans le monde de
l’entreprise !
Le président de l’UMP ne pouvait pas non plus ignorer l’engagement de
Tom Cruise en tant que scientologue. L’acteur fait en effet preuve d’un fort
prosélytisme et parlait ouvertement de la scientologie dans le texte de l’interview
qu’il a fait distribuer juste avant son entrevue à Bercy. Les deux
protagonistes auraient d’ailleurs, selon Tom Cruise, parlé «de tout, de scientologie,
de cinéma, de vie familiale ». Voilà qui donne du crédit à l’hypothèse
évoquée lors d’une émission 90 minutes de Canal + selon laquelle
le « premier passage » au Ministère de l’Intérieur de Nicolas Sarkozy aurait
abouti à une baisse de la surveillance de la scientologie et à la mise à l’écart
d’un policier en charge du dossier. En tout cas, et sans aller aussi loin dans
la mise en cause du président de l’UMP, il est clair que cette entrevue a
bien plus servi les intérêts de l’église de la scientologie que ceux de la lutte
contre les dérives sectaires !
La promotion des intégristes musulmans français
La création du Conseil français du culte musulman (CFCM) est généralement
présentée comme un succès à mettre à l’actif de Nicolas Sarkozy. Il
aurait réussi à organiser l’islam de France là où tant de ministres en charge
des cultes auraient échoué depuis 20 ans. Mais cela est inexact. La politique
conduite par Nicolas Sarkozy est en réalité un échec total.
Tout d’abord, le fonctionnement du CFCM est totalement chaotique. Certes
des élections ont été organisées les 6 et 13 avril 2003 puis le 19 juin 2005
L’inquiétante « rupture tranquille » de Monsieur Sarkozy
30
mais les trois grandes tendances qui le composent – l’UOIF, la FNMF et la
grande mosquée de Paris - ne sont jamais parvenues à travailler ensemble.
Elles n’ont pas même pu se mettre d’accord sur la date du ramadan
en 2004 et aucune de ses commissions de travail ne fonctionne. Le CFCM
n’est plus qu’une coordination fantoche.
Ensuite, Nicolas Sarkozy a intronisé l’UOIF - une organisation musulmane
intégriste et minoritaire - comme représentant officiel de l’Islam de France.
Comment en est-on arrivé à un pareil gâchis ? Par l’ambition démesurée
d’un homme, Nicolas Sarkozy, qui, trop pressé d’engranger les succès, a
commis trois graves erreurs d’analyse.
• Première erreur d’analyse : l’UOIF serait représentative
des musulmans de France
Aux yeux de Nicolas Sarkozy, la légitimité de l’UOIF tient à sa représentativité
: « L’UOIF représente une partie de la jeunesse musulmane française
; que cela plaise ou non, c’est une réalité. Compte tenu de cette réalité, qui
aurait pu comprendre que l’UOIF ne soit pas membre du CFCM ? »(19). Mais
qu’en est-il vraiment ? Selon Fiammetta Venner, chercheuse au CNRS, qui
enquête depuis 15 ans sur les mouvements intégristes, cette prétendue
représentativité est le résultat d’une mystification. L’UOIF comptait quelques
centaines de membres dans les années 80 et son premier congrès
au Bourget, en 1992, affiche à peine 2 000 participants. Un an plus tard,
une dépêche de l’AFP titre soudainement : « 30 000 personnes attendues
au congrès de l’UOIF au Bourget ». Ce chiffre ne repose sur rien mais il
légitime l’UOIF. En 2002, l’organisation revendique 70 000 visiteurs mais
les sources de police citées par l’AFP parlent de 8 000 visiteurs. En 2003,
Nicolas Sarkozy s’y précipite et intronise ce congrès aux yeux de la Nation
entière comme l’un des grands rendez-vous de l’année.
En fait, l’UOIF ne doit pas son intronisation en qualité de représentant officiel
de l’Islam en France à sa prétendue représentativité mais à l’empressement
de Nicolas Sarkozy d’aboutir à un accord entre les musulmans.
Car, pour l’homme pressé de l’UMP, la fin justifie les moyens !
À la fin de l’année 2002, les négociations entre les diverses composantes
de l’Islam en France piétinent. Nicolas Sarkozy décide alors de « vendre »
le futur conseil français du culte musulman (CFCM) aux plus radicaux : le
8 décembre, il se rend à l’UOIF et conclut un pacte avec son secrétaire
général, Fouad Allaoui : l’UOIF accepte la création du CFCM et obtient en
contrepartie la certitude de disposer, avec la Fédération nationale des musulNicolas
Sarkozy ou l’apologiste du modèle communautariste religieux
31
mans de France, l’autre branche de l’Islam radical en France, de 80% des
élus dans la future instance. L’accord est entériné : 80 % de l’islam de France
est vendu aux radicaux. La procédure est simple : le CFCM ne sera pas
élu par les centaines de milliers de musulmans pratiquants mais par les
délégués de 1376 mosquées dont le nombre varie non en fonction de la
fréquentation des mosquées mais de leur surface. Le résultat est sans appel :
« les nombreux hangars aux trois quarts vides de l’UOIF lui permettent de
se mesurer au seul édifice de grande taille défendant un islam libéral, la
mosquée de Paris »(20).
L’islam libéral est sacrifié sur l’autel des ambitions de Nicolas Sarkozy. Pour
Kamel Katbane, le recteur de la mosquée de Lyon, « nous avons été sacrifiés
pour permettre à M. Sarkozy d’aller vite »(21). Les négociations sont
organisées sans délai, les 19 et 20 décembre 2002, à Nainville-les-Roches
dans un château appartenant au ministère de l’intérieur. Le 11 février 2003,
Madame Bétoule Fekkar-Lambiotte donne sa démission pour protester contre
la place donnée à l’UOIF. Elle n’accepte pas que le ministre parle de l’union
issue des frères musulmans comme d’une organisation défendant un islam
simplement orthodoxe. Le mufti de Marseille, Soheib Bencheik, déclare le
26 avril 2003, « tout le monde est représenté au CFCM, sauf l’essentiel,
l’islam de France, qui a cru à l’intégration, à la sécularisation de la société
et à la privatisation de la foi ».
L’UOIF représente au mieux 40 000 sympathisants sur 3,5 millions de Français
possiblement musulmans . Grâce à Nicolas Sarkozy, elle a acquis un statut
désormais incontournable auprès des musulmans(22) de France.
• Deuxième erreur d’analyse : l’UOIF serait seulement
fondamentaliste mais pas intégriste
L’UOIF est assurément une organisation fondamentaliste mais est-elle intégriste
? Le fondamentalisme consiste à vivre conformément aux fondements
de l’islam, il correspond à une démarche personnelle qui peut – mais
pas toujours – être conforme aux lois de la République. à l’inverse, l’intégrisme
est un projet politique qui refuse la séparation de l’église et de l’État
et place au-dessus des lois de la République celles du droit divin.
Nicolas Sarkozy s’est forgé son jugement : « les dirigeants de l’UOIF ont
toujours tenu un discours respectueux de la République et (qu’) ils ne se
reconnaissent pas dans l’image radicale qu’on leur prête. J’ai choisi de les
croire »(23). Il n’y a pas plus aveugle que celui qui ne veut pas voir ! Car
tout démontre l’inverse.
L’inquiétante « rupture tranquille » de Monsieur Sarkozy
32
Le fondateur de l’UOIF tout d’abord
Abdallah Ben Mansour n’a pu être naturalisé français et le rejet des autorités
françaises a été confirmé par le Conseil d’état au motif que « M.
Ben Mansour était en 1995 l’un des principaux dirigeants d’une fédération
à laquelle étaient affiliés plusieurs mouvements extrémistes prônant
le rejet des valeurs essentielles de la société française »(24). Quatre
ans plus tard, en 2003, il accueillera en personne le ministre de l’intérieur
au congrès de l’UOIF.
Les théoriciens de l’UOIF ensuite
L’UOIF se rattache à l’école de pensée des frères musulmans fondée en
Égypte par Hassan al-Banna. Celui-ci avait pour objectif non de moderniser
l’islam mais d’instaurer un régime fondé sur un islam fondamentaliste
et intégriste, un islam totalitaire, miroir, dans les années 30, des totalitarismes
occidentaux. Dans l’une de ces brochures, critères pour une organisation
musulmane, l’UOIF cite en modèle les théoriciens islamistes les
plus radicaux : Ibn Taymiyya qui est le penseur médiéval auquel se réfèrent
tous les intégristes prônant le djihad contre les chrétiens ; Mahamed
Ibn Abdelwahab qui est le fondateur du wahabisme ; Sayyid Quotb qui sert
de référence à tous ceux qui prévoient de recourir à la violence contre les
gouvernements en place.
Les propos tenus par les leaders de l’UOIF
Au congrès du Bourget en 2002, Ahmed Jaballah s’est laissé aller à crier
« le Coran est notre constitution ». Pour le prédicateur vedette de l’UOIF,
Hassan Iquioussen, « le voisin musulman a sans doute plus de droits que
le voisin non musulman »(25). Dans une cassette audio intitulée « la Palestine,
histoire d’une injustice », il se répand en propos antijuifs durant plus d’une
heure : « Les sionistes ont été de connivence avec Hitler. Il fallait pousser
les juifs d’Allemagne, de France… à quitter l’Europe pour la Palestine. Pour
les obliger, il fallait leur faire du mal ». Heureusement, « le Hamas, avec sa
branche armée, fait du bon boulot ». L’un des théoriciens de l’UOIF, Hani
Ramadan, justifie, la lapidation comme une punition mais aussi une forme
de purification et le sida comme un châtiment divin(26).
Les publications de l’UOIF enfin
En 2003, alors que l’UOIF reçoit le ministre de l’intérieur à son congrès,
deux prospectus rédigés par Hani Ramadan sont éloquents. Dans « le sens
à la soumission », on y lit qu’un bon musulman doit se soumettre aux lois
de Dieu et non à celle des hommes. Le deuxième prospectus intitulé « islam
et démocratie » insiste sur l’incompatibilité entre l’islam et la démocratie
Nicolas Sarkozy ou l’apologiste du modèle communautariste religieux
33
laïque : « l’islam comprend une notion qui est étrangère à la démocratie
moderne : l’obéissance de tous les citoyens musulmans va d’abord à la loi
divine. C’est elle, la charia, qui constitue la référence normative de l’ensemble
de la communauté ». Ces documents figurent aux côtés de l’irremplaçable
best-seller du Bourget : les protocoles des sages de Sion ou les
mythes fondateurs de la politique israélienne, un faux imaginant un complot
juif mondial.
Voilà le vrai visage de l’UOIF que Nicolas Sarkozy a préféré occulter. Dominique
de Villepin qui fut un temps son successeur place Beauvau, ne s’y est pas
trompé : il a refusé de se rendre en 2004 au congrès du Bourget.
• Troisième erreur d’analyse : l’UOIF se modérerait au sein du CFCM
C’est l’ultime argument du président de l’UMP : « Je suis […] convaincu que
lorsqu’un radical est intégré dans une structure officielle, il perd de sa radicalité
car il devient partie prenante du dialogue »(27). Mais cet argument,
apparemment frappé au coin du bon sens, ne résiste pas à l’analyse.
Et Nicolas Sarkozy le savait car une tentative similaire avait déjà échoué
au milieu des années 90. En avril 1993, Dalil Boubakeur, le nouveau recteur
de la mosquée de Paris, avait en effet créé une coordination nationale
des musulmans de France avec l’UOIF, la FMMF et l’AEIF. Cela n’avait pas
empêché l’UOIF d’adopter en 1994, dans la deuxième affaire du voile islamique,
la même attitude qu’en 1989 !
L’UOIF ne change pas et la troisième crise du voile en 2003 et 2004 le montre
encore.
Selon Fiametta Venner, « la mobilisation islamiste tendant à présenter la
laïcité comme une violation de liberté n’a jamais été aussi forte »(28). À Lyon,
Nadjet Ben Addallah, contrôleur du travail des transports de la ville, est
condamnée par le conseil de discipline de la fonction publique territoriale
à un an de suspension sans salaire parce qu’elle porte le voile. L’association
qui paie son avocat reçoit une subvention de l’UOIF. À Auchan, une caissière
syndiquée refuse d’ôter son voile. Elle milite à l’UOIF.
Le 1er juin 2004, l’UOIF publie une lettre aux musulmans de France concernant
l’application à la rentrée scolaire de septembre 2004 de la loi du 15 mars
2004 relative à l’interdiction des signes religieux dans les établissements
scolaires: « nous leur recommandons de se présenter dans les établissements
dans les tenues qu’elles auront choisi de porter ». « Si leurs tenues
L’inquiétante « rupture tranquille » de Monsieur Sarkozy
34
devaient poser problème », l’UOIF assure ces jeunes filles du « soutien »
de ses associations locales. Le 29 juin, l’organisation promet aux jeunes
filles « une assistance juridique » et l’organisation de « soutien scolaire »
en cas d’exclusion. Le dispositif de résistance à la loi est en place. Le numéro
vert mis en service pendant l’été (puis interrompu à l’annonce de l’enlèvement
le 20 août 2004 de deux journalistes français, Christian Chesnot et
Georges Malbrunot en Irak) est réinstallé.
Ni le CFCM, ni même la crise des otages n’ont permis de modérer l’UOIF.
Et c’est même le contraire qui se produit : le CFCM devient une agence de
lobbying au profit de l’intégrisme musulman. Avec parfois l’appui explicite
de Nicolas Sarkozy ! Ainsi, le 17 juillet 2003, alors que le CFCM est presque
prêt à démarrer, le ministre de l’intérieur insiste pour que la commission
audiovisuelle soit accordée à l’UOIF et plus précisément à Farid Abdelkrim.
Boubakeur est obligé de menacer de diffuser des extraits de son livre « maudite
soit la France » pour que cette idée soit abandonnée et que la mosquée
de Paris conserve l’émission du dimanche. Nicolas Sarkozy offre un
cadeau de consolation à l’UOIF en lui confiant la responsabilité de l’aumônerie
dans les prisons, c’est-à-dire la mainmise sur le prosélytisme dans
le milieu carcéral !
Nicolas Sarkozy se revendique comme l’ami exigeant des musulmans, il
est en fait devenu l’avocat de l’UOIF.
La rupture avec le modèle français républicain
En demandant la révision de la loi de 1905, en prônant la discrimination
positive, Nicolas Sarkozy veut en fait rompre avec le modèle républicain
français. Il veut être l’homme politique le plus en prise avec la France de
nos jours, celui qui la comprend le mieux et donc celui qui sait le mieux
l’écouter, lui parler et agir pour elle : « En vérité, et c’est bien là tout le problème,
la France est devenue multiculturelle, multi-ethnique, multi-religieuse...
Et on ne le lui dit pas » écrit le ministre dans son livre d’entretien « La République,
les religions, l’espérance ».
Il croit le modèle républicain en faillite et le phénomène communautaire
inévitable. Et se présente alors comme le représentant du volontarisme
en politique. Il n’est en fait que celui de la résignation. Sa rupture est un
abandon !
Quand Nicolas Sarkozy regrette l’absence de « préfet musulman » et dit
vouloir nommer « un musulman », M. Aissa Dermouche, préfet du Jura, il
se méprend sur ce qu’est un préfet : un haut fonctionnaire dont les croyanNicolas
Sarkozy ou l’apologiste du modèle communautariste religieux
35
ces religieuses ne sauraient être un critère de promotion. Nommer des préfets
parce qu’ils sont musulmans, juifs, bouddhistes ou athées, c’est adapter
la République au fait religieux et transformer la sphère publique en une
juxtaposition de communautés religieuses. Ce n’est nullement faire preuve
de volontarisme !
Prôner, comme il le fait, le développement des discriminations positives
en faveur des minorités visibles, c’est abandonner les principes de notre
République et compter les habitants de notre République par race ou
ethnie. Ce que la France n’a fait qu’aux pires moments de son histoire,
ceux de l’esclavage, de la colonisation ou du régime de Vichy.
Quand, sous l’influence de cette pensée aujourd’hui reprise par Nicolas
Sarkozy, les diverses communautés composant la France cessent de se
penser françaises, les juifs se mobilisent pour les juifs, les Arabes pour les
Arabes et les noirs pour les noirs.
Quand « la peste communautariste » se propage, le Front national prospère
! Car celui-ci n’est que la variante « gauloise » de cette maladie qui
attaque le corps de notre République.
Aujourd’hui, plus que jamais, il est temps non de rompre avec notre modèle
républicain mais d’en restaurer l’efficacité. On ne lui reproche pas ses principes
mais son inconséquence. La République doit conserver ses principes
mais surtout les appliquer. C’est ce à quoi il faut désormais s’atteler.
Et non pas à la diffusion des tentations communautaires !
L’inquiétante « rupture tranquille » de Monsieur Sarkozy
36
(1) Nicolas Sarkozy, La République, les religions, l’espérance, page 47, Cerf.
(2) Sondage CSA – La Croix, décembre 2004.
(3) Sylvain Brouard, Vincent Tiberj, Français comme les autres ? Enquête sur les citoyens d’origine maghrébine, africaine
et turque, Presses de Sciences Po, Paris, décembre 2005.
(4) Nicolas Sarkozy, La République, les religions, l’espérance, Cerf.
(5) Nicolas Sarkozy, La République, les religions, l’espérance, page 18, Cerf.
(6) Nicolas Sarkozy, La République, les religions, l’espérance, page 35, Cerf.
(7) Nicolas Sarkozy, La République, les religions, l’espérance, page 47, Cerf.
(8) Nicolas Sarkozy, La République, les religions, l’espérance, page 47, Cerf.
(9) Nicolas Sarkozy, La République, les religions, l’espérance, page 130, Cerf.
(13) Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires, Rapport 2004.
(10) Nicolas Sarkozy, La République, les religions, l’espérance, pages 54 et 55, Cerf.
(11) Nicolas Sarkozy, La République, les religions, l’espérance, page 130, Cerf.
(12) Nicolas Sarkozy, La République, les religions, l’espérance, page 163, Cerf.
(14) Nicolas Sarkozy, La République, les religions, l’espérance, page 122, Cerf.
(15) Aristide Briand, débats du 10 avril 1905, cité par J. M. Mayeur, La séparation de l’église et de l’État, Julliard,
1996, page 65.
(16) Aristide Briand, débats du 10 avril 1905, cité par J. M. Mayeur, La séparation de l’église et de l’État, Julliard, 1996,
page 82.
(17) Nicolas Sarkozy, La République, les religions, l’espérance, page 87, Cerf.
(18) Le nouvel observateur, 9 juillet 2005.
(19) Nicolas Sarkozy, La République, les religions, l’espérance, page 83, Cerf.
(20) Fiammetta Venner, OPA sur l’islam de France, Calmann-Levy.
(21) AFP, 10 décembre 2002.
(22) On ne connaît pas en fait précisément le nombre de musulmans en France. Nicolas Sarkozy parle souvent de 5 millions
de musulmans. Fiammetta Venner évoque le chiffre de 3,5 millions. Selon l’enquête CSA La Croix, on compterait
en France 2 millions de musulmans de plus de 18 ans.
(23) Nicolas Sarkozy, La République, les religions, l’espérance, page 83, Cerf.
(24) Extrait de la décision du Conseil d’État du 7 juin 1999, numéro 178 449, Ben Mansour.
(25) Hassan Iquioussen, Le voisinage, 20 juillet 2000, oumma.com, tiré de sa conférence du 11 juin 2000 à l’UOIF.
(26) Hani Ramadan, Le Monde, 10 septembre 2002.
(27) Nicolas Sarkozy, La République, les religions, l’espérance, page 84, Cerf.
(28) Fiametta Venner, OPA sur l’islam de France, Calmann-Levy.
37
En 1997, le gouvernement de Lionel Jospin avait lancé, lors du colloque
de Villepinte, une politique nouvelle de sécurité fondée sur une approche
globale de la délinquance et sur le triptyque prévention – répression – réparation.
Elle s'accompagnait d'une démarche de proximité, en rupture avec
la conception traditionnelle du maintien de l'ordre, et de partenariat associant
les communes dans le cadre des contrats locaux de sécurité. Des
budgets conséquents avaient été mobilisés pour la police et la justice. Malgré
ce bilan et cet effort de refondation de la politique de sécurité, la gauche
n'a pas pu –ou su – ôter de l'esprit des Français le préjugé selon lequel la
sécurité mobilise moins la gauche que la droite. Et pourtant, plus de quatre
ans après le 21 avril 2002, l’insécurité est toujours présente, la droite
et Nicolas Sarkozy n'ont rien réglé. S’appuyant sur une conception manichéenne
et utilitariste de la sécurité, Nicolas Sarkozy n'a fait que multiplier
les chantiers législatifs afin d'entretenir l'illusion médiatique d'un fléchissement
de la délinquance.
SA PENSÉE : UNE CONCEPTION MANICHÉENNE DE LA SÉCURITÉ
Dès sa nomination comme ministre de l’intérieur, Nicolas Sarkozy prône
le tout répressif, le tout carcéral et le tout policier.
La sécurité au dessus des libertés
ou la crispation sécuritaire
La déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 range,
dans son article 2, parmi « les droits naturels et imprescriptibles de
l'Homme » « la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l'oppres-
2
Nicolas Sarkozy
Ou le sécuritaire dangereux et inefficace
CAROLINE LAURENT
sion ». Elle place ainsi la sûreté, c’est-à-dire la sécurité des biens et des
personnes, au même rang que la liberté. Il y a alors deux manières d’articuler
la sécurité et la liberté.
Dans une première acception, l’une et l’autre se renforcent. C’est celle de
la gauche(29) et d’une partie de la droite, sa frange libérale au sens politique.
Il n'y a pas de liberté sans ordre, c'est-à-dire sans norme, sans coutume
et sans loi. Comme l'indiquait Lionel Jospin dans son dernier ouvrage
« Le monde comme je le vois », « l'ordre est consubstantiel à la liberté et
la République, soucieuse de l'intérêt général, s'attache à concilier l'ordre
public et la liberté du citoyen. La sécurité, garantie des libertés, est un droit
fondamental de la personne humaine ». Si la sécurité est un droit, l'insécurité
est alors une inégalité sociale de plus. Car l'insécurité frappe en premier
lieu les plus démunis. Tout d’abord parce qu’ils résident dans les zones
les plus exposées. Ensuite parce que plus le patrimoine est réduit, plus la
prédation ou le vandalisme sont difficiles à supporter. Enfin parce que les
vols, les petites agressions et les incivilités fabriquent, au-delà des préjudices
qu'ils entraînent, des atteintes à la dignité et des humiliations. C'est,
fort de ce constat, que le gouvernement de Lionel Jospin a agi de manière
résolue de 1997 à 2002 pour garantir la sécurité à laquelle chacun a droit.
L’autre acception de l’articulation de la sécurité et de la liberté est celle de la
droite autoritaire française et des conservateurs américains. Elle oppose la
sécurité et la liberté. L’une ne peut se renforcer qu’au détriment de l’autre. Il
faut choisir entre plus de liberté et plus de sécurité. Les implications concrètes
de cette conception sont faciles à percevoir : c’est la relégation au second
plan des libertés fondamentales comme la liberté d’expression, la liberté d’association
ou encore le droit à un procès équitable. Rien ne s’oppose alors à
leur restriction au nom de l’impératif de la sécurité intérieure…
On sait à quels abus a conduit, outre-Atlantique, cette conception de la
sécurité ! à la suite des attentats du 11 septembre qui exigeaient bien évidemment
de la part des États-Unis et de leurs alliés une action ferme et
résolue, Georges W. Bush a tourné le dos aux principes essentiels de nos
démocraties. L’adoption du Patriot Act, le 26 octobre 2001, constitue un
revirement spectaculaire par rapport aux règles traditionnelles de procédure
judiciaire, et notamment par rapport au respect de l'habeas corpus ;
la décision du Président Bush de soustraire les prisonniers d'Afghanistan
à la justice américaine, de les retenir et de les faire juger par des tribunaux
militaires à Guantanamo ; les tortures infligées par des soldats américains
aux prisonniers irakiens détenus à Abou Ghraib ou encore les vols affré-
38
L’inquiétante « rupture tranquille » de Monsieur Sarkozy
tés par la CIA pour des restitutions extraordinaires, c'est-à-dire l’envoi de
suspects vers des pays tiers afin qu’ils y soient interrogés, le cas échéant
sous la torture.
Veillons à ce que la France n’emprunte pas la même pente sous la houlette
de Nicolas Sarkozy. Il en prend le chemin en prônant le tout répressif,
le tout carcéral et le tout policier.
Le tout répressif ou la prévention abandonnée
L'opposition entre prévention et répression est aujourd'hui dépassée.
L’efficacité impose d'être « dur avec le crime et dur avec les causes du
crime » selon la célèbre formule de Tony Blair. Mieux prévenir, mieux punir,
mieux réparer, tels doivent être les trois axes d'une politique efficace de
lutte contre la délinquance.
La droite n'a toutefois jamais accepté cette analyse.
Tout d’abord parce qu’elle pense encore que le discours sur les responsabilités
collectives atténue les responsabilités individuelles. Or il n’en est
rien. La gauche le sait, les atteintes aux biens et aux personnes ne sont
pas la manifestation de révoltes sociales, elles ne sont que des crimes et
délits. La réflexion et le travail sur les causes sociales de la délinquance
n’ont jamais signifié l’impunité des responsables !
Ensuite – et plus fondamentalement – parce que la droite ne cherche pas
vraiment à s’attaquer aux causes profondes de la délinquance ; elle sait
que « le désordre est le meilleur serviteur de l’ordre établi » ainsi que le
disait fort justement Jean-Paul Sartre. Or la prévention, faut-il le rappeler,
consiste justement à empêcher la survenue d'actes délictueux… C’est pourquoi
la vocation d'un gouvernement de gauche est non seulement de maintenir
l’ordre public – c'est là le devoir de tout gouvernement – mais également
de traiter les causes sociales de cette violence. Il s’agit pour la gauche de
restaurer l’efficacité de ce que Philippe Robert, directeur de recherches au
CNRS, appelle l’état social de sécurité(30). La droite veut lui substituer un
état libéral de sécurité, c’est-à-dire un état qui isole de la réalité sociale la
recherche de la sécurité. Elle sait qu’isolée, la recherche de sécurité risque
alors de se dégrader en une crispation sécuritaire…. Pour son plus
grand profit électoral (et celui de l’extrême droite !).
La droite continue donc à écarter et à éluder les causes sociales de la délinquance.
Jadis, elle stigmatisait les classes dangereuses ; aujourd'hui Nicolas
39
Nicolas Sarkozy ou le sécuritaire dangereux et inefficace
40
L’inquiétante « rupture tranquille » de Monsieur Sarkozy
Sarkozy ne voit dans la délinquance qu'une addition de déviances individuelles.
En visite au quartier de Hautepierre à Strasbourg en octobre 2002,
il déclare « la guerre aux voyous »(31). Trois ans plus tard, le registre est le
même : « il faut nettoyer la cité au kärcher »(32). En visite sur la Grande Dalle
d'Argenteuil (Val-d'Oise) en octobre 2005, il promet aux habitants de la cité
de « les débarrasser des voyous » et « de la racaille »(33) . L’analyse est donc
toujours la même, rassurante : d’un côté un noyau d’individus violents, d’irréductibles
et de sauvages ; de l’autre ceux qui se lèvent tôt, qui travaillent
et qui n’en peuvent plus de subir la loi de ceux qui ont décidé de bafouer nos
règles. « Traitez » la racaille et vous aurez restauré l’ordre public !
En étant à ce point silencieux sur les causes sociales de la délinquance,
Nicolas Sarkozy est nécessairement simpliste sur les remèdes à lui apporter
: une police débarrassée des droits de la défense, des juges plus sévères
et des prisons bien remplies. Bref, rien que de la répression.
Il le revendique dès l’examen de son projet de loi sur la sécurité intérieure
à l’Assemblée Nationale : « La sanction, la répression, la punition, il ne faut
pas en avoir peur »(34). Exit la prévention : « Le nouveau Gouvernement est
convaincu que la répression est la meilleure des préventions »(35). En visite
à Hautepierre à Strasbourg, il martèle : « La sanction pour ceux qui la méritent.
La prévention pour ceux qui essaient de s’en sortir »(36). Et il le répète
au moment de l’examen de la loi sur la prévention de la délinquance : « La
sanction est donc le premier outil de prévention. Cette considération est
incontournable. Elle n’est ni de gauche ni de droite, mais relève du bon
sens. La première façon de prévenir les crimes est de laisser à penser à
ceux qui seraient tentés d’en commettre qu’ils risquent d’être interpellés
et punis»(37). Faut-il alors s’étonner des dérapages du préfet de Vaucluse
en octobre 2002 lorsque, parlant des gens du voyage, il répond à un élu «
Je n’ai aucune tendresse particulière pour ces gens-là. Ils vivent à nos crochets,
ils vivent de rapine, il faut que ça s’arrête »(38). Comme le dit Marie
George Buffet, « flatter le tout répressif, cela permet à certains de se lâcher.
C’est très inquiétant de la part d’un représentant de l’État ».
Cette politique exclusivement axée sur la répression est vouée à l’échec.
Car elle n'est pas seulement déséquilibrée, elle est aveugle, elle manque
de lucidité. Se limiter à combattre « la racaille », c’est faire l’économie de
l’analyse des causes profondes de la délinquance et notamment de celle
des jeunes qui n’a cessé de progresser depuis le milieu des années 90.
Certes on ne contient pas la délinquance sans réprimer ni sanctionner mais
on n'en extirpe pas les racines sans un puissant effort de prévention.
Nicolas Sarkozy ou le sécuritaire dangereux et inefficace
41
D’ailleurs, lorsque l’on interroge les Français le 27 octobre 2006(39), sur ce
qu’il faudrait faire en priorité pour lutter contre l’insécurité en France, 63 %
mettent en avant la lutte contre le chômage et l’exclusion…
Les policiers le savent aussi et, dès le 22 janvier 2003, Gérald Noulé, secrétaire
général du SNPT, le plus important syndicat de la police en tenue, le
rappelle à Nicolas Sarkozy à l'occasion des voeux 2003 : « La sécurité ne
peut pas reposer sur les seules épaules de Nicolas Sarkozy et des policiers
(...). Il nous faut éviter d'avoir dans l'avenir des générations perdues(...).
J'attends maintenant du gouvernement le grand volet prévention de sa politique
de sécurité ».
Mais il devra attendre car Nicolas Sarkozy s’emploie tout d’abord à casser
la police de proximité mise en place par ses prédécesseurs, Jean-Pierre
Chevènement et Daniel Vaillant. Il signe le 24 octobre 2002, dans la plus
grande discrétion, une circulaire portant révision des priorités de la politique
de sécurité.
Finie la police de proximité dont l’objectif était de construire une relation
de confiance avec la population et d'être à l'écoute des citoyens(40). Peu
importe que cette réforme fondée sur la surveillance préventive ait obtenu
des résultats et que, par exemple, la ville de Toulouse, pilote en matière
de police de proximité, figure parmi celles ayant enregistré les trois plus
fortes baisses de la délinquance en 2002 (– 4,8 %) avec, en particulier, une
chute notoire des faits délictueux en centre-ville et au Mirail (– 9 % en 2002).
Place à la chasse au délinquant ! « Je demande aux policiers non plus de
faire de l'ordre public mais d'interpeller »(41) Il ne s'agit plus de « faire de la
police de proximité pour voir ce qui s'y passe mais d'interpeller ». Et pour
marquer d’avantage encore les esprits, Nicolas Sarkozy se rend à Toulouse
et sermonne publiquement le directeur départemental de la sécurité publique,
coupable d’avoir fait le pari de la police de proximité : « La police, ce
n'est pas du social. Vous êtes là pour arrêter des voyous, pas pour organiser
des matchs de foot ». Il oublie que les émeutes de décembre 1998
dans le quartier du Mirail avaient instauré un état de guérilla urbaine, que
les policiers étaient alors terrés dans les commissariats et que seul l’engagement
volontariste et sans faille du DDSP de Haute-Garonne avait permis
un retour à une situation normale.
En fait, pour justifier la réorientation radicale des missions de la police vers
la seule interpellation et pouvoir ainsi redéployer vers les services de police
judiciaire les effectifs jusqu’alors affectés dans les quartiers populaires, il
L’inquiétante « rupture tranquille » de Monsieur Sarkozy
42
n’hésite pas à caricaturer la police de proximité. Mais caricature n’est pas
raison. Loin s’en faut. Car la police, pour être efficace, doit être proche des
citoyens. Seule cette police de proximité peut garantir la sécurité quotidienne
des Français. Elle est globale et intègre une dimension préventive
– la relation de proximité dans les quartiers – et une dimension répressive
pour que l’ordre public soit assuré en permanence et partout sur le territoire
national.
Ce n’est donc qu’en juin 2006, quatre ans après la victoire de Jacques Chirac
à l’élection présidentielle, que Nicolas Sarkozy présente en conseil des ministres
son projet de loi relatif à la prévention de la délinquance. On l’a connu
plus efficace dans l’inscription de ses priorités dans l’agenda gouvernemental
! Ce projet comporte une mesure phare : l’octroi au maire d’un pouvoir de
sanction – la mise sous tutelle des prestations familiales – si l’ordre ou la
tranquillité publique sont menacés par un défaut de surveillance ou d’assiduité
scolaire. Les maires s’insurgent. à gauche, Claude Dilain, le maire PS
de Clichy-sous-Bois, dénonce une mesure qui transforme les maires en « shérifs
». à droite, Jacques Pélissard, le président UMP de l’Association des maires
de France, rechigne à l’idée de devenir « un père fouettard ». Nicolas
Sarkozy n’en a cure, cette mesure résume sa conception pour le moins étroite
de la prévention ! Et il propose d’aller plus loin dans le caractère répressif de
la prévention : « nous vivons dans la culture de répétition de mesures qui ne
servent à rien. Je me demande si un mineur récidiviste de plus de 16 ans ne
pourrait pas être considéré comme un majeur »(42). En avançant l’idée d’un
abaissement de la majorité pénale, il revient sur le terrain de la répression
pure et dure et, sous couvert d’un débat sur la prévention, fait le procès du
laxisme de la justice vis-à-vis des jeunes. Il écrit ainsi le 19 juin au président
du tribunal pour enfants de Bobigny afin de dénoncer l'impunité dont auraient
bénéficié certains mineurs pour les faits dont ils se seraient rendus coupables
lors des émeutes de novembre 2005. « Les honnêtes gens qui partent
le matin au travail n’ont pas à baisser les yeux devant leurs agresseurs de
la veille. Nos concitoyens savent bien que leur système judiciaire n'apporte
plus les réponses adaptées à la délinquance aujourd'hui ». Le ministre affirme
ainsi que les trois adolescents impliqués dans l'incendie d'un bus à Sevran,
au cours duquel une femme handicapée a été brûlée vive, ont été laissés en
liberté. Le syndicat de la magistrature corrige : « ils sont placés en détention
provisoire depuis plusieurs mois. » Autre cas, l'agression grave d'un chauffeur
de bus : « Comment comprendre que ce mineur de 17 ans, déjà mis en
cause 55 fois comme auteur d'infractions, soit laissé en liberté par votre tribunal
» interroge le ministre. Le syndicat de la magistrature précise : « L’un
des co-auteurs est déjà incarcéré, les autres n'ayant pas encore été identiNicolas
Sarkozy ou le sécuritaire dangereux et inefficace
43
fiés par les services de police ». En fait, en mettant en fin de législature l’accent
sur la prévention, Nicolas Sarkozy cherche à instrumentaliser le grave
problème de la délinquance des mineurs… qu’il n’a pas réussi à résoudre
pendant ses quatre années passées au ministère de l’intérieur.
Le tout carcéral ou le choix de la solution américaine
Le choix du tout répressif débouche sur celui du tout carcéral. Nicolas Sarkozy
feint de ne pas « comprendre ce débat sur le nombre de personnes incarcérées
: on doit mettre en prison ceux qui le méritent, et on ne doit pas mettre
en prison ceux qui ne le méritent pas »(43) mais il sait en fait que le recours
à l’incarcération est un choix de société. Les différences nationales constatées
dans les taux d’incarcération le confirment : les États-Unis comptent
environ 715 détenus pour 100 000 habitants. Ce ratio leur confère la place
de numéro un de l’incarcération loin devant la Russie (584 détenus),
l’Afrique du Sud (402), la Chine (119) ou le Japon (54). Les pays d’Europe
de l’Ouest avoisinent le ratio de 100.
Ce sont donc bien les politiques menées et non l’évolution de la criminalité
qui peuplent les établissements pénitentiaires. L’exemple des états-
Unis est à cet égard édifiant : la criminalité y diminue depuis 1991 et pourtant
les prisons américaines, illustration de l’industrie de la punition(44), viennent
de connaître une croissance record de leurs effectifs : en 2003, 2,1
millions de personnes y étaient incarcérées. Un Américain sur 140 ! En fait,
les entrées en prison ont explosé et les peines infligées aux condamnés
se sont allongées sous l’effet de deux types de lois : celles sur la « vérité
des peines » qui prévoient que les condamnés effectuent au moins 85 %
de leur temps d’emprisonnement et celles sur les récidivistes qui instaurent
à partir de la troisième infraction commise des peines automatiques
allant jusqu’à la réclusion à perpétuité.
En France, on constate les débuts d’une évolution à l’américaine. Les effectifs
des prisons n’ont cessé d’augmenter depuis 2001. Le taux de détention
s’établit à environ 100 détenus pour 100 000 habitants contre 75 en 2 000.
Il a doublé depuis les années 70. à l’été 2004, avec 64 000 personnes incarcérées,
les établissements pénitentiaires ont ainsi dépassé le chiffre record
de 1946 qui s’établissaient à 62 000 détenus. à l’origine de ce phénomène :
tout d’abord l’augmentation des détentions provisoires prononcées dans le
cadre des informations judiciaires et ensuite le durcissement de la répression.
On sait que, prévu par les lois Perben sur la criminalité, l’allongement,
pour de nombreuses infractions, des peines encourues, pourrait aggraver
la sur-occupation des établissements pénitenciers et dégrader les condiL’inquiétante
« rupture tranquille » de Monsieur Sarkozy
44
tions de détention, de même que le projet, un temps envisagé par Nicolas
Sarkozy, d’instaurer des peines minimales non aménageables pour les récidivistes.
D’ailleurs, il y revient en novembre 2006 et redit que, pour lui, « il
importe d’ouvrir un débat sur la question des peines minimales pour les délinquants
récidivistes coupables d’atteintes aux personnes. (…) Rien ne s’oppose
donc à ce que l’instauration d’une peine plancher soit envisagée,
puisqu’on imagine mal une maison qui n’ait à la fois un plancher et un plafond.(…)
Au-delà de la nécessaire liberté des magistrats, l’automaticité de
la sanction peut légitimement être considérée comme étant elle aussi nécessaire
pour prévenir la récidive. Ce qui importe, c’est le résultat, plus que les
modalités(45) ». Le message est on ne peut plus clair…
Le tout policier ou le pouvoir judiciaire inféodé
au ministère de l’intérieur
Avec le déploiement d’une politique exclusivement répressive et carcérale,
il était inévitable que le ministère de la Justice devienne une sorte de
succursale du ministère de l’intérieur. La place Vendôme au service de la
place Beauvau ! Dominique Perben puis son successeur à la chancellerie,
Pascal Clément, furent ainsi relégués en quelque sorte au rang de ministre
délégué auprès du ministre de l’intérieur, en charge de l’application judiciaire
de la politique de Nicolas Sarkozy !
Nicolas Sarkozy n’hésite pas, en effet, en décembre 2003, à aller prêcher la
bonne parole à l’école Nationale de la Magistrature. Cette visite inquiète les
futurs juges qui connaissent sa propension à vouloir réécrire le code pénal en
lieu et place de la chancellerie(46). Me Frédéric Georges, du Syndicat des avocats
de France (SAF, gauche), déclare : « nous voulons défendre l’indépendance
de la justice » ; sa venue à l’ENM prend une dimension « inquiétante au
moment où les lois qui touchent au pénal et donc aux libertés publiques sont
écrites place Beauvau ». L’Union Syndicale des Magistrats (USM, modérée)
« déplore » cette visite « inopportune » et rappelle que « la tradition républicaine
est une séparation nette des sphères policière et judiciaire ».
La loi Perben II du 9 mars 2004 accorde au parquet et à la police des pouvoirs
nouveaux là où devaient s’affirmer, dans l’intérêt des justiciables, l’indépendance
des magistrats et l’équilibre des parties au procès pénal. Aux
garanties du procès équitable, publiques et contradictoires, les nouveaux
textes substituent des procédures sommaires où s’efface la mission de
l’avocat et s’amenuisent les pouvoirs du juge. Cette loi marque la régression
qui emporte notre justice. Elle va bien au-delà de l’abrogation des dispositions
de la loi Guigou(47).
Nicolas Sarkozy ou le sécuritaire dangereux et inefficace
45
Autre témoignage de cet alignement de la chancellerie sur la place Beauvau :
la sanction infligée le 2 février 2006, à Didier Peyrat, vice procureur chargé
des mineurs à Pontoise. Celui-ci avait osé user de la liberté d’expression
reconnue à chaque citoyen et publier deux tribunes dans Libération et Le
Monde critiquant la politique conduite par Nicolas Sarkozy(48). Il aurait violé
l’obligation de réserve s’imposant aux magistrats… Voilà une conception
bien extensive de cette obligation !
Nicolas Sarkozy récidive quelques mois plus tard : le 8 juin, il formule contre
le tribunal pour enfants de Bobigny des accusations de laxisme pour son
traitement des émeutes de novembre 2005 alors que le ministre de la justice
avait félicité ces magistrats pour leur travail. Le 19 juin, le ministre de
l'intérieur envoie à Jean-Pierre Rosenczveig, président de ce tribunal, une
lettre déplorant que la justice n'ait prononcé qu'une seule et unique incarcération,
alors que le parquet en demandait douze. Il abuse de la rhétorique
des juges qui remettent en liberté les personnes arrêtées par la police
et n’hésite pas à se fonder sur des éléments de faits inexacts ainsi que l’indiquera
le syndicat de la magistrature(49).
SON ACTION : UN ACTIVISME LÉGISLATIF POUR RASSURER…
Nicolas Sarkozy veut rassurer les Français en ajoutant de nouvelles pages
au code pénal ! Il multiplie donc les lois : la loi du 29 août 2002 d’orientation
et de programmation pour la sécurité intérieure, la loi du 18 mars 2003
pour la sécurité intérieure, la loi du 26 novembre 2003 relative à la maîtrise
de l’immigration, au séjour des étrangers et à la nationalité, la loi du 23 janvier
2006 relative à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses
relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers, la loi du 24 juillet
2006 relative à l'immigration et à l'intégration.
En fait, il se saisit de dossiers sensibles, emblématiques, pour renforcer
son image d’homme d’action volontariste mais l’action qu’il conduit a pour
objet non de régler les problèmes, comme clamé partout haut et fort, mais
de s’en donner l’apparence à grand renfort de médiatisation.
La loi sur la sécurité intérieure ou de nouveaux délits
censés régler l’insécurité
La loi sur la sécurité intérieure du 18 mars 2003 est symptomatique de sa
démarche. Les habitants des quartiers défavorisés sont les premiers à souffrir
de la délinquance et des incivilités au quotidien. Nicolas Sarkozy présente
donc son projet de loi comme « celui de la France des oubliés, des
L’inquiétante « rupture tranquille » de Monsieur Sarkozy
46
pauvres, des plus modestes, de tous ceux dont la vie quotidienne est devenue
un enfer ». La réalité est moins avouable. Car si le 23 octobre 2002, il
dépose son projet de loi à l’Assemblée nationale, le lendemain, il signe la
circulaire mettant fin à la police de proximité qui bénéficiait pour l’essentiel
à ces quartiers en difficulté ! Au final, la police aura déserté ces quartiers
et les nouveaux crimes et délits créés par cette loi génèrent plus de
problèmes qu’ils n’en résolvent. En effet, plusieurs dispositions de la loi du
18 mars 2003 aboutissent à stigmatiser des populations déjà vulnérables
et à renforcer leurs difficultés.
Le délit de stationnement dans les halls d’immeubles
ou la stigmatisation des jeunes
Selon l’article 61 de cette loi, « l’entrave apportée, de manière délibérée à
l’accès et à la libre circulation des personnes ou au bon fonctionnement
des dispositifs de sécurité et de sûreté, lorsqu’elles sont commises en réunion
de plusieurs personnes ou complices, dans les entrées, cages d’escaliers
ou autres parties communes d’immeubles collectifs d’habitation,
sont punies de deux mois d’emprisonnement et de 3 750 € d’amende ». Ce
nouveau délit « pour stationnement dans les halls d’immeubles » exonère
les bailleurs de leurs efforts d’aménagement des halls d’immeubles et stigmatise
les jeunes dans les cités. Mais surtout quel en a été l’impact ? Son
efficacité a-t-elle été évaluée ? Nicolas Sarkozy n’en a plus jamais parlé !
Si son bilan de la délinquance 2003 fait état de 238 faits de regroupements
illicites dans les halls ou sous les toits d’immeubles collectifs d’habitation,
aucun bilan ultérieur n’y reviendra. Ce délit n’est donc pas même suivi dans
les statistiques annuelles de la police nationale !
Le racolage passif ou la transformation des prostituées
en délinquantes
Nicolas Sarkozy prétend vouloir régler la délicate question de la prostitution.
Il déclare qu’elle est « assimilable à une forme d’esclavagisme » et qu’il est
en conséquence « nécessaire d’interdire tout racolage, actif ou passif, de le
transformer en délit et de réhabiliter le délit d’exhibition »(50). Institué par l’article
50 de la loi, le délit de racolage, désormais passible de 2 mois de prison
et 3 750 € d'amende, n’est pas créé « dans l’optique de punir des malheureuses
» mais « pour les protéger »(51). Cette politique n’a en fait rien réglé.
Les prostituées sont clairement les victimes des réseaux de proxénétisme.
On en compte entre 15 000 et 18 000 en France, dont 6 000 à Paris. Selon
l’Office central pour la répression de la traite des êtres humains (OCRTEH),
les jeunes femmes étrangères offrant des services sexuels représentent
Nicolas Sarkozy ou le sécuritaire dangereux et inefficace
47
depuis 1999 plus de la moitié du nombre total de prostituées alors que leur
proportion était auparavant inférieure à 30%. La tendance est plus marquée
encore s’agissant des hommes puisque 78% des prostitués à Paris
sont de nationalité étrangère. Les « recettes » générées par la prostitution
en France sont comparables à celles du trafic des stupéfiants et sont évaluées
entre 2,3 et 3 M€. D’après l’OCRTEH, chaque prostituée est supposée
« rapporter » entre 450 et 760 € par jour dont elle ne garderait que
45 € ; le proxénète, en fonction du nombre de femmes « contrôlées » pourrait
gagner jusqu’à 9 150 € par jour.
Avec la loi de Nicolas Sarkozy, de victimes, les prostituées sont devenues
des délinquantes.
Comme l’indique Malka Marcovitch(52), historienne et présidente du
Mouvement pour l’abolition de la prostitution et la pornographie et de toutes
formes de violences sexuelles et discriminations sexistes (MAPP), « Ces
deux approches, celle des quartiers réservés et celle du racolage, ne donnent
de place ni à la prévention ni à la protection et la réinsertion des victimes
de la prostitution et de la traite. (…) à partir du moment où le racolage
devient un délit, les personnes en situation de prostitution ne seront plus
considérées comme des victimes, ce qui est contraire à la convention de
1949, mais comme des personnes auteurs de délits, au même titre que les
hommes qui achètent des services sexuels. Les femmes qui sont déjà victimes
des proxénètes se verront alors sur-victimisées par des mesures
policières à leur encontre. On doute dans ces conditions qu’elles participent
à des enquêtes de police ».
Claude Boucher, directrice de l’association « Les Amis du Bus des femmes
», créée par d’anciennes prostituées, résume bien l’objectif de Nicolas
Sarkozy : « Ce n’est pas un texte de prohibition de la prostitution, mais d’ordre
public de trottoir. (…) Ce texte veut faire des prostituées des délinquantes
et les retirer du trottoir, d’une façon ou d’une autre »(53).
La loi du 18 mars 2003 a en fait aggravé la situation des prostituées. Le déplacement
de la prostitution aux confins des villes, dans les friches industrielles,
dans les bois, en bordure de champs, rend la prévention plus difficile et
accroît l'insécurité. La loi est très inégalement appliquée selon les pressions
des riverains ou l'origine des prostituées. Les associations d’aide aux prostituées
constatent des abus dans le comportement puisque le nombre des
interpellations (7 500 en novembre 2004) est beaucoup plus faible que celui
des condamnations judiciaires (quelques centaines seulement).
L’inquiétante « rupture tranquille » de Monsieur Sarkozy
48
C’est pourquoi, deux ans après l’adoption de la loi pour la sécurité intérieure,
les associations réunies à Paris le 15 mars 2005 en demandaient
l’abrogation(54).
Enfin, la loi du 18 mars 2003 n’a pas permis de réduire efficacement les
réseaux de proxénétisme. La multiplication des expulsions n'a pas découragé
les réseaux, elle a au contraire « fait grimper les prix des trafiquants ».
Elle n’a prévu aucune mesure légale pour protéger les victimes acceptant
de dénoncer leurs proxénètes ou de coopérer avec la police et la justice.
Le délit de mendicité ou le retour aux solutions du 19ème siècle
La loi du 18 mars 2003 comporte deux dispositions en matière de mendicité.
Son article 64 qualifie de délit l’exploitation de la mendicité et son article
65 prévoit que « le fait, en réunion et de manière agressive, ou sous la
menace d’un animal dangereux, de solliciter sur la voie publique, la remise
de fonds, de valeurs ou d’un bien est puni de six mois d’emprisonnement
et de 3 750 € d’amende ».
Ces deux dispositions marquent une incroyable régression. Comme le rappelle
Julien Damon(55), directeur de la recherche à la Caisse Nationale des
Allocations Familiales (CNAF), les vagabonds ont longtemps été la cible des
politiques publiques. Au 20ème siècle, avec l’ambition de l’État social, le mendiant
passe du droit pénal au droit social. Vagabondage et mendicité restent
des délits mais l’évolution de la législation privilégie les mesures d’aide.
Au début des années 90, plusieurs maires prennent des arrêtés pour restreindre
la mendicité. Une circulaire du ministre de l’intérieur du 20 juillet
1995 fournit un fondement à ces arrêtés. Julien Damon rappelle que ces
arrêtés « mettent en lumière l’actualité de la distinction sempiternellement
opérée entre les « bons » et les « mauvais » (ou les « vrais » ou les « faux »)
pauvres, entre les clochards dignes de pitié et les vagabonds appelant la
répression ». Tel est bien encore le sens des articles 64 et 65 de la loi pour
la sécurité intérieure…
Les personnes sollicitant la charité publique n’ont pourtant jamais menacé
la sécurité publique. Et les services statistiques de la police nationale ne
s’y sont d’ailleurs pas trompés : ils n’ont jamais recensé les délits de l’article
65 relatifs à la mendicité « agressive » et se sont contentés d’une seule
statistique annuelle pour l’exploitation de la mendicité : c’était en 2003,
l’année d’adoption de la loi - ils ne pouvaient faire moins sauf à être durement
réprimandés - ils avaient alors recensé… 66 faits !
Nicolas Sarkozy ou le sécuritaire dangereux et inefficace
49
Les lois sur l’immigration ou la production assurée
de clandestins
L'ordonnance de 1945 a déjà été modifiée à maintes reprises, et notamment
de façon équilibrée par la loi relative à l'entrée et au séjour des étrangers
en France et au droit d'asile, dite loi résida, du 11 mai 1998. Mais cela
importait peu, Nicolas Sarkozy, en chantre de l'ordre moral, voulait, à l'instar
de Charles Pasqua, sa loi sur l'immigration. Il aura finalement fait mieux
que son prédécesseur puisqu'il aura été l’auteur, au cours d'une même
législature, de deux lois successives sur l'immigration.
La loi du 26 novembre 2003 ou un échec reconnu à demi-mot
Faut-il conclure à l’échec de la loi du 26 novembre 2003 relative à la maîtrise
de l’immigration, au séjour des étrangers et à la nationalité ? Beaucoup
se le demandent puisque Nicolas Sarkozy a déposé devant les assemblées
le 29 mars 2006 un second projet de loi sur l'immigration alors même que
tous les décrets d'application de la précédente ne sont pas encore parus.
Pour la première fois depuis 1974, un même ministre de l'intérieur, au cours
de la même législature, présente donc deux projets de loi sur l'immigration...
La loi du 26 novembre 2003 avait deux objectifs selon le ministre de l'intérieur
: « réformer la double peine » et « mettre un frein à la dérive des flux
d'immigration créée par la loi Chevènement de 1998 » en dotant l'État de
« véritables outils de lutte contre l'immigration clandestine ». On peut aujourd'hui
mesurer l’échec de chacune de ces deux ambitions.
La double peine ou derrière les déclarations, le maintien des restrictions
Contrairement à ce que beaucoup peuvent croire, la double peine n’a pas
été supprimée. La loi du 26 novembre 2003 maintient en effet les expulsions
et la peine complémentaire d’interdiction du territoire qui frappent les délinquants
d’origine étrangère qui n’ont aucun lien avec le territoire français.
Seules quatre catégories d’étrangers se trouvent en fait protégées contre
l’expulsion et l’interdiction du territoire français : les étrangers nés en France
ou qui y résident depuis l’âge de 13 ans ; les étrangers qui résident régulièrement
en France depuis 20 ans ; les étrangers qui résident régulièrement
en France depuis 10 ans et sont mariés depuis 3 ans à un ressortissant français
ou à un ressortissant étranger qui a passé toute son enfance en France ;
enfin les étrangers qui résident régulièrement en France depuis 10 ans et
qui sont parents d’enfants français. Sont en outre systématiquement exclus
de cette protection les étrangers auteurs d’actes de terrorisme, d’atteinte
aux intérêts fondamentaux de l’État ou de provocation à la haine raciale.
L’inquiétante « rupture tranquille » de Monsieur Sarkozy
50
Ainsi, Nicolas Sarkozy n’a pas supprimé la double peine comme il ne cesse
de l’affirmer : la protection dite absolue n’est accordée qu’à certaines catégories
strictement limitées et connaît en outre des exceptions.
Selon les associations de défense des droits des étrangers, le bilan de l'application
de ces dispositions transitoires est particulièrement insatisfaisant.
De nombreux étrangers n'ont pu obtenir l'abrogation de leur arrêté d'expulsion
ou la levée de leur interdiction du territoire. Certains ne pouvaient
fournir des preuves suffisantes de leur résidence habituelle en France ;
d'autres, déjà expulsés, ont rencontré des difficultés à obtenir un visa pour
revenir en France et déposer le dossier requis dans les délais fixés par la
loi. D’une manière générale, la procédure est extrêmement lente, tant au
niveau des préfectures que des tribunaux chargés d'instruire les appels ;
les demandes déposées par les étrangers qui remplissent les conditions
requises sont souvent rejetées sans motif ou n’obtiennent aucune réponse !
Les associations dénoncent une application restrictive de la loi et des inégalités
territoriales dues aux exigences différenciées des services préfectoraux
d'un département à l'autre du territoire français.
L’information sur ces dispositions législatives nouvelles reste très limitée.
Au lendemain du vote de la loi, entre 5 000 et 10 000 personnes concernées
par des mesures transitoires n'ont pas déposé de recours par manque
d'information sur les conditions requises et sur l'existence d'une date
butoir. Aujourd’hui encore, les conditions faites aux détenus sous le coup
d'une mesure d'expulsion rendent très difficile l’exercice de leur droit à rester
en France : ils ne peuvent prétendre, au même titre que les autres détenus,
à des autorisations de sortie, à une libération conditionnelle ou à des
aménagements de peine.
Enfin, Nicolas Sarkozy lui-même demande lors des émeutes dans les cités
en novembre 2005 que sa loi ne soit pas appliquée… En effet, la loi de l’audimat
et l’obsession du ministre de l’intérieur de toujours coller à l’événement
le conduisent à demander l’application de la double peine pour tous
les jeunes impliqués dans les émeutes ! Après avoir déclaré devant les parlementaires
: « Quand on a l’honneur d'avoir un titre de séjour, le moins
que l'on puisse dire c'est que l'on n'a pas à se faire arrêter en train de provoquer
des violences urbaines !(56)», il demande aux préfets d'expulser les
étrangers - même titulaires d'un titre de séjour - condamnés pour les émeutes
nocturnes. 1 800 émeutiers sont interpellés, quelque 120 étrangers
majeurs, la grande majorité en situation régulière, sont directement concernés
par les injonctions du ministre.
Nicolas Sarkozy ou le sécuritaire dangereux et inefficace
51
Nicolas Sarkozy peut souligner qu’il ne préconise pas le retour de la double
peine puisque les émeutiers sont frappés non d’une sanction pénale
assortie d’une expulsion mais d’une simple et unique sanction administrative
prise par le préfet ou le ministre de l'Intérieur lui-même pour cause de
«menace grave à l'ordre public». Mais voilà tout de même une mesure qui
y ressemble fort ! Pierre Henry, président de France Terre d'asile, ne s’y
est pas trompé : « on assiste là au retour de la double peine»(57).
De nouveaux outils de lutte contre l'immigration clandestine aux effets dévastateurs
Deux ans et demi après le vote de la loi du 26 novembre 2003, dans un rapport
d'évaluation, établi en mars de 2006, le député UMPdu Vaucluse, Thierry
Mariani, se félicite de ses succès. Il évoque la hausse des chiffres des interpellations
d'étrangers en situation irrégulière (de 44 500 en 2004 à 64 000
en 2005) et des éloignements effectifs du territoire français. Ces derniers
sont passés de 11 692 en 2003 à 19 849 en 2005.
Le nombre de personnes éloignées a effectivement augmenté, mais à quel
prix ? Les associations de soutien aux étrangers s'inquiètent et dénoncent
les effets dévastateurs de la politique menée depuis 2003 : arrestations
massives dans certains quartiers, placements en rétention à répétition de
personnes non reconductibles, y compris les enfants...
Même la commission sénatoriale sur l'immigration clandestine s’inquiète.
Dans un rapport rendu public le 13 avril 2006, elle appelle le gouvernement
à prendre garde que « les objectifs ambitieux » qu'il s'est
fixés (25 000 éloignements effectifs en 2006) « ne poussent pas certains
services à faire du chiffre ». La commission sénatoriale insiste sur le
caractère « aléatoire » des interpellations et sur l'absence de ciblage
des publics en situation irrégulière à éloigner. Une telle politique n'a de
réelle efficacité que « si l’éloignement intervient le plus rapidement possible
après l'entrée sur le territoire », faute de quoi elle amène à « des
situations inextricables et humainement bouleversantes » relèvent les
sénateurs.
La loi du 24 juillet 2006 ou le faux alibi de l’immigration choisie
Il faut croire pourtant que cette première loi votée en novembre 2003 n’aura
pas été suffisante… Nicolas Sarkozy justifie la nécessité d'une nouvelle
loi sur l'immigration par son souci de vouloir « promouvoir une immigration
choisie » pour la substituer à « l'immigration subie ». En fait, sa loi aboutit
surtout à précariser la situation des étrangers installés en France.
L’inquiétante « rupture tranquille » de Monsieur Sarkozy
52
Le mauvais prétexte de l'immigration choisie
Relancer une immigration professionnelle, qualifiée et utile à l'économie
française, tel serait l'objectif de Nicolas Sarkozy.
On peut tout d'abord contester la pertinence d'une telle politique qui consiste
à favoriser l'installation professionnelle en France des diplômés étrangers
de niveau au moins égal au master et qui octroie une carte de séjour « compétences
et talents » avec des avantages particuliers pour les sportifs de
haut niveau, les artistes et les intellectuels renommés. Au lieu de faciliter
la circulation des étrangers par l'octroi de visas à entrées multiples, cette
politique favorise l'installation définitive en France et participe au pillage
des élites des pays en développement.
Mais on peut surtout s'interroger sur la nécessité de recourir à une loi pour
recruter des immigrés qualifiés. La France a déjà su s'ouvrir à l'immigration
qualifiée par de simples instructions ministérielles en 1998 et en 2002.
Et si tel était vraiment l’objectif de Nicolas Sarkozy, pourquoi alors n'ouvrir
qu'au compte-goutte le marché du travail français aux ressortissants des
nouveaux états membres de l'Est ? Tout simplement parce que tel n'est
pas du tout l'objectif de cette loi !
La réduction des droits des étrangers ou la vraie raison de la loi Sarkozy II
à un an de l'élection présidentielle, le projet de loi de Nicolas Sarkozy a
avant tout une visée électoraliste : rassurer l'électorat de droite et d’extrême
droite en prétendant lutter toujours et encore contre l'immigration,
qu’elle soit d’ailleurs illégale ou non. Il reste que l'on doit s'interroger sur
l'efficacité des mesures envisagées.
Première mesure : l'abrogation de la régularisation de plein droit après
10 années de présence en France ou sur le fondement de la vie privée
et familiale. C'est là une mesure totalement inefficace au regard des objectifs
poursuivis puisque le nombre de personnes régularisées sur ces bases
était pour le moins modeste : 3 916 en 2004 après 10 années de séjour
et 13 989 au nom de l'existence de liens personnels et familiaux. C'est
surtout une mesure potentiellement dangereuse car, comme l'observe
le chercheur et spécialiste de l'immigration Patrick Weil, en supprimant
ou en restreignant fortement les principaux dispositifs de régularisation,
Nicolas Sarkozy se prive des outils permettant une régularisation au fil
de l'eau et évitant ainsi les régularisations de masse. En d'autres termes,
Nicolas Sarkozy fabrique des sans-papiers, lui qui prétend lutter
contre l'immigration clandestine ! Et cela lui donnera alors l’occasion de
Nicolas Sarkozy ou le sécuritaire dangereux et inefficace
53
jouer de nouveau le rôle de l’homme au grand coeur en autorisant, pour
des considérations humanitaires, la régularisation des papiers des personnes
en situation de grande détresse. C’est ce qu’il fit en juin dernier,
face à la mobilisation croissante en faveur des enfants sans papier, en
annonçant des mesures de régularisation au cas par cas d’élèves étrangers
scolarisés en France (alors même que son projet de loi supprime
les régularisations sur le fondement de la vie familiale !). Mais comme
pour la double peine, il voulait une décision avant tout symbolique : 720
familles étaient soi-disant concernées. Au 15 août, les préfectures
avaient déjà enregistré 30 000 demandes. Il affirme que seuls 6 000 personnes
sont régularisables mais que faire des autres qui sont parfois en
France depuis de nombreuses années ? Comme l’a dit la commission
sénatoriale sur l'immigration clandestine dans un rapport rendu public
le 13 avril 2006, la politique de reconduite à la frontière conduit à « des
situations inextricables et humainement bouleversantes » quand elle
intervient aussi tardivement.
Deuxième mesure :le durcissement des conditions du regroupement familial
et des unions mixtes. Autant la lutte contre les fraudes est légitime,
autant le durcissement des conditions de vie en France des couples mixtes
et des familles étrangères comporte le risque très fort de remettre en
cause des droits fondamentaux. Or Nicolas Sarkozy prend ce risque alors
que seules 25 000 personnes sont chaque année admises au titre du regroupement
familial. Nous sommes très loin des flux d'entrée atteints en 1971,
lorsque le regroupement familial était à son plus haut niveau avec plus de
80 000 personnes. Le gouvernement affirme vouloir mettre l'accent sur l'intégration
des étrangers dans la société française ; en fait, il remet en cause
le premier vecteur d'intégration sociale que constitue la vie en famille et
prend le risque de développer des familles réunies dans l'illégalité et dont
les membres ne sont ni régularisables ni expulsables.
Au total, officiellement destiné à intégrer les immigrés, ce projet de loi les
déstabilise en organisant leur précarité, en légitimant la suspicion et en
renforçant le durcissement de leurs conditions de régularisation et de leur
statut de résident.
En fait, Nicolas Sarkozy se trompe d’objectifs comme l’indique Smaïn Laacher,
sociologue spécialiste des questions migratoires et chercheur au Centre
d’études des mouvements sociaux : « la lutte contre « l’immigration clandestine
» doit criminaliser les trafiquants d’êtres humains et non celles et
ceux qui en sont les victimes »…
L’inquiétante « rupture tranquille » de Monsieur Sarkozy
54
Le projet de peine automatique pour les multirécidivistes
ou la volonté de toujours copier les états-Unis
Trop occupé à « traquer l’immigré », Nicolas Sarkozy n’a pu faire aboutir
son projet d’instaurer des peines automatiques pour les multirécidivistes.
Pourtant, « c'était l'un de (ses) thèmes favoris sous Raffarin. à
l'époque, d'une estrade à l'autre, il réclamait des peines plancher, à l'américaine.
à peine réinstallé à l'Intérieur, il a ressorti ce dossier »(58).Et de
peaufiner sa théorie par des formules choc : « Pour eux, 2+2 doivent
faire 8 »(59).
Mais ce projet a été victime des aller-retour de Nicolas Sarkozy entre la
place Beauvau, le ministère des finances et la présidence de l’UMP…. En
effet, la proposition de loi relative au traitement de la récidive des infractions
pénales est déposée par l’UMPle 1er décembre 2004 quelques jours
après le départ de Nicolas Sarkozy du gouvernement pour la présidence
de l’UMP. Elle est définitivement adoptée le 12 décembre 2005, quelques
mois à peine après son retour au gouvernement en juin…
Mais comme bien souvent, Nicolas Sarkozy va puiser son inspiration directement
outre-Atlantique et non dans les autres expériences conduites en
Europe. Il existe en effet deux types de régimes judiciaires.
Le premier prévoit des peines minimales automatiques dites « peines plancher
». Il est d’inspiration anglo-saxonne et son illustration la plus emblématique
est la loi adoptée par l’état de Californie en 1994 : elle oblige le
juge à prononcer une peine s’échelonnant de 25 années d’emprisonnement
à la réclusion à perpétuité lorsque la même personne est condamnée
pour la troisième fois, et cela sans que ni la nature des infractions ni
la prescription des faits ne soient prises en considération. C’est la loi dite :
« three strikes and you’re out ». Elle a ainsi permis en 1995 la condamnation
de René Landa à une peine de réclusion à perpétuité assortie d’une
mesure de sûreté de 27 ans pour le vol d’une roue de secours au motif que
l’intéressé s’était rendu coupable, en 1972 et 1986, de deux condamnations
pour vol avec effraction…
L’autre modèle, majoritaire en Europe, est fondé sur l’individualisation de
la peine. Il fait de la récidive une circonstance aggravante que le juge peut
relever en fonction de la personnalité du condamné. Dans ce système, aucune
sanction automatique mais, le cas échéant, une aggravation de la peine
prononcée par le juge au regard des circonstances de chaque espèce.
Nicolas Sarkozy ou le sécuritaire dangereux et inefficace
55
Alors faut-il prendre en Europe, et en France en particulier, le risque de
prononcer automatiquement des peines aussi disproportionnées que celles
que l’on observe aux états- Unis ? Combien de personnes « récidivent »
et quelles sont les principales infractions concernées ? Quelques chiffres
permettent de fixer les idées.
Le critère déterminant de la récidive est donc la nature de l’infraction.
Parmi les 326 053 condamnés pour délits en 2001, 102 127 avaient déjà
été condamnés au moins une fois entre 1997, ce qui situe le taux de réitération
à 31,3 %. Ce taux de récidive pour les délits est nettement plus élevé
pour les condamnés pour vol (42 %), pour outrage (46,1 %) ou pour port
d'armes (41 %) qu'en matière de conduite en état alcoolique (25 %), d'escroquerie
(23 %) ou de moeurs (14,6 %). Deux catégories d'infractions regroupent
plus de la moitié des « réitérants » pour délits puisque 54 051 étaient
des « réitérants » pour vols ou conduite en état alcoolique.
Pour les crimes, les récidivistes sont au nombre de 137 pour 2001 : 87 l'ont
été pour vol aggravé, 28 pour viol et 11 pour homicide. Le taux moyen de
récidive criminelle s'établit à 4,7 % mais il varie de 14,7 % pour les vols
aggravés à 1,8 % pour les viols.
Comme l'a souligné Jean-Louis Nadal, procureur général près la cour de
cassation, lors de son audition par le Sénat dans le cadre des travaux pré-
1996
1997
1998
1999
2000
2001
353 982
374 614
383 342
388 734
382 218
326 053
105 625
109 129
111 765
114 842
117 429
102 127
29,8
29,1
29,2
29,5
30,7
31,3
2 755
3 019
3 321
3 439
3 021
2 933
133
139
140
145
117
137
4,8
4,6
4,2
4,2
3,9
4,7
Nombre
de condamnés
Dont
condamnés avec
antécédents
Taux
de récidive
(sur 5 ans)
Nombre
de condamnés
Dont
condamnés avec
antécédents
Taux
de récidive
(sur 5 ans)
Délits Crimes
Les taux de récidive(60)
L’inquiétante « rupture tranquille » de Monsieur Sarkozy
56
paratoires au vote de la loi du 12 décembre 2005, le traitement de la récidive
suppose en premier lieu pour le juge la possibilité de prononcer « la
peine la mieux adaptée à la situation du condamné et à la gravité des faits ».
Il importe, selon lui, d'abord d'orienter de manière adaptée chaque procédure
– de ne pas opter, par exemple, pour un simple rappel à la loi pour une
personne dont le comportement justifierait une poursuite devant le tribunal
– et de privilégier la progressivité dans le prononcé des sanctions.
Plutôt que de se satisfaire de formules chocs et de solutions incantatoires, il
faut s’interroger sur les déterminants de la récidive. La persévérance dans la
délinquance peut être associée à des troubles de comportement voire à des
déséquilibres psychiques graves. Tel est en particulier le cas des auteurs d'infractions
sexuelles qui représentent désormais plus de 20% de la population
pénitentiaire. En outre, comme l'a indiqué Mme Betty Brahmy, psychiatre,
médecin-chef du service médico-psychologique régional (SMPR) de Fleury-
Mérogis, lors de son audition par le Sénat, près de 30 % des auteurs d'infractions
sexuelles seraient des pervers et 10 % des débiles. Or ces pathologies
ne seraient pas susceptibles d'un traitement psychiatrique. La dangerosité
de ces personnes demeure élevée. Leur prise en charge appelle, au-delà
d'une réponse strictement judiciaire, une réflexion bien plus approfondie.
Dans son rapport rendu le 25 juin dernier, la mission d'information sénatoriale
sur les personnes dangereuses menée par le sénateur UMP Philippe
Goujon a rejeté l'idée de maintenir enfermés les criminels atteints de troubles
mentaux pour empêcher leur éventuelle récidive. Elle estime que cette
proposition pose la question essentielle du point d'équilibre entre les considérations
de sécurité publique et le respect de la liberté individuelle et refuse
de pénaliser la folie. Les malades dangereux, notent les sénateurs, sont
en nombre limité : de quelques dizaines à 300 personnes selon les estimations.
La mission suggère donc la création d’une unité hospitalière spécialement
aménagée de long séjour.
D'une manière générale, la prévention de la récidive implique une meilleure
prise en charge sociale, éducative et sanitaire de la personne détenue,
durant et à l'issue de la détention. Or le nombre des juges de l'application
d’application des peines ainsi que celui des agents des services d'insertion
et de probation de l'administration pénitentiaire apparaît notoirement
insuffisant et devrait être renforcé. Quant au suivi socio-judiciaire instauré
par la loi du 17 juin 1998, il demeure encore trop peu utilisé : 5 personnes
en avaient bénéficié en 1998, 75 en 1999, 265 en 2000, 421 en 2001 et 645
en 2002, soit moins de 8 % des délinquants sexuels incarcérés.
Nicolas Sarkozy ou le sécuritaire dangereux et inefficace
57
Alors, plutôt que de chercher à implanter en France le système en vigueur
en Californie ou en Floride, sans doute serait-il plus judicieux d’appliquer
les dispositifs qui existent et de veiller à leur efficacité a fortiori eu égard
au faible nombre de récidivistes.
SES RÉSULTATS : DES ÉCHECS DERRIÈRE
UNE COMMUNICATION TRIOMPHALISTE
Nicolas Sarkozy se veut le chantre de la recherche systématique de
l’efficacité. Il est effectivement très attentif à l’efficacité de sa politique
de communication. Sa méthode est bien rôdée : se saisir de dossiers
sensibles et fortement médiatisés, appliquer une méthode radicale
qui frappe les esprits (fermer Sangatte) mais sans régler la situation
de façon pérenne et efficace… Au-delà de la communication, que
reste-t-il ? Des opérations de mystification qui cachent des échecs bien
réels.
Le succès de la lutte contre l’insécurité ou l’illusion
médiatique de l’efficacité(61)
Préservation du territoire national face au terrorisme international, efficacité
du renseignement français, baisse de la délinquance, le passage de
Nicolas Sarkozy place Beauvau ne serait qu’une longue série de succès.
Qu’en est-il vraiment ? En fait, Nicolas Sarkozy n’hésite pas à s’attribuer
le succès des autres et à falsifier les statistiques.
La lutte conte le terrorisme ou le succès de la spécificité française
La France est confrontée depuis longtemps au terrorisme international.
Elle a tout d'abord subi un terrorisme lié à la guerre froide, comme le terrorisme
mené par des organisations pro-palestiniennes dans les années
1970 et 1980 ou le terrorisme d'origine étatique perpétré par des mouvements
commandités par la Syrie ou l'Iran. Ce dernier a d’ailleurs été à l’origine
de la vague d'attentats de 1985-86.
Notre pays a ensuite dû faire face à un terrorisme lié à l'ultra-gauche, par
exemple celui d'Action directe, et a subi subit des attentats liés à des séparatismes
régionaux, notamment basque et corse.
Il a enfin été frappé très tôt, dès 1995, par le terrorisme fondamentaliste
islamiste, ou du moins par un terrorisme, celui du GIA algérien, lié à cette
mouvance.
L’inquiétante « rupture tranquille » de Monsieur Sarkozy
58
Ainsi, la France n'a pas découvert le terrorisme avec les attentats de New
York et de Washington (en septembre 2001), de Madrid (en mars 2004) et
de Londres (en juillet 2005) et elle n’en est pas définitivement à l’abri en
dépit de l’efficacité de son dispositif de lutte antiterrorisme. Celui-ci date
de la loi du 9 septembre 1986 relative à la lutte contre le terrorisme. Sa
grande originalité repose sur la double compétence de la DST en matière
de renseignement et de police judiciaire, et sur la mise en place d'un dispositif
judiciaire spécifique, mais permanent, en matière de répression du
terrorisme. Ce système a pour but de permettre une efficacité maximum,
sans remettre nullement en cause les droits de la défense, tels qu’ils sont
définis par nos principes constitutionnels et la convention européenne des
droits de l'homme. Voilà une grande différence avec le dispositif américain
qui non seulement s’est révélé fort inefficace mais fait également fi des
droits fondamentaux de nos démocraties !
L’efficacité de la lutte antiterroriste de la France ne doit donc absolument
rien ni au modèle américain ni à l’action de Nicolas Sarkozy. Bien au contraire,
à la fin de l’année 2005, le ministre de l’intérieur a pris le risque insensé de
compromettre la confidentialité d’une opération anti-terroriste pour faire
un coup médiatique. Le 6 septembre 2005, dans l'émission « pièces à conviction
» sur France 3, Nicolas Sarkozy annonce : « à la minute où je vous
parle, des arrestations ont lieu. Ce sont des arrestations préventives. Ce
sont des individus à qui nous avons des questions très précises à poser ».
Le matin même, le Raid venait en effet de mener de main de maître un coup
de filet anti-islamiste à Trappes et à Évreux. Une arrestation spectaculaire
réalisée devant une dizaine de caméras de télévision. Et pour cause, la
presse entière était au courant de l'opération depuis cinq jours. Depuis le
21 septembre, le jour où le ministre avait prononcé cette phrase sur le plateau
d'enregistrement de l'émission de France 3. Voilà donc un ministre,
en charge de la sécurité intérieure qui, pour frapper l'opinion publique, programme
des arrestations médiatisées en fonction de ses passages à la
télévision.
Le renseignement ou la myopie face aux crises de notre société
Les renseignements généraux, en charge de la mesure de l'opinion, des
violences urbaines et de la menace islamiste, se sont révélés incapables
de prévoir les crises qui ont secoué la société française. Ils n'ont vu venir
ni les émeutes de novembre 2005 ni le vaste mouvement anti-CPE du printemps
2006. Pire encore, une semaine avant la première grande manifestation
parisienne, le directeur central des renseignements généraux affirmait
que le CPE passerait comme une lettre à la poste. On connaît la suite…
Nicolas Sarkozy ou le sécuritaire dangereux et inefficace
59
Il est vrai que la droite aura tout fait pour affaiblir les services de renseignement
français au centre d'une querelle de nomination entre l'Élysée, Matignon
et la place Beauvau. Faute de s'entendre pour nommer un vrai professionnel
issu « de la maison », Jacques Chirac, Jean-Pierre Raffarin et Nicolas
Sarkozy avaient désigné un jeune préfet, Pascal Mailhos, qui avait refusé
de se compromettre dans des combines susceptibles de déstabiliser les
uns ou les autres. Mais cette nomination allait affaiblir l’efficacité de la direction
centrale des renseignements généraux dont « les grands flics » n’avaient
pas tous accepté la nomination d’un préfet et non d’un homme du sérail…
La baisse de la délinquance ou le discours mystificateur
Si les succès de la lutte anti-terroriste ne doivent rien à Nicolas Sarkozy et
si la direction centrale des renseignements généraux lui doit son affaiblissement
au sein de l’appareil d’État, il reste, diront les plus « Sarko-maniaques
», la baisse de la délinquance : elle serait incontestable, les chiffres
en témoigneraient : + 1,3 % en 2002 mais – 3,4 % en 2003, – 3,8 % en 2004,
– 1,3 % en 2005 et au total de 2001 à 2005 – 7,0 %.
Mais la lecture de ces données est-elle si simple ? La culture du chiffre si
chère au ministre ne s’accompagne-elle pas d’une manipulation statistique
? N’y a-t-il pas des vérités à taire sur les vraies raisons de l’évolution
de la délinquance ?
La baisse des faits déclarés : une baisse des faits ou des déclarations ?
L’interprétation des statistiques de la délinquance n'est pas facile. Deux
lectures sont possibles.
On peut tout d’abord considérer qu'une baisse des faits déclarés traduit avant
tout une baisse des crimes et délits commis. C'est l’interprétation de Nicolas
Sarkozy qui se félicite de la baisse de la délinquance de 7 % constatée de
2001 à 2005 et se plaît à dire que « depuis 2002, des résultats spectaculaires
ont été obtenus en matière de lutte contre la délinquance(62) ». Mais alors
comment interpréter l'augmentation, sur cette même période, de 58 % pour
les infractions à la législation sur les stupéfiants ? Et comment comprendre
également l'augmentation de 62 % des délits à la police des étrangers ? Ces
tendances statistiques traduisent-elles une augmentation de la délinquance
en ces domaines ? Nicolas Sarkozy reconnaît-il l'échec de sa politique de
lutte contre les stupéfiants et contre l’immigration irrégulière ?
On peut avoir une autre lecture de ces statistiques : elles ne reflètent qu’une
hausse des déclarations auprès des services de police et non des faits de
L’inquiétante « rupture tranquille » de Monsieur Sarkozy
60
délinquance. Dans cette hypothèse, la baisse de la délinquance n'est alors
que le reflet d'une simple diminution des déclarations des crimes et délits,
elle ne saurait être interprétée comme une diminution réelle de la délinquance.
Cette diminution des déclarations peut avoir deux origines.
Tout d'abord les citoyens peuvent omettre de déclarer les crimes et délits
les plus mineurs dont ils sont victimes. Et ils le font parce qu'ils n'ont plus
confiance en leur police, parce que celle-ci a déserté leur quartier. Sébastien
Roché, directeur de recherche au CNRS, rappelle fort opportunément que
« pour être efficace, la police doit également être légitime et inspirer
confiance. Cela suppose que les mêmes policiers soient présents aux mêmes
heures dans le même quartier pour que puisse se tisser le lien humain entre
la police et les citoyens. Ceux qui privilégient la culture de résultats estiment
au contraire que l'essentiel du travail policier consiste à interpeller
les délinquants. »(63)
Mais la diminution des déclarations peut également résulter du comportement
des policiers. Et c'est bien ce que l'on constate en raison de la culture
du chiffre généralisée par Nicolas Sarkozy.
Les méfaits de la culture du chiffre ou la manipulation des statistiques
S’inspirant de l’exemple américain, l’occupant de la place Beauvau a voulu
instaurer une culture de l’évaluation au sein des forces de l’ordre et « fixer
aux préfets, aux policiers et aux gendarmes une obligation de résultats
chiffrée dans la lutte contre l’insécurité ». S’agissant des policiers et gendarmes
: « vous allez travailler tard », « les fainéants au placard », « le
plus âgé dans le grade le plus élevé, ce n’est pas mon truc ». Deux à trois
fois par an, il prévoit de décorer les fonctionnaires qui se sont illustrés
dans de belles opérations. Le 11 octobre 2002, il décide de réunir les préfets,
les responsables de police et de gendarmerie des cinq meilleurs départements
et des cinq plus mal classés au box office de la lutte contre la
délinquance : « si vous étiez mauvais, vous ne seriez pas là, car je vous
aurais déjà mutés ». C’est ce que les policiers et les préfets appellent le
« sarkomètre ».
La technique est inspirée du passage sur le grill des capitaines de district de
police à New York : il leur est demandé de bien connaître leur secteur, d’expliquer
leurs résultats et de proposer les voies et moyens de leur amélioration.
Et Nicolas Sarkozy continue… le 19 janvier 2004, il s’adresse aux préfets :
« l’objectif est celui qui a été fixé au Premier ministre : une baisse de 20 %
Nicolas Sarkozy ou le sécuritaire dangereux et inefficace
61
de la délinquance d’ici 2006 par rapport à 2002 ». Mais, pourquoi 20 % et
pas 5 % ou 25 % ? Comme le dit Sébastian Roché, cela ressemble à « un
mariage de l’invocation rituelle et de la culture du management public, un
mélange de danse de guerre autour du feu et de culte du chiffre ».
Le management par le « sarkomètre » n’est pas sans dommage sur le comportement
des policiers. Les responsables locaux malmenés par leur ministre
n’ont pas forcément envie d’y retourner l’année suivante… Alors tous
les moyens sont bons pour ne plus être sur le grill.
Et tout d’abord, les violences et les mauvais traitements sur les personnes
interpellées. Amnesty international a constaté en effet un accroissement
des plaintes contre la police, notamment pour violences et mauvais traitements
sur les étrangers victimes de contrôles d’identité abusifs(64).
Mais la manipulation des statistiques est tout aussi efficace pour éviter de
retourner devant le ministre…
À titre d'exemple, dans l'Hérault, l'inspection générale de la police nationale
(IGPN) a mis à mal au printemps 2004 la fiabilité des statistiques locales
pour l'exercice 2003 et le début de l'année 2004. En mars 2005, le directeur
central de la sécurité publique reconnaît que « les auditeurs ont souligné
que les statistiques étaient d'une sincérité douteuse, ce qui les a contraint
à procéder à une réévaluation de plus de 8 % des données officielles ».
Bref, des faits disparaissent pour faire baisser le nombre de faits délictueux.
La nouvelle n'est pas surprenante pour ce policier d'expérience :
« des ficelles pour faire baisser les stats, ça existe depuis longtemps. Par
exemple, une voiture fracturée, on fait passer ça dans la catégorie dégradation
et ce n'est plus un délit ».
Le constat est identique pour les chiffres des faits élucidés. L’IGPN avait
constaté également qu'ils avaient été superficiellement gonflés. « Là, c'est
pareil poursuit notre policier expérimenté, un roulottier arrêté, on peut lui
mettre sur le dos toutes les voitures cassées du quartier, c'est autant de
faits élucidés ». Bref, des méthodes malheureusement classiques qui se
seraient répandues dans tout l’Hexagone(65).
Les vraies raisons de la baisse ou les vérités qu’il faut taire
Enfin, Nicolas Sarkozy voudrait faire croire que la baisse supposée de la
délinquance est exclusivement le résultat de son action, lui le premier flic
de France. Avant lui, rien n'allait, avec lui, tout va mieux.
L’inquiétante « rupture tranquille » de Monsieur Sarkozy
62
Il voudrait ainsi laisser penser que les policiers ne faisaient rien sous le
gouvernement Jospin. En 1996, la police élucidait 571 000 faits ; en 2001,
662 000 et en 2000 de 701 000. Cela n'a pourtant pas empêché la délinquance
d'augmenter durant ces années. Et pour cause : l'action de la police
n'explique pas tout. Depuis 2002, la délinquance générale baisse pour des
raisons en partie extérieures aux activités policières et Nicolas Sarkozy,
qui le sait, se garde bien de le reconnaître.
L'exemple le plus symptomatique de cette situation est celui des atteintes
aux automobiles. Elles constituent la moitié des atteintes aux biens et leur
nombre est en chute spectaculaire en France comme dans les autres pays
occidentaux. Elles ont ainsi baissé de 31 % de 2001 à 2005 La raison en est
connue : les constructeurs automobiles ont signé des protocoles avec des
sociétés d'assurance à la fin des années 80 et au début des années 90 pour
améliorer les systèmes de sécurité : les serrures, désormais électroniques,
sont plus difficilement crochetables et les voitures sont également toutes
dotées de systèmes anti-démarrage et d’alarmes en série. Les statistiques
sont le reflet de cet effort des constructeurs et non de l’activité de la police !
Un autre exemple : le blocage des portables volés par les opérateurs. Quand
on se fait voler son portable, trop de gens ignoraient qu’il leur suffisait d’appeler
leur opérateur pour lui donner leur code IMEI. Celui-ci peut alors couper
la ligne et désactiver l’appareil. Cette dissuasion, jusqu’alors limitée,
commence à être davantage connue et les vols de portables sont en baisse
depuis 2003. Nul doute qu'elle va s'amplifier !
Prenons enfin l'exemple des cambriolages qui baissent de 17 % sur la période
du second mandat de Jacques Chirac. Cette baisse concerne principalement
les résidences secondaires. Pourquoi ? Tout simplement parce que
les délinquants font face à un renforcement de la sécurité à travers le vitrage
retardateur d'effraction ou les serrures qui répondent à des normes plus
sévères.
La réalité cachée ou les échecs derrière
la communication triomphaliste
La réalité de l’évolution de la délinquance est alors moins favorable à Nicolas
Sarkozy. Si l'on neutralise les deux infractions qui dépendent le moins du
comportement de la police, à savoir les vols liés à l'automobile et aux deuxroues
à moteur ainsi que les cambriolages, la délinquance affiche alors sur
la période 2001-2005 une augmentation de 5 %. Nous sommes loin de la
baisse de 7 % affichée par Nicolas Sarkozy.
Nicolas Sarkozy ou le sécuritaire dangereux et inefficace
63
Les violences contre les personnes : + 27 %
Les violences contre les personnes n'ont jamais cessé de s'accroître depuis
2002 : + 8,6 % en 2002, + 7,2 % en 2003, + 4,4 % en 2004, + 4,4 % en
2005 et au total plus 27 % sur la période 2001-2005. Les violences aux
personnes représentent désormais presque 10 % de la délinquance française
contre à peine 7 % il y a cinq ans. Les coups et blessures volontaires
se sont accrus de 27,8 % sur cette la période et les autres atteintes
volontaires aux personnes de 36,4 %. Les atteintes aux moeurs qui
regroupent pour l’essentiel les affaires de proxénétisme, les viols et le
harcèlement sexuel, ont bondi de 16,5%. Les infractions contre la famille
et l'enfant qui regroupent notamment les violences faites aux enfants ont
augmenté de 18,1 %.
Les infractions aux stupéfiants : + 58%
L'échec est encore plus patent en matière de lutte contre les stupéfiants.
L'augmentation des crimes et délits recensés est de 57,8 % depuis 2001.
Les services de police ont constaté en 2005 environ 145 000 infractions
contre 91 000 en 2001. L'action de Nicolas Sarkozy n'aura pas permis de
faire avancer la lutte contre les drogues.
Sangatte ou l’embourbement après la fermeture
Les statistiques de la lutte contre l'immigration irrégulière sont encore plus
dévastatrices. Les délits à la police des étrangers ont augmenté de 62 %
depuis 2001. Personne n'a pourtant le sentiment que les problèmes liés à
l'immigration sont réglés. Et pour cause, ils portent bien plus sur les difficultés
d'intégration des étrangers en situation régulière et de leurs enfants
que sur la régulation de l'immigration irrégulière.
Mais l'histoire du centre de Sangatte est encore bien plus révélatrice de l'échec
de la politique de Nicolas Sarkozy en matière de lutte contre l'immigration clandestine.
Revenons sur cette décision qui n’a rien résolu !
Le Centre de Sangatte, un hangar de 25 000 m2, a été ouvert le 24 septembre
1999 pour héberger des étrangers en situation irrégulière. Géré par la
Croix Rouge, financé par le ministère de l’emploi et de la solidarité, il accueillait
alors jusqu’à 1 800 personnes par jour(66) pour une capacité d’accueil
de 700 à 800 personnes. D’après une étude menée par Smaïn Laacher(67)
plus de 50 % sont originaires d’Afghanistan et plus de 30 % d’Irak. Près de
40 % d’entre eux sont diplômés du secondaire ou de l’enseignement supérieur.
Ils ont quitté leur pays d’origine essentiellement du fait de la guerre
(39,4 %) ou de persécutions politiques (34,2 %). Comme le rappelle
L’inquiétante « rupture tranquille » de Monsieur Sarkozy
64
Amnesty International, l’ouverture du Centre de Sangatte a permis d’héberger
des étrangers qui cherchaient à rejoindre la Grande Bretagne et qui
antérieurement erraient dans la région.
Dès son arrivée au ministère de l’intérieur, Nicolas Sarkozy annonce la fermeture
de Sangatte. Il y a bien un certain sentiment d’insécurité parmi les
800 habitants de Sangatte mais, comme le dire le maire, point de violences,
pour l’essentiel des incivilités, des étrangers qui traversent les champs ou
qui coupent des clôtures. La décision du ministre-candidat est confirmée lors
de sa visite à Sangatte le 26 septembre 2002. Pour lui, « Il n’y a pas d’autre
solution qu’un retour organisé chez eux. (… ). J’ai bon espoir que les premiers
retours volontaires interviennent dans les semaines qui viennent »(68).
Il décide tout d’abord que le Centre n’acceptera plus de nouveaux arrivants.
Cette décision est effective dès le 5 novembre 2002 avec le déploiement
de six escadrons de gendarmes mobiles. Elle a pour conséquence immédiate
l’envahissement, dès le 7 novembre, par les nouveaux arrivants d’une
salle de sports à Calais. On constate également très vite la réorganisation
des circuits des passeurs qui choisissent des villes comme Cherbourg, Dunkerque
ou des ports de Belgique comme nouveaux points de départs(69).
Nicolas Sarkozy pressent le danger que peut représenter dans l’immédiat
l’éparpillement partout dans la région de ces étrangers en situation irrégulière.
Il s’engage « à ce qu’aucun d’entre eux ne couche dehors. Inutile d’occuper
les églises ou des stades : il y a de la place pour tous, et c’est pourquoi
l’église désaffectée de Calais sera évacuée sous vingt quatre heures(70)».
Tous les moyens seront alors bons pour respecter les ordres du ministrecandidat,
même ceux qui sont en marge de la légalité ! Le groupe d'information
et de soutien des immigrés (Gisti) constate en effet que les services
de police délivrent alors aux étrangers, en dehors de tout cadre légal, des
« invitations à quitter le territoire » dans les 48 heures. Il interpelle Nicolas
Sarkozy sur des sauf-conduits illégaux délivrés par la préfecture de Calais
– ce sont de véritables détournements du droit d’asile – ou encore sur des
éloignements forcés de la région du Calaisis(71). Le Syndicat national des
officiers de police (SNOP) dénonce quant à lui l’absence de « cadre légal
clair » pour les policiers exerçant leurs fonction à Calais.
Le 30 décembre 2002, le Centre de Sangatte est définitivement fermé. Nicolas
Sarkozy et son homologue britannique accordent, le 2 décembre, à la majorité
des résidents le droit de s’installer en Grande Bretagne et d’y travailler
et aux autres, la délivrance d’un titre de séjour en France(72).
Nicolas Sarkozy ou le sécuritaire dangereux et inefficace
65
La fermeture de Sangatte est-elle alors un succès ?
Nicolas Sarkozy feint de le croire. Deux ans plus tard, le 27 janvier 2005,
il se rend à Sangatte en tant que président de l’UMP et affirme : « la décision
de fermer Sangatte et le succès de cette fermeture sont la preuve que
l’on peut agir avec efficacité dans le domaine de l’immigration, pour peu
que l’on aille au-devant des problèmes et que l’on recherche des solutions
équilibrées ».
Mais cet enthousiasme de bon aloi n’est pas vraiment partagé, bien au
contraire.
Dès juillet 2003, soit six mois seulement après la fermeture du centre de
Sangatte, Jacques Trentesaux, journaliste à l’Express, décrit « le pourrissement
» de la situation par les autorités françaises. Il constate que
les flux de migrants dans le Nord persistent : 120 d’entre eux errent dans
les rues et vivent dans des conditions exécrables ; en l’absence de douches,
la gale a refait son apparition depuis avril… « mais les autorités ne
veulent pas d’un Sangatte bis ». Deux ans plus tard(73), on ne constate
toujours pas d’amélioration et, selon les bénévoles, 400 réfugiés ont été
dénombrés pendant l’été ; fin 2006(74), les chiffres sont repartis à la
hausse... L’abbé Boutoille, l’un des porte-paroles du collectif d’associations
créé pour leur apporter une première aide humanitaire, résume bien
le « succès » de la fermeture : « Aujourd’hui, quoi que vous disiez à l’égard
des forces de l’ordre, c’est tout de suite un outrage. (…) On voudrait un
humanitaire qui se tait, qui aille dans le sens des décisions du gouvernement
». Et de conclure : « Ceci me fait toujours penser à une phrase de
M. Sarkozy, qui disait : “ Sangatte ferme, dans trois ou quatre semaines,
on ne parlera plus des réfugiés à Calais ” ».
Le ministre-candidat s’est donc lourdement trompé. Et il est resté sourd à
ceux qui l’avaient averti. Le 21 janvier 2002, Elisabeth Guigou, alors ministre
des affaires sociales, prédisait : « si le Centre était fermé, trop de monde
se retrouverait dans les rues de Calais, c’est une situation inacceptable »…
Quelques années après, ce qu’elle craignait s’est réalisé. Mais il ne suffit
pas de fermer le centre de Sangatte pour faire disparaître les migrants en
quête d’une nouvelle vie en Grande Bretagne.
Les experts savent aujourd’hui que la gestion de l’immigration ne peut se
régler correctement qu’au niveau européen et en particulier dans le cadre
des travaux visant à la révision de la Convention de Dublin. Mais cela n’intéresse
pas notre ministre de l’intérieur, toujours prêt à prendre des déciL’inquiétante
« rupture tranquille » de Monsieur Sarkozy
66
sions fortement médiatisées – quitte à en négliger les conséquences pour
les migrants et les associations – mais pas à s’investir dans le labyrinthe
des procédures communautaires. Moins médiatisables, bien évidemment…
La crise de la canicule pendant l’été 2003 ou un ministre de l’intérieur
miraculeusement épargné par les médias
Si Nicolas Sarkozy sait médiatiser ses discours sécuritaires et les politiques
qu’il décide de mettre en oeuvre, il sait également passer sous silence
les échecs patents de son action.
Début août 2003, la France connaît une période de chaleur sans précédent
depuis 1873, la première année de recueil des données climatiques. La
majorité présidentielle refuse alors de mettre en place une commission d’enquête
pour analyser les dysfonctionnements des services concernés dans
l’anticipation, l’alerte et la gestion de cette crise. Elle se contente d’une mission
d’information qui auditionne les différents protagonistes de cette affaire.
Le colonel Daniel Grangier, adjoint au commandant de la brigade des sapeurs
pompiers de Paris (BSPP), « fait état d’une augmentation des secours à
victimes perceptible dès le 5-6 août, l’activité quotidienne passant de 1 000
à 1 200 interventions environ. Il a indiqué avoir pris contact avec ses seuls
supérieurs hiérarchiques, à savoir le cabinet du préfet de police, le 8 août,
pour recevoir des instructions car il était sollicité par la presse.
Il ressort des rapports rédigés à la suite de la canicule par le général Debarnot,
commandant la BSPP, et MM. Lalande et Lieutaud, respectivement directeur
de cabinet et chef de cabinet à la préfecture de police, qu’à cette occasion,
puis à nouveau le dimanche 10 août, consigne lui a été donnée de ne
pas évoquer le nombre de morts et de s’en tenir à des conseils préventifs
et des informations « non alarmistes, plutôt apaisantes ».
La mission auditionne également Christian de Lavernée, directeur de la
défense et de la sécurité civile et responsable à ce titre du Centre opérationnel
de gestion interministérielle des crises (COGIC). Selon le rapport
de la mission, « ce centre ne s’est guère senti concerné par un événement
perçu comme davantage une crise sanitaire qu’une crise de sécurité
civile ». Et la mission de relever ce qu’elle qualifie « d’autres signes d’une
mobilisation tardive des administrations du ministère de l’intérieur et d’une
communication interministérielle limitée » comme les difficultés signalées
par la mairie de l’Haÿs-les-Roses au préfet du Val de Marne ou encore celles
de Lucien Abenhaïm, directeur général de la santé, à obtenir des donNicolas
Sarkozy ou le sécuritaire dangereux et inefficace
67
nées du ministère de l’intérieur et du cabinet du préfet de police…Enfin, la
mise en place de patrouilles mixtes (policiers-secouristes) et d’une antenne
d’appels téléphoniques pour assurer le contact avec les personnes âgées
dans la capitale intervient seulement à partir du 15 août, alors même que
l’épisode caniculaire s’achevait.
Comment ne pas, avec Maxime Gremetz, membre de la mission appartenant
au groupe des députés communistes et radicaux, se demander pourquoi
« le ministre de l’intérieur, qui a toutes les données ne provoque-t-il
pas dès le 8 août une réunion interministérielle pour alerter solennellement
et mettre en place une cellule de crise avec le ministre de la santé, avec
l’ensemble du gouvernement, coordonner tous les services, prendre les
mesures d’urgence qui s’imposaient » ? Pourquoi certains éléments détenus
par la BSPP n’ont-ils pas été fournis ? Pourquoi la mission n’a-t-elle
pas pu entendre le ministre de l’intérieur, pourtant placé au coeur du dispositif
d’alerte et de gestion des crises…Le « déjà-candidat » à l’élection
présidentielle s’est tu, il a esquivé la responsabilité de ses services et a
laissé le ministre de la santé, gérer seul les conséquences médiatiques et
politiques de cette crise. Celui-ci a dû démissionner de ses responsabilités
ministérielles, celui-là est resté ministre !
Nicolas Sarkozy aurait dû assumer les conséquences des dysfonctionnements
des services.
* *
*
Quels sont les objectifs de la politique sécuritaire conduite par Nicolas Sarkozy ?
C’est Stéphane Rozès, directeur de CSA-Opinions, qui résume le mieux la
stratégie du ministre-candidat : « Il s’adresse au noyau dur des entrepreneurs,
auxquels il tient un discours libéral. Mais ceux-là ne représentent que
10 % de l’électorat, et sont minoritaires au sein du peuple de droite, qui est
plus conservateur que libéral. D’où la nécessité pour Nicolas Sarkozy d’y
adjoindre un discours de réaffirmation des normes, axé sur les questions de
sécurité, qui s’adresse à ceux qui se sentent déstabilisés par le cours des
choses »(75). Nicolas Sarkozy se saisit donc de dossiers sensibles, emblématiques,
pour renforcer son image d’homme d’action volontariste. Cependant,
l’analyse de l’action qu’il a réellement conduite souligne à l’inverse une volonté,
non de régler les problèmes, comme clamé partout haut et fort, mais de s’en
donner l’apparence à grand renfort de médiatisation.
L’inquiétante « rupture tranquille » de Monsieur Sarkozy
68
(29) Celle à laquelle fait référence Ségolène Royal en évoquant un « ordre juste ».
(30) Philippe Robert, L’évolution des politiques de sécurité, in Crime et sécurité, l’état des savoirs sous la direction de L. Mucchielli
et P. Robert, La Découverte, 2002.
(31) L.G., « À Strasbourg, Sarkozy déclare « la guerre aux « voyous », Le Parisien, 25 octobre 2002.
(32) Laurence Masurel, « Sarko refuse de rester immobile. Pas question d’attendre jusqu’en 2007 que ça se passe. Son obsession
est de répondre au désarroi des Français», Paris Match, 30 juin 2005.
(33) Didier Hassoux, « Les dérapages de Villepin et Sarkozy. Ni «cambriolage» ni «dégradation». Les propos hâtifs des politiques ont
envenimé la situation. », Libération, 31 octobre 2005.
(34) Philippe Le Coeur, « Le ministre de l’intérieur veut « faire régner un sentiment de sécurité » », Le Monde, 16 janvier 2003.
(35) Nicolas Sarkozy, audition par les commissions des finances et des lois de l’Assemblée nationale, 10 juillet 2002.
(36) Yolande Baldeweck, « Sarkozy défend sa stratégie pour les quartiers », Le Figaro, 10 février 2004.
(37) Nicolas Sarkozy, audition devant la commission des lois de l’assemblée nationale le 8 novembre 2006.
(38) Thomas Lebègue, « Tout – sécuritaire : Sarkozy enfonce le clou », Libération, 24 octobre 2002.
(39) Sondage de l’Institut LH2 réalisé en octobre 2006 sur un échantillon de 1002 personnes, représentatif de la population française âgée
de 18 ans et plus (méthode des quotas appliquée aux variables suivantes : sexe, âge, profession du chef de famille, après stratification
par région et catégorie d’agglomération.
(40) Jean-Pierre Corcelette avec Frédéric Abadie, Police : les "mal-aimés" de la République, Edtions Balland, 2003.
(41) « Nicolas Sarkozy reçoit les familles des jeunes victimes de Clichy-sous-Bois », Le Monde avec AFP et Reuters, 31 octobre 2005.
(42) Nicolas Sarkozy, audition du mercredi 10 mai par les commissions et des affaires sociales de l’Assemblée nationale sur le plan
national de la prévention de la délinquance.
(43) Nicolas Sarkozy, audition du mercredi 10 mai par les commissions et des affaires sociales de l’Assemblée nationale sur
le plan national de la prévention de la délinquance.
(44) Nils Christie, L’industrie de la punition, éditions Autrement
(45) Nicolas Sarkozy, audition devant la commission des lois de l’assemblée nationale le 8 novembre 2006.
(46) J.C., « Sarko inquiète en visitant les futurs juges », Libération, 10 décembre 2003.
(47) Il faut rappeler la genèse de cette loi : c’est le président Jacques Chirac en 1996 qui s’inquiéta de garantie de la présomption
d’innocence alors que les mises en examen pleuvaient sur la classe politique. La majorité de gauche et l’opposition de droite
complétèrent et renforcèrent les dispositions de la loi qui fut d’ailleurs votée à l’unanimité.
(48) Nathalie Guibert, « Un magistrat sanctionné pour avoir critiqué Nicolas Sarkozy », Le Monde, 7 février 2006.
(49) N. G., « Les magistrats dénoncent les faits inexacts de M. Sarkozy », Le Monde, 28 juin 2006.
(50) Nicolas Sarkozy, audition par la commission des lois, 11 décembre 2002.
(51) Olivier Pognon, « Le projet Sarkozy entame son marathon parlementaire sous les vivats sénatoriaux », Le Figaro, 14 novembre 2002.
(52) Malka Marcovitch, audition de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes
de l’Assemblée Nationale, mardi 8 octobre 2002.
(53) Claude Boucher, audition par la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes
de l’Assemblée Nationale, 15 octobre 2002.
(54) « Les associations jugent "désastreuse" la loi contre le racolage », Le Monde avec l’AFP, 15 mars 2005.
(55) Julien Damon, Vagabondage et mendicité : délits périmés, contrôle persistant, in Crime et sécurité, l’état des savoirs sous la direction
de Laurent Mucchielli et Philippe Robert, La Découverte, 2002.
(56) Marie-Christine Tabet, « Le ministre de l'Intérieur entend expulser les étrangers fauteurs de troubles », Le Figaro, 10 novembre 2005.
(57) C. C. et G. T. (avec AFP), « Nicolas Sarkozy promet d'expulser les émeutiers étrangers », Le Figaro, 10 novembre 2005.
(58) Jacqueline Coignard, « Le débat sur la récidive ravivé par des viols en série », Libération, 27 septembre 2005.
(59) Eric Mandonnet, Eric Pelletier et Jean-Marie Pontaut, « Sarkozy superfouettard », L’Express, 16 mai 2002.
(60) Assemblée nationale, Rapport n° 1718 de la mission d'information sur le traitement de la récidive des infractions pénales, 7 juillet 2004.
(61) Sébastian Roché, Police de proximité : nos politiques de sécurité, Editions du Seuil, octobre 2005.
(62) Nicolas Sarkozy, audition devant la commission des lois de l’assemblée nationale le 8 novembre 2006.
(63) Sébastien Rocher, Le Nouvel Observateur, 12 juin 2005.
(64) Amnesty International, Rapport 2005.
(65) « Délinquance : quand les stats baissent artificiellement », Midi Libre, 13 décembre 2005.
(66) Amnesty International, Section française, 30 janvier 2002.
(67) Smaïn Laacher, « Après Sangatte…nouvelles immigrations, nouveaux enjeux », La Dispute.
(68) « Sangatte : les étapes d’une fermeture annoncée », RFI, le 26 septembre 2002.
(69) « Un Sangatte bis à Calais ? », RFI, le 8 novembre 2002.
(70) Nicolas Sarkozy, Réponse à une question au gouvernement à l’assemblée
nationale posée par le député du Nord Thierry Lazaro, novembre 2002.
(71) Gisti, Lettre ouverte au ministre de l’intérieur du 20 novembre 2002.
(72) Gisti, Communiqué, 12 décembre 2002.
(73) Stéphane Maurice, « Sans Sangatte, les bénévoles appellent au secours », Libération, 24 août 2005.
(74) Geoffroy Defrennes, « Les réfugiés continuent d’affluer sur les quais de Calais », Le Monde, 12 décembre 2006.
(75) Propos recueillis par Jean-Baptiste de Montvalon, « Nicolas Sarkozy droitise son discours pour attirer l’électorat du FN »,
Le Monde, 23 juin 2005.
69
Contrairement à ce qu’affirme sa propagande, Nicolas Sarkozy a
laissé un bien piètre bilan à l’issue de ses deux passages à Bercy de
1993 à 1995 (Budget) et 2004 (économie et Finance) : atonie de la
croissance, stagnation du pouvoir d’achat populaire, creusement
accéléré des déficits. Au moins ces expériences ministérielles aurontelles
mis en lumière la réalité de ses convictions économiques qui,
sous couvert d’un apparent pragmatisme, empruntent au libéralisme
le plus débridé. Le président de l’UMP se veut le chantre de la rupture,
y compris sur le plan de la politique économique ? On n’en trouvera
nulle trace dans son bilan ministériel depuis 12 ans. Et la rupture
souhaitée, pour peu qu’elle se réalise un jour, sera en réalité et sans
nul doute à l’image de la vérité de l’homme : le chantre d’une véritable
révolution libérale aux conséquences radicales sur le plan économique
et social dans notre pays.
UN PIÈTRE BILAN ÉCONOMIQUE ET SOCIAL
L’agitation médiatique, les gesticulations ou les déclarations d’intention ne
suffisent pas à réduire le chômage ou à relancer l’investissement. La cohérence
entre le diagnostic et l’action sont nécessaires. Or, sur ce terrain,
Nicolas Sarkozy a donné le sentiment d’une grande désinvolture. Le bilan
de ses deux expériences au ministère des finances est à cet égard particulièrement
médiocre.
3
Nicolas Sarkozy
Ou le vrai libéral sous couvert d’un faux pragmatique
MICHEL HAUTEAU
L’inquiétante « rupture tranquille » de Monsieur Sarkozy
70
Il est marqué par quatre séries d’erreurs.
1. Nicolas Sarkozy a privilégié la communication sur l’action, le catalogue
de « mesurettes » aux réformes profondes dont la France a davantage
besoin.
Prenons, par exemple, la rafale des mesures présentées lors de sa première
conférence de presse le 4 mai 2004 : réduction d’impôt de 150 €
maximum pour les crédits à la consommation, donations en franchise d’impôt
jusqu’à 20 000 €, intégration des marges arrière de la grande distribution
dans la détermination du prix d’achat, déblocage de la participation…
Nicolas Sarkozy l’affirme alors la main sur le coeur : par cette batterie de
mesures (dont l’accumulation même vise à démontrer combien la France
est dotée d’un ministre suractif capable de sortir l’économie française de
sa léthargie) le pouvoir d’achat des Français sera redynamisé en 2005. Le
résultat sera tout autre : une très faible progression du pouvoir d’achat en
2005 (+ 1,1 % en 2005 contre + 2,2 % en 2004,) comme vient de le rappeler
le « portrait social » de l'Insee paru en novembre 2006, rogné notamment
par la forte progression des prélèvements en 2005 (+ 6,5 %, contre
+ 2.5 % en 2004).
Même constat en matière de lutte contre la vie chère. Nicolas Sarkozy convoque-
t-il les responsables des grandes chaînes de magasins et tente de leur
imposer une baisse des prix ? Il oublie que la France n’est plus une économie
dirigée et que le contrôle des prix n’est plus en vigueur depuis 1986.
Résultat : les distributeurs opposèrent une quasi fin de non recevoir. Et la
baisse annoncée fut plus que limitée : elle devait atteindre 5 %. L’accord
finalement conclu ne prévoit qu’une baisse de 2 %… pour une baisse finale
de… 0,7 % selon l’INSEE.
2. Le ministre a pris de nombreux engagements qu’il n’a pas tenus.
Pour ne rappeler que quelques une des promesses faites par le Ministre
de l’Economie Sarkozy, qui n’auront jamais vu le jour : 500 à 600 tonnes
d’or de la Banque de France vendus « dans les cinq années qui viennent » ?
On attend toujours… 100 000 m2 de bureaux appartenant à l’état en centre
ville devant être cédés dès 2004 pour 500 millions € ? Finalement moins
de 100 millions ont été engrangés. La remise en cause des niches fiscales
et la suppression des allègements « inutiles et injustes » ? Elles n’ont
pas abouti, faute de volonté politique. Pas plus d’ailleurs que la réforme du
crédit hypothécaire qui n’a pas été lancée de même, on ne s’en plaindra
pas, que l’ouverture des magasins le dimanche…
Nicolas Sarkozy ou le vrai libéral sous couvert d’un faux pragmatique
71
S’agissant de l’Europe, Nicolas Sarkozy annonce en novembre 2004
dans le « Figaro Magazine » avoir « obtenu la création d’un gouvernement
économique de l’Europe(76). » Apparemment, il fut le seul à
le constater. Nulle trace depuis. à l’inverse, Nicolas Sarkozy et ses
successeurs mettront à mal toute idée de coordination des politiques
économiques, en multipliant, depuis à partir de 2004, les annonces
unilatérales sur le plan fiscal sans concertation avec nos
partenaires.
3. Nicolas Sarkozy a entretenu l’angoisse des Français au lieu de chercher
à rétablir la confiance en dramatisant à outrance le débat sur les délocalisations,
sans toutefois chercher à répondre à l’enjeu de la désindustrialisation.
Première responsabilité : Nicolas Sarkozy a profité de la crainte légitime
de nos concitoyens face à ce phénomène, à la faveur d’événements douloureux
pour les salariés des entreprises concernées (SEB…), pour imputer
aux délocalisations la responsabilité de la hausse du chômage et en
dédouaner par conséquent le Gouvernement.
La vérité est que, si les délocalisations ont bien sûr des effets locaux,
humains et économiques, graves contre lesquels il est nécessaire d’agir
pour en limiter les conséquences et accompagner ceux qui en sont victimes,
ces dernières n’ont pas produit à ce jour de conséquences quantitatives
majeures sur l’emploi en France. De fait, la balance des flux
n’est pas si défavorable à notre pays : la France demeure l’un des pays
les plus attractifs du monde en terme d’investissements étrangers, à la
troisième place mondiale juste derrière les États-Unis et le Royaume
Uni mais devant les Pays-Bas et l’Allemagne. Certes, depuis 1995, les
investissements directs de la France vers l’étranger ont fortement crû
notamment dans les secteurs industriels – chimie, raffinage, électricité
et gaz – passant de 75 à 190,5 millions de dollars en 2000. Mais, les
flux sortants se sont réduits (64 millions de dollars en 2002) et les investissements
français sont majoritairement orientés vers les pays développés
(85 % du total, dont 51 % vers l’Union Européenne) et non pas,
comme l’actuelle majorité l’a trop souvent dit pour justifier ses allègements
de charges, vers les pays ayant des coûts de main d’oeuvre sensiblement
plus faibles.
Il reste que derrière ces phénomènes, se manifeste un profond mouvement
de désindustrialisation qui, s’il n’est pas rapidement maîtrisé, prépare
des lendemains difficiles.
L’inquiétante « rupture tranquille » de Monsieur Sarkozy
72
Deuxième responsabilité : Nicolas Sarkozy n’a pas pris la mesure des réformes
d’ampleur que les nouveaux défis posés à notre industrie rendent nécessaires
: une politique industrielle pour préserver les secteurs stratégiques
et de pointe dans lesquels la France, et l’Europe, doivent rester compétitives
et indépendantes, des services publics et des infrastructures performants,
une recherche innovante, un système de formation adapté…
Au lieu de cela, Nicolas Sarkozy se borne à proposer des solutions dérisoires.
Premier exemple : le saupoudrage de quelques maigres aides fiscales
pour les pôles de compétitivité. L’idée même des pôles de compétitivité
est certes prometteuse. Plusieurs exemples récents de développement
économique réussi – Catalogne, Sillicon Valley, Finlande, Bavière – montrent
que la clé de cette réussite a résidé dans la constitution de « clusters
», ces pôles d’excellence territoriaux, réunissant et faisant collaborer
ensemble chercheurs, universitaires, entrepreneurs et pouvoirs publics,
et fondés sur un double partage des moyens (de conquête des marchés)
et du savoir.
L’actuelle majorité s’est inspiré de ces exemples en lançant sa politique de
« pôles de compétitivité ». 67 pôles ont été labellisés par le gouvernement
à la mi-juillet 2005. La faiblesse a résidé dans l’exécution : saupoudrage,
longueurs et bureaucratie des procédures mais surtout faiblesse des
moyens financiers affectés ont limité les ambitions de cette politique. Ce
dossier méritait mieux, beaucoup mieux que cela.
Second exemple : Nicolas Sarkozy a proposé de favoriser la relocalisation
d’emplois en accordant à quelques grandes entreprises qui ont délocalisé
des rabais fiscaux et sociaux supplémentaires en échange d’un retour des
emplois sur notre territoire. Cette proposition n’eut pas d’effet et ne pouvait
en avoir : les investissements réalisés par ces entreprises à l’étranger
sont sans commune mesure avec les aides proposées ; il y avait dès lors
fort à parier qu’elles ne modifieraient pas leur comportement. La lutte contre
les délocalisations ne peut passer par un nivellement par le bas des salaires
et des conditions de travail pour les ramener au niveau des pays de
l’Est ou du Sud !
4. Le ministre a trompé les agents économiques en prenant des décisions
contraires aux engagements qu’il avait publiquement pris.
à force d’annoncer des mesures non suivies d’effet, Nicolas Sarkozy a pris
la responsabilité, non seulement de décevoir les citoyens, mais aussi de
perturber l’économie.
Nicolas Sarkozy ou le vrai libéral sous couvert d’un faux pragmatique
73
Prenons l’exemple des déficits publics : Nicolas Sarkozy n’a cessé de répéter
que la France vivait « au-dessus de ses moyens », que l’état gaspillait
les ressources par des politiques inadaptées, mais n’a rien été fait pour les
limiter. Bien au contraire, les déficits publics ont largement dérapé lors de
ses deux passages au ministère des finances, en 1993 puis en 2004 !
Nicolas Sarkozy avait déjà marqué de son empreinte son passage au Ministère
du Budget. En 1993-1995, le secrétaire d’Etat au Budget d’alors avait tant
creusé les déficits qu’Alain Juppé, devenu Premier ministre après la victoire
de Jacques Chirac en 1995, avait qualifié les finances de l’état de
« calamiteuses ». Le déficit des administrations publiques était passé de
4 à 6 % du PIB, la dette avait explosé, passant de 45,3 % à 54,6 % en deux
ans, tandis que les prélèvements obligatoires n’avaient cessé de progresser
: 43,6 % du PIB en 1995 contre 42,9 % en 1993.
La mauvaise gestion budgétaire a été également de mise lors de son deuxième
passage au ministère des finances. Alors que dans le projet de loi de finances
2005, le ministre annonçait « la plus forte réduction des déficits de l’Etat
jamais prévue en une seule année » – 10 milliards d’euros –, l’effort de
réduction s’est limité à 4 milliards (0,2 point de PIB). A titre de comparaison,
le déficit de l’Etat entre 1997 et 1998, sous le Gouvernement Jospin,
a été réduit de 0,6 point de PIB soit en euros comparable de plus de 10,2
milliards. Soit un chiffre 2,5 fois supérieur…
Même constat sur la dette publique, qui a connu une très forte croissance
de 2002 à 2004 ; près de 6 points de richesse nationale supplémentaire en
moins de 2 ans, 65 % du PIB, contre 58,8 % en exécution en 2002, au
moment du départ du ministre ! Et les dépenses n’ont servi à financer ni
des politiques sociales ambitieuses, ni des investissements utiles dans les
services publics ou les infrastructures.
Les choix fiscaux du ministre ne se sont pas avérés plus judicieux. La
baisse des impôts sous le ministère de Nicolas Sarkozy aux Finances fut
une baisse en trompe-l’oeil. Le rapport économique et financier annexé
au budget 2005 annonçait bien une baisse de 6 milliards euros des impôts
d’état. Mais elle était en fait immédiatement compensée par une hausse
identique des prélèvements sociaux (notamment CSG et cotisations
sociales). Sa politique fiscale fut surtout caractérisée par refus d’intervenir
en direction des ménages modestes qui subirent de plein fouet la
hausse des prélèvements (hausse de la CSG sur l’épargne populaire),
des loyers, des carburants, des tarifs publics du gaz, de l’électricité, de
L’inquiétante « rupture tranquille » de Monsieur Sarkozy
74
la hausse du forfait hospitalier, jusqu’aux déremboursement de médicaments,
sans parler de l’explosion de la facture pétrolière. Cette stratégie
a été totalement incohérente puisqu’elle a abouti à augmenter ceux des
prélèvements qui pèsent le plus lourdement sur la croissance et l’emploi.
Nicolas Sarkozy avait beau jeu d’annoncer qu’il mettrait fin à la promesse
chiraquienne de baisser les impôts. En fait, il en profitait pour en baisser
d’autres : « a-t-on ainsi jamais vu des ménages, relancer leur consommation
ou des entreprises créer des emplois suite à une baisse de l’impôt
sur les successions ? » a pu noter à juste titre l’économiste Thomas
Piketty(77).
5. Le bilan de Nicolas Sarkozy aux commandes de l’économie est donc
plus que médiocre. D’ailleurs, les Français n’ont pas été dupes de l’agitation
médiatique de l’éphémère ministre de l’économie, parti huit mois à
peine après avoir été qualifié par le Medef de « Zidane de l’économie ».
Selon un sondage Louis Harris du 9 novembre 2004, 74 % des personnes
interrogées qualifiaient d’échec son action en matière de pouvoir d’achat,
71 % avaient une mauvaise opinion de son action sur l’emploi et 59 % sur
la croissance. Son passage n’a d’ailleurs eu aucun effet psychologique
positif, à l’inverse :
– pendant son passage à Bercy, la croissance a marqué le pas : elle était
à son départ 6 fois moins élevée qu’à son arrivée au ministère, et les prévisions
des instituts d’alors n’étaient guère optimistes ;
– malgré des annonces tonitruantes de relance de la consommation (à l’aide
d’un catalogue de mesures allant de la baisse des prix dans les grandes
surfaces au déblocage de l’épargne salariale, en passant par un encouragement
fiscal aux donations), le pouvoir d’achat et le moral des français
ont stagné, ce qui les a poussés à accroître encore leur épargne de précaution
;
– enfin le climat des affaires s’est dégradé pendant la période, l’investissement
des entreprises reculant (– 1 %) au troisième trimestre 2004.
Le « Zidane de l’économie » annoncé par le Medef se mua en « Robin
des bois inversé » au détriment des classes moyennes et populaires
prenant d’une main dans leur poche ce qu’il redonnait de l’autre aux
classes les plus aisées… Triste bilan pour celui qui souhaitait faire
oublier son profil libéral à l’occasion de son passage au ministère de
l’économie…
Nicolas Sarkozy ou le vrai libéral sous couvert d’un faux pragmatique
75
UN LIBÉRAL PUR ET DUR CAMOUFLÉ DERRIÈRE UN PRAGMATISME
DE FAÇADE
Derrière une impression tenace d’improvisation…
La pensée économique et sociale de Nicolas Sarkozy produit à première
vue une impression de flou, de décousu et d’imprécision.
Revenons à la période 1993-1995, à cet égard emblématique pendant
laquelle il gère le budget. Elle constitue un bon exemple pour illustrer ce
manque de cohérence dans l’action menée. Dans un premier temps, le
ministre qualifie la crise économique sombre que traverse alors la France
de « crise de l’offre » : si l’activité faiblit, ce n’est pas parce que la consommation
des ménages est anémiée, nous explique-t-il, mais parce que l’appareil
de production souffre d’un manque de compétitivité. De manière
typiquement libérale, le prometteur Ministre délégué au Budget préconise,
pour corriger ces effets, des allègements massifs des prélèvements
sur les entreprises (dont le très couteux décalage d’un mois de la TVA –
plus de 14 milliards d’euros de coût pour l’état) et un relèvement de la CSG
pesant sur les ménages. Quelques mois plus tard, la réalité a rattrapé le
jeune ministre : la croissance s’essouffle, le chômage s’envole, la grogne
monte dans l’opinion. Sans vergogne, ni grande cohérence, voilà qu’il opère
alors un virage complet, adoptant dans la précipitation une cascade de
mesures de soutien au consommateur – allocation de rentrée scolaire,
prime à la casse pour les voitures…
De même, sur le plan intellectuel, Nicolas Sarkozy cultive cette ambiguïté
en ne se revendiquant d’aucune école doctrinale, aucun économiste ne
trouvant vraiment grâce à ses yeux. Juriste de formation, le désintérêt pour
ces questions l’emporterait-il chez lui ? Certains considèrent cette absence
de culture économique comme une force, un avantage. Nicolas Sarkozy
serait un pragmatique plutôt qu’un idéologue, les mêmes y voyant un gage
d’ouverture d’esprit, d’aptitude à innover. N’étant enfermé dans aucun carcan
idéologique forcément réducteur, le ministre jouirait de toute liberté
pour agir, répondre aux vrais problèmes des français, sans a priori. Cette
liberté lui permettrait d’être réactif et présent sur tous les fronts, méthode
qu’il a déjà largement appliquée dans le domaine de la sécurité…
En réalité, Nicolas Sarkozy est un libéral orthodoxe et même un libéral
débridé : la non-intervention de l’État, le démantèlement des contraintes
réglementaires qui brident le marché, la préservation des richesses des
nantis sont ses marottes.
L’inquiétante « rupture tranquille » de Monsieur Sarkozy
76
…des convictions empruntant au libéralisme
le plus débridé
Ses convictions se nourrissent de ce point de vue de fascination, d’influence
et d’aversion.
1. Une fascination pour la réussite économique, le business et l’argent
tout d’abord. Nicolas Sarkozy est d’abord culturellement quelqu’un qui
n’a jamais eu besoin d’argent et qui a toujours fréquenté ceux qui en
détenaient beaucoup. Sa proximité avec les grands patrons, les grands
industriels, le show business ne fait plus mystère. Elle n’est pas blâmable
en soi mais le devient si elle se transforme en connivence.
« Ce n’est pas un droit pour l’état d’aider les industries, c’est un devoir »
avait-il affirmé devant le Medef en mai 2004. Les grands patrons ont
trouvé auprès de lui une oreille attentive, conciliante.
Cette proximité est le fruit de 23 années passées à la tête de l’une des
villes qui concentre le plus de sièges sociaux et de foyers fortunés de
France : Neuilly-sur-Seine. Nicolas Sarkozy rêve d’une France qui serait
Neuilly. Il utilise d’ailleurs sa ville et son département – les Hauts-de-
Seine – depuis qu’il est président du Conseil général, comme un lieu
d’expérimentation de ses idées.
2. Nicolas Sarkozy ne cesse, au gré de ses discours, de faire l’apologie
de la réussite sociale, des épopées légendaires des self-mademen,
de l’opulente richesse. De ce point de vue, ce n’est guère une
surprise que les États-Unis, le modèle anglo-saxon et le néo-conservatisme
des Républicains américains exercent sur lui une telle influence.
à une France « sclérosée et à bout de souffle », le ministre oppose,
jusqu’à la caricature, une image idéalisée du business à l’américaine
».
Lors d’un de ses voyages outre-Atlantique, il se dépeint comme « étranger
en son propre pays », ajoutant que « le rêve des familles françaises,
c’est que les jeunes aillent étudier dans les universités américaines.
Quand nous allons au cinéma, c’est pour voir des films américains,
quand nous ouvrons nos radios, c’est pour écouter de la musique américaine.
Nous aimons les États-Unis… le monde vous admire et vous
respecte ». Que de lieux communs et de leitmotiv éculés, sur un pays
et une société qui mérite une analyse autrement plus nuancée !
Nicolas Sarkozy ou le vrai libéral sous couvert d’un faux pragmatique
77
Son admiration pour le modèle américain transparaît avec encore plus de
force lors de son dernier voyage, début septembre 2006, pour la commémoration
des attentats du 11 septembre 2001. C’est une véritable profession
de foi à l’égard des États-Unis ! Il y affirme rêver d'une France où comme
aux États-Unis « on peut partir du bas de l'échelle et monter très haut, ou
bien le contraire ». « J'aime l'énergie et la fluidité de l'Amérique. Ce sentiment
que tout est possible ».
Cette adulation pour le modèle américain, et ce recours incessant, sans
esprit critique, aux modèles étrangers, confinent au ridicule.
Doit-on passer sous silence le fait que la politique économique et sociale
de Georges W. Bush aux états-Unis a quasiment provoqué la disparition
de la classe moyenne américaine au profit d’une inégalité croissante des
revenus ? La dilatation de l’échelle des salaires a été particulièrement aggravée
dans les pays anglo-saxons depuis la fin des années 70. Au Royaume-
Uni, par exemple, le ratio de revenu des 20 % des ménages les plus riches
à celui des plus pauvres est de 5,5 (contre 4 en France et en Allemagne) ;
18 % des ménages sont pauvres (contre 13 % en France et en Allemagne)(78).
Aux États-Unis, 45 millions d’Américains vivent sans couverture médicale,
soit 15,6 % de la population et presque tous ont moins de 65 ans ! Il parait
possible de souhaiter un autre modèle de société pour notre pays, plus
conforme à nos valeurs et à notre histoire.
3. Mais ce qui catalyse le plus l’élan libéral de Sarkozy et son désir de rupture,
c’est l’aversion qu’il porte au modèle français, construit au gré des
luttes sociales, fortement influencé par la tradition ouvriériste, syndicale
et socialiste française. On s’attardera plus longuement sur les ressorts de
cette détestation du pacte social français, et sur les outrances dont abuse
Nicolas Sarkozy pour préparer les esprits à sa révolution conservatrice.
Rappelons simplement ici les arguments caricaturaux de cette offensive :
à l’écouter, la France vivrait sous un État Providence autoritaire qui aurait
anesthésié toute velléité d’effort, de travail, toute ambition et tout développement,
une France repliée sur elle-même, prise en otage par une minorité
de fonctionnaires et de syndicalistes arc-boutés sur leurs privilèges,
un pays décadent voué à se désintégrer dans la mondialisation.
Le président de l’UMP cherche à réduire le débat politique à une vision
manichéenne entre le « conservatisme » et la « modernité », entre « archaïsme »
et « mouvement », étant entendu que la modernité s’identifie dans son esprit
à la dynamique naturelle et acceptée de la mondialisation néolibérale.
L’inquiétante « rupture tranquille » de Monsieur Sarkozy
78
De manière révélatrice, Nicolas Sarkozy a fait du rapport de Michel
Camdessus, ancien directeur général du Fonds monétaire international,
« son livre de chevet ». S’agit-il du vrai programme de Nicolas Sarkozy
pour la présidentielle ? La réalité n’est peut-être pas si éloignée…
Que dit ce rapport ? Intitulé « Vers une nouvelle croissance pour la France »,
il dresse d’abord un tableau sombre mais attendu de la société française : taux
de chômage oscillant depuis 20 ans entre 8 % et 12 %, avec un très faible taux
d’emploi des jeunes et des seniors, ralentissement de la productivité, « rétrécissement
» des moyens d’action de l’état malgré un niveau de dépenses publiques
record, « résultats médiocres » de la lutte contre la pauvreté…
Surtout, le rapport se fait très précis sur ses propositions, riches de réformes
ultra-libérales – tels que la fusion du CDI et du CDD en un contrat de
travail unique, dont les droits attachés seraient fonction de l’ancienneté
dans l’entreprise, ou l’allègement des procédures de licenciement compensé
par une taxe imposée aux entreprises qui licencient, pour ne citer
que quelques exemples. À l’inverse, le rapport Camdessus se fait nettement
plus flou quant à la mise en place de mesures solidaires ou d’outils
pour protéger les salariés.
Voilà probablement le vrai visage du Président de l’UMP. Ce rapport ressemble
à ce que Nicolas Sarkozy pourrait effectivement être tenté de mettre
en place s’il était seul aux commandes du pouvoir : une société douce
envers les puissants, dure avec les faibles ;
– sur les finances publiques, sans doute désireux de faire oublier sa responsabilité
dans l’augmentation de la dette, Nicolas Sarkozy promet d’appliquer
à la lettre les préconisations du rapport de Michel Pébereau pour
une cure d’austérité sans précédent ;
– en matière d’emploi, la proposition de suppression du CDD et de promotion
d’un contrat unique reprise dans le rapport – et initialement formulée
par Mr Cahuc et Mr Kramarz(79) – n’a-t-il pas servi de fil conducteur à la
convention sociale que l’UMP a organisée en mars 2005 et n’a-t-elle pas
été reprise dans le projet législatif de l’UMP ?
Une France volontairement décriée, prélude
à une thérapie de choc
Le ministre déploie inlassablement son énergie au service d’une seule ambition
: convaincre les Français que leur pays est à la dérive, proche de la
Nicolas Sarkozy ou le vrai libéral sous couvert d’un faux pragmatique
79
chute, et que lui seul incarne l’homme providentiel capable de le sortir de
l’impasse dans lequel il se trouve.
En utilisant (ici) les mêmes ressorts et la même sémantique que Le Pen ou
de Villiers, Nicolas Sarkozy prophétise la fin de la France si rien n’est fait:
« les soubresauts de notre grandeur suffisent de moins en moins à dissimuler
l’étendue du terrain parfois perdu » affirme-t-il lors de ses voeux à la
presse en janvier 2006.
En cela, Nicolas Sarkozy s’inscrit parfaitement dans le courant des « déclinologues
» français, de Pascal Salin, Jacques Garello, Nicolas Baverez,
à Henri Guaino, Christophe Lambert, ou encore Jacques Marseille, et de
certains relais institutionnels (Association pour la liberté économique et le
progrès social [Aleps], Institut français pour la recherche sur les administrations
publiques [Ifrap]), qui partagent le même élan libéral de Sarkozy,
son même désir de rupture, sa même détestation du modèle français.
Ces Cassandre de la « France qui tombe »(80) voient plonger le pays dans
une sorte de désespoir et ne s’embarrassent pas d’une exigence de rigueur
intellectuelle ou scientifique, mettant bout à bout une avalanche de statistiques
hors contexte et usant abondamment de formules catastrophistes :
« désert industriel », « euthanasie de la production et du travail », « pratiques
de terrorisme social »… « La France, affirme par exemple Nicolas
Baverez, souvent mieux inspiré, s’est isolée dans une bulle de démagogie
et de mensonges (…) les hommes politiques ont refusé de dire la vérité
(…). On n’ose pas les réformes parce qu’on redoute les révolutions. Mais
c’est précisément l’absence de réformes qui débouche sur les révolutions »(81).
Cette révolution qu’ils appellent de leurs voeux est avant tout libérale, et
vise d’abord à déréglementer l’économie et le marché du travail.
Dans la même veine, le portrait sarkozien de la France actuelle n’est réalisé
qu’à charge, sans nuance, quitte à en grossir certains traits et à en dramatiser
certains enjeux. Et peu importe si cette France est (mal) dirigée
depuis cinq ans par un gouvernement de droite, au sein duquel Nicolas
Sarkozy occupe justement une place centrale.
Cette construction partiale du diagnostic se retrouve dans la quasi-totalité
des documents de l’UMP. C’est ainsi par exemple que le dossier préparatoire
à la convention sociale de mars 2005, réalisé par la direction des études
de l’UMP, comporte des affirmations non étayées ou des silences révélateurs
censés illustrer le déclin dans lequel se trouve la pays. Quelques exemples
suffisent à l’illustrer :
L’inquiétante « rupture tranquille » de Monsieur Sarkozy
80
– dans le paragraphe sur la démographie française et les enjeux du vieillissement,
les apports liés au solde migratoire ne sont même par mentionnés,
ce qui ne manque pas de logique pour un candidat qui défend une
immigration quasi nulle ;
– le chômage des jeunes est à dessein sur-dramatisé pour préparer le mouvement
de déréglementation du marché du travail ; l’affirmation selon laquelle
presque un jeune sur quatre est au chômage est inexacte : il s’agit en réalité
d’un jeune de 16 à 25 ans sur treize, si l’on tient compte de tous ceux
qui sont dans le système éducatif ;
– soutenant que les politiques sociales sont de plus en plus coûteuses, le
dossier affirme sans plus de détails que « ce qui est certain, c’est que les
résultats français sont, pour une dépense très élevée, inférieures à ceux de
nombre de nos voisins, qu’ils soient exprimés en taux de chômage, taux
d’emploi ou taux de pauvreté ».C’est aussi court qu’exagéré et caricatural ;
– le dossier présente la réforme américaine du workfare comme un incontestable
succès sans insister sur ses effets désastreux en terme d’aggravation
de la pauvreté.
Les principales caractéristiques de ce noir portrait méritent qu’on s’y arrête
un instant.
1. Nicolas Sarkozy estime que la France souffre d’un état atteint d’obésité,
d’un gouvernement dépensier qui fait primer l’opportunité sur la rationalité,
et d’une fonction publique pléthorique, peu inventive et réactionnaire.
« Notre état est trop souvent perçu comme un colosse de papier. Jamais
notre administration n’a été aussi compliquée, cloisonnée, engoncée dans
des procédures » déclare-t-il à l’occasion de la convention UMP sur les
inégalités.
« Dans un pays comme le nôtre, où les dépenses des pouvoirs publics
représentent 54 % de la richesse nationale, l’échec économique et social
est garanti si les dépenses sont mal orientées et les recettes prélevées en
contradiction avec nos objectifs de développement. Or, c’est à peu près ce
qui se passe chez nous. Au lieu d’augmenter le potentiel structurel de croissance
de l’économie française, les administrations sont devenues un
poids »(82) affirme-t-il aussi lors de la convention de l’UMP sur l’économie,
sans vouloir toutefois en assumer lui-même la responsabilité alors qu’il
participe au Gouvernement depuis 5 ans.
Nicolas Sarkozy ou le vrai libéral sous couvert d’un faux pragmatique
81
Ce document estime aussi que la situation des finances publiques est le
fait de comportements dépensiers et démagogiques des gouvernements
pour satisfaire les attentes de leur électorat et se maintenir au pouvoir, que
les politiques budgétaires n’ont pas été utilisées à bon escient, et que les
dépenses n’ont cessé de croître sans interruption, notamment pour payer
les fonctionnaires.
Sans revenir sur cette affirmation, soulignons qu’à rebours de l’idée selon
laquelle « globalement » la dette aurait fortement augmenté depuis 25 ans
de manière quasi-linéaire, le ratio dette/PIB en réalité s’est amélioré sous
l’action du gouvernement Jospin et s’est considérablement dégradé (de
8 points !) depuis mai 2002, sous l’effet de la hausse des déficits publics,
eux-mêmes liées à une surestimation permanente du taux de croissance
et à une politique économique et fiscale inconséquente, à la fois injuste et
inefficace.
La deuxième grande faiblesse du rapport Pébereau est de renoncer à toute
distinction parmi les formes de dette et à toute pédagogie : il peut y avoir
une « bonne dette » : celle qui consiste à investir dans des dépenses d’avenir
(innovation, recherche, éducation, formation) et d’infrastructures. La
dette d’aujourd’hui peut alors provoquer la croissance (voire les excédents…)
de demain comme l’ont montré les investissements et la dette de l’ère du
– pourtant très libéral – Ronald Reagan. La « mauvaise dette » est a contrario
celle qui voit l’état, comme sous Raffarin, Villepin et Sarkozy, couvrir
ses dépenses de fonctionnement par le déficit et l’emprunt.
Enfin, Monsieur Pébereau est, chacun le sait un libéral très convaincu. Hors
du rétrécissement du poids de l’état et de ses services publics, point de salut.
Peu lui importe qu’en Europe même les exemples abordent d’efficacités économiques
comparables dotées de formes d’intervention de l’État ou de protections
sociales très différentes. Pour simplifier : on peut arriver à un taux
de chômage quasiment équivalent en empruntant au « modèle anglo-saxon »
(peu d’intervention de l’état, peu de protection) ou au modèle scandinave
(forts prélèvements obligatoires, protections élevées, « flex sécurité »).
Dans le rapport Pébereau, Nicolas Sarkozy a voulu trouver la confirmation
de ses thèses sur le « déclin » engagé et sur la nécessaire « rupture
». Oubliant sa responsabilité personnelle forte (le poids de la dette
a augmenté considérablement lors des 2 passages de Sarkozy à Bercy,
avec Balladur puis avec Raffarin), le candidat de l’UMP se rassure à
coups de slogans martiaux et caricaturaux, comme celui de ne remplaL’inquiétante
« rupture tranquille » de Monsieur Sarkozy
82
cer qu’un fonctionnaire partant à la retraite sur deux, se gardant bien de
préciser comment.
On retiendra enfin que le candidat Sarkozy se révèle moins vertueux dans
ses promesses que sa lecture attendue du rapport Pébereau ne l’aurait
laissé penser : multipliant à la fois l’augmentation des dépenses publiques
et les baisses de recettes, il se prépare à creuser les déficits.
Le rapport Pébereau appelle enfin à une révolution dans les comportements,
une « rupture » dont Nicolas Sarkozy se réclame l’incarnation. Il
faut réduire drastiquement les recettes, profiter de la chance du départ à
la retraite massif des fonctionnaires pour faire opérer à l’état une cure d’austérité,
vendre le patrimoine…
3. Nicolas Sarkozy estime ensuite qu’en France persiste une organisation
de la société qui produit un dégoût pour le travail, vécu comme une forme
d’avilissement. Cette organisation est à la fois l’héritage du passé ouvriériste
français, et de la période de gestion socialiste. « Notre économie ne
cesse de s’affaiblir. Nous nous enfonçons depuis 1981 (…) Notre croissance
est molle car nous l’avons nous-mêmes amputée par des politiques
de partage du travail et de découragement de l’initiative. »(83)
Dans sa ligne de mire, les 35 heures qu’il ne cesse de fustiger – et pas seulement
à l’hôpital – niant ses effets sur l’emploi et les rendant responsables
d’une épidémie de paresse. Or, le procès injuste fait à la réforme des
35 heures et les tentatives pour en masquer les effets ont été contredites
à maintes reprises par des économistes ou des instituts de statistiques. La
réduction du temps de travail et les emplois jeunes mis en oeuvre pendant
la précédente législature, sous le Gouvernement Jospin, ont indéniablement
enrichi la croissance en emplois.
Sur la période 1997-2000, 1,6 millions d’emplois marchands et non marchands
ont été créés en France ; avec un rythme moyen de 400 000 emplois
supplémentaires par an, la montée de l’emploi total est deux fois plus rapide
que dans les années 1960, et dix fois supérieure à la moyenne annuelle
de la période 1974-1996(84).
Nicolas Sarkozy n’a qu’une obsession : prétendre égaler le taux de croissance
des modèles libéraux en allongeant la durée du travail. Le rapport
Camdessus a précisé sa pensée : « l’essentiel des différences de performances
de nos partenaires s’explique par la moindre quantité du travail
Nicolas Sarkozy ou le vrai libéral sous couvert d’un faux pragmatique
83
que nous mobilisons (…). Si un salarié français produit 5 % de plus par
heure travaillée qu’un américain, il produira 13 % de moins par an et 36 %
de moins sur l’ensemble de la vie active. » Il faudrait donc travailler plus
pour produire davantage, comme c’est le cas aux États-Unis.
« Est-ce choquant de regarder vers ceux qui s’en sortent mieux, comme
les États-Unis, et de constater par exemple que la quasi-totalité de l’écart
de croissance que nous avons avec eux depuis 1980 s’explique par la croissance
des heures travaillées chez eux et par la réduction massive de l’activité
chez nous ? » Cette affirmation de Nicolas Sarkozy est contestable
car incomplète. Il y a d’autres raisons qui expliquent ces écarts :
– au moins la moitié de la baisse de la productivité française par rapport à
la productivité américaine résulte du développement en France de l’emploi
des peu qualifiés, du fait notamment de l’absence de ciblage des allègements
de charge et des carences de notre formation permanente. Ces
travailleurs sont exclus du système de formation et cantonnés à des tâches
répétitives et des contrats précaires(85) ;
– la productivité du travail s’est accélérée aux États-Unis tandis qu’elle
s’est ralentie en Europe car les états-Unis ont davantage investi dans les
nouvelles technologies que l’Europe ; les dépenses de R&D brutes sont
restées stables aux états-Unis à 2,8 % du PIB alors qu’elles ont baissé
dans la plupart des pays d’Europe, pour atteindre 2,1 % du PIB en France
en 2001, contre 2,4 % en 1990.
Au-delà, quelles seraient les conséquences d’un rattrapage par une forte
hausse des heures travaillées ? Le bureau du recensement américain a
apporté une réponse dans le cas des États-Unis : la majorité des revenus
créés (50,1%) a profité aux 20 % de familles les plus favorisées. Et parmi
elles, seuls les 5 % les plus riches ont connu une augmentation de leur
niveau de vie. Est-ce vraiment cela le progrès ?
La critique de Nicolas Sarkozy ne s’arrête pas à la seule réduction du temps
de travail. Elle concerne également le Code du travail – et à travers lui le
statut de salarié – jugé trop complexe, trop procédurier et surtout trop protecteur
des travailleurs. Elle s’étend aussi au système français de protection
sociale, et en particulier au système d’indemnisation du chômage.
Dans le droit fil du courant ultralibéral, Nicolas Sarkozy analyse les causes
du chômage uniquement à partir de ce qu’il considère comme des rigiL’inquiétante
« rupture tranquille » de Monsieur Sarkozy
84
dités excessives du marché du travail : encadrement pesant du droit au
licenciement (délais de préavis trop longs, justifications inutiles exigées),
indemnisation excessive (en montant et en durée) des chômeurs.
Ces éléments soit disant contraignants ne seraient-ils pas en réalité les
justes garanties que la société, à travers les combats des travailleurs menés
depuis deux siècles, a conquises pour soustraire l’individu à l’arbitraire.
L’entreprise n’est pas l’ennemie du salarié, et leurs intérêts peuvent converger
pour le bénéfice de tous à condition que la subordination de l’employé
à l’employeur soit encadrée par des normes collectivement établies. Tel
est le rôle du Code du travail.
C’est d’ailleurs pourquoi le dialogue social est si essentiel mais il ne peut
exister sans une représentation collective des intérêts des travailleurs, incarnée
par le syndicalisme. Ce dialogue donne vie à des normes qui, à
défaut,resteraient figées, obsolètes, alors que les structures économiques,
les techniques et les aspirations humaines évoluent. C’est pourquoi la critique
sarkoziste des syndicats est si dangereuse, bien que logique dans
sa perspective de suppression des protections des salariés et d’évitement
des corps intermédiaires.
Nicolas Sarkozy juge sévèrement les organisations syndicales, qui ne représentent
selon lui plus qu’elles-mêmes, qui s’enferment dans un discours
partisan et conservateur (au nom de la préservation des acquis sociaux),
qui semblent réfractaires à toute réforme d’envergure, comme l’ont montré
les événements qui conduisirent au retrait du contrat première embauche
(CPE). « Il est très important de dialoguer avec les syndicats, mais il
est plus important encore de ne pas se couper de l’opinion publique.
J’observe que depuis 1945, la donne syndicale n’a pas changé. C’est un
peu comme si les électeurs avaient le choix entre la SFIO et le MRP ! »(86).
Certes le syndicalisme français traverse depuis de nombreuses années
une grave crise qu’il ne s’agit pas ici de minimiser. Les syndicats souffrent
d’un déficit de représentativité qui les pousse parfois à la surenchère. Mais
peut-on pour autant, au risque de déséquilibrer le pacte social, les condamner
à la disparition ?
4. Nicolas Sarkozy veut, enfin, en finir avec un système social d’assistanat
qui selon lui désespère les actifs, « qui ne correspond plus à notre modèle
et (…) qui n’est que le produit d’une habitude, d’une lâcheté, d’un oubli ».
« La République est née de la volonté de donner à tous les mêmes chances
(…) Cela ne veut pas dire qu’il faut faire la même chose pour tous. C’est
Nicolas Sarkozy ou le vrai libéral sous couvert d’un faux pragmatique
85
ce qu’ont fait les socialistes. Cela aboutit au nivellement et à l’assistanat.
Au contraire, il faut faire des priorités. » « Aujourd’hui, déclare-t-il encore,
la politique sociale est concentrée sur la partie de la population la plus nécessiteuse,
laissant de côté les catégories intermédiaires qui ont le sentiment
d’être toujours assez riches pour devoir payer des impôts et jamais assez
pauvres pour pouvoir toucher des prestations »(87).
Les éléments de la critique sarkoziste du système social français sont connus.
Son culte de la réussite et de la France qui travaille s’accompagne logiquement
d’une méfiance vis-à-vis des publics recevant une allocation ou
un minimum social. Il les considère plutôt comme des assistés, ou pis comme
des paresseux et fustige pêle-mêle les droits indus, les abus et les détournements
d’allocation.
Il adresse quatre ensembles de critiques au système social français.
a. En premier lieu, le système social est jugé trop cher et son financement
pèse excessivement sur les entreprises : les charges alourdissent le coût
du travail, détériorent la compétitivité des entreprises et engendrent un «
vaste » mouvement de délocalisations. Cette assertion est là encore excessive
et économiquement contestable.
Schématiquement le coût du travail se compose des cotisations patronales,
des cotisations salariales et du salaire net qui est versé au salarié et
sur lequel il paie l’impôt sur le revenu. La hausse des prélèvements sociaux
(cotisations patronale et salariale) n’induit pas nécessairement une hausse
concomitante du coût du travail, à la condition qu’elle soit compensée par
une diminution du salaire net. Or c’est précisément ce qui s’est passé en
France depuis plus de 20 ans. Les hausses de cotisations intervenues pendant
cette période ont, en fait, été essentiellement supportées par les salariés.
Les entreprises ont donc largement répercuté les hausses de charges
sociales sur les salaires. Ces hausses n’ont donc que marginalement pesé
sur leur développement.
Par ailleurs, la part des cotisations sociales a significativement baissé, au
profit des impôts et des taxes affectées, dans le financement de la protection
sociale, notamment au voisinage du SMIC : elles ne représentent plus
guère que 65 % des ressources environ, contre 97 % en 1980.
En réalité, si nous devons aujourd’hui – et la Gauche le propose – maîtriser
le coût de notre système de protection sociale, c’est surtout pour préL’inquiétante
« rupture tranquille » de Monsieur Sarkozy
86
server les assurés sociaux et contenir l’augmentation des cotisations, qui
s’effectue toujours à leur détriment.
b. Le système social français serait ensuite inégalitaire en ce sens qu’il privilégierait
les plus démunis et ne profiterait pas aux classes moyennes qui
pourtant sont celles qui y contribuent proportionnellement le plus.
Reconnaissons que ce constat est en partie exact. Cette assertion
suffit-elle à fonder une politique ? Tout dépend de ce dont on parle :
s’il s’agit de rééquilibrer les avantages de notre système social en
faveur des classes moyennes en rééquilibrant notamment, les prélèvements–
mais aussi les prestations sociales – la Gauche y est pleinement
favorable et nous l’avons rappelé à plusieurs reprises. En revanche,
telle n’est pas la politique qu’a suivie Nicolas Sarkozy en multipliant
les cadeaux fiscaux aux plus riches sans se soucier de la classe moyenne.
Notons aussi que, dans ce domaine, sa pensée manque sérieusement
de cohérence.
c. Le président de l’UMPestime aussi que les minima sociaux et l’aide sociale
emprisonnent les bénéficiaires dans l’assistanat et la passivité : ils n’incitent
pas suffisamment les plus pauvres à se réinsérer sur le marché du travail.
Le système n’est enfin pas suffisamment contrôlé et des droits sont
versés indûment à des bénéficiaires qui pourtant ne satisfont pas aux conditions
d’éligibilité. Là encore les constats sont partiellement exacts. Mais
la culpabilisation tient lieu de seule proposition…
Au total, cette charge antisociale engendre une stigmatisation des pauvres
et entretient un climat de défiance et de suspicion entre les classes
sociales.
Ce diagnostic au vitriol, savamment colporté de meeting en meeting, d’articles
en interviews, est dans une large mesure inexact. Il est fondé le plus
souvent sur des arguments vagues, des chiffres retirés de leur contexte,
sur l’imprécision et l’improvisation. Que dire encore, à cet égard, son discours
d’Agen au début en juillet 2006 ? La France y était encore décriée,
au moyen d’arguments fallacieux : « depuis vingt-cinq ans le pouvoir
d’achat des salaires n’a en moyenne presque pas augmenté ». Grossière
erreur. Si l’évolution haussière du pouvoir d’achat a certes connu une inflexion
en 1978, il a augmenté continûment de 15 %. Le pouvoir d’achat du salaire
minimum a gagné 24 % ! Mais il est vrai que les catégories populaires ont
vu leur pouvoir d’achat amputé depuis 2002.
Nicolas Sarkozy ou le vrai libéral sous couvert d’un faux pragmatique
87
Nicolas Sarkozy ne s’embarrasse pas d’une exigence de vérité ou de précision.
Là n’est pas sa principale préoccupation. Sa vision de la France est
éminemment politique. Ce noir portrait doit préparer la venue d’une thérapie
de choc pour sauver le pays.
LES DANGERS D’UNE RÉVOLUTION LIBÉRALE -
LE VOLET ÉCONOMIQUE
Pour sortir de l’impasse dans laquelle elle se trouve, il faudrait donc « libérer
» la France. La notion de « liberté » est abondamment utilisée par Nicolas
Sarkozy dans toutes ses interventions : il convient de « libérer les énergies
», instituer des « candidatures libres » aux élections syndicales, « libérer
le travail », laisser « le libre choix » de travailler plus ou moins, assurer
la « libre autonomie des établissements, notamment dans l’élaboration d’un
projet éducatif spécifique », la « liberté pédagogique des enseignants »(88)…
Ce discours ne doit pas faire illusion. Derrière cet habillage « rassurant »,
c’est l’insécurité économique et sociale qui se profile, la fin du salariat et
de l’ordre public social – qui garantissait jusqu’à présent au travailleur de
bénéficier des normes sociales les plus favorables – c’est la négation du
droit syndical…
Son projet économique est rappelons-le vague et décousu. Mais ne nous
y trompons pas : l’ambition visée est claire. Les ressorts de cette ambition
peuvent se résumer ainsi :
– orchestrer l’effacement de l’état dans le domaine économique ;
– favoriser l’enrichissement de ceux qui travaillent et entreprennent ;
– remettre la France au travail en libéralisant le marché du travail.
Orchestrer l’effacement de l’état
Nicolas Sarkozy appartient à la frange « autoritaire » de la droite française. Il
prône, dans les domaines dits de souveraineté – c'est-à-dire en matière de
justice, de police, de défense… – un État régalien fort, respecté, voire craint.
En économie, sa conception est pourtant résolument différente. S’il aime
à pouvoir mobiliser des relais au sein de l’état, de l’opinion, du patronat ou
des syndicats pour faire avancer un dossier ou obtenir ce qu’il souhaite, il
n’est pas pour autant partisan d’un état pilotant directement l’économie,
en investissant ses divers compartiments. Il reste avant tout un libéral convaincu,
dans la droite ligne des républicains américains, qui prônent le laisser-faire
et la non-intervention de l’état dans l’économie.
L’inquiétante « rupture tranquille » de Monsieur Sarkozy
88
à cet égard, sa relative inaction lors de son passage à Bercy n’est pas dénuée
de logique. L’important n’est pas de faire, il est même indispensable selon
lui de ne rien faire qui puisse perturber le cours des affaires. En revanche,
il faut donner l’illusion à l’électorat que l’État continue d’agir. C’est pourquoi
Nicolas Sarkozy a déployé toute son énergie à communiquer sans
cesse, à occuper l’écran. C’est pourquoi il avait aussi, dès son arrivée au
ministère, demandé à ses conseillers de lui trouver des opérations « intéressantes
» qui ne coûtent rien. C’est donc avant tout un État « incantatoire
» en matière économique que Nicolas Sarkozy souhaite promouvoir
s’il est élu Président de la République.
Nicolas Sarkozy s’en défend mal. Mais il prône un effacement de l’état qui
passe fondamentalement par une réduction drastique de ses moyens d’action
dans les prochaines années.
1. « Les fonctionnaires, combien de bataillons » ?
Le président de l’UMP prône en premier lieu une réduction drastique du
nombre de fonctionnaires. Interrogé en 1997(89) sur les sujets de confrontation
droite-gauche, il déclarait déjà : « D’abord la place et le rôle de l’État.
D’un côté les socialistes disent qu’il doit continuer à prospérer, qu’il faut
engager 350 000 fonctionnaires de plus et que, dans le meilleur des cas,
on n’augmentera pas les dépenses. De l’autre nous disons que nous ne
pouvons rester le pays d’Europe où la part des dépenses publiques dans
la richesse nationale est la plus importante. Il faut donc dépenser mieux et
moins. (…) Le problème du nombre de fonctionnaires doit être posé. Si l’on
veut moins d’impôt, il faut moins de dépenses. (…) Il y a six cent mille départs
à la retraite chaque année. Ne pas en remplacer dix mille me semble un
minimum. » Plus récemment, en septembre 2005, lors de la convention de
l’UMP sur l’économie, il est allé plus loin en réclamant le non remplacement
d’un départ sur deux à la retraite.
Président de l’UMP, il se méfie des fonctionnaires, qu’il considère dans leur
majorité comme un électorat plutôt marqué à gauche. Il n’a de cesse de
critiquer les avantages dont bénéficient ces derniers : sécurité de l’emploi,
salaires… Ainsi le dossier préparatoire de l’UMP à la convention sur les
inégalités du 30 novembre 2005 notait : « L’incertitude sur l’avenir (…) se
double d’une grande inégalité. Certaines catégories de la population active
sont en effet nettement plus protégées que les salariés du secteur privé. Il
s’agit essentiellement des agents publics et, dans une moindre mesure,
des cadres supérieurs (…). Contrairement à une idée reçue, le traitement
des fonctionnaires n’est aujourd’hui pas moins avantageux que les salaiNicolas
Sarkozy ou le vrai libéral sous couvert d’un faux pragmatique
89
res du privé, et ne compense donc pas l’absence de risque. En 2003, le
salaire moyen dans les entreprises s’élevait à 1 811 € net de tous prélèvements
à la source, tandis qu’il était de 2 072 € pour un agent de la fonction
publique d’état. » Cette affirmation est incomplète, donc tendancieuse. Comme
d’habitude, le rédacteur oublie l’essentiel : le niveau de qualification dans
la fonction publique est en moyenne très supérieur à celui du privé du fait
du poids considérable des fonctionnaires de catégorie A, qui ont au minimum
une licence (Bac + 3), voire des diplômes supérieurs, ce qui induit
une sur-représentation des diplômés. Corrigé de ce phénomène, les comparaisons
apparaissent beaucoup plus favorables au secteur privé.
Il ne s’agit, bien évidemment, de rejeter toute initiative visant à rechercher,
y compris dans la sphère publique, des gains de productivité et à améliorer
le service rendu au coût optimal. Mais Nicolas Sarkozy ne se fixe que
des objectifs quantitatifs sans conduire une réflexion sérieuse sur les missions
de l’état. Bien sûr, ce n’est pas totalement illogique dans l’esprit d’un
homme qui souhaite que l’état se replie sur un champ de compétence restreint
et délaisse des pans entiers au marché (régulation économique, protection
sociale, services publics de transports, infrastructures…).
Par ailleurs, le président de l’UMP n’a jamais clairement précisé comment
se répartirait cette diminution des effectifs. On se doute que la police n’en
supportera pas les effets, mais qu’en sera-t-il des autres administrations ?
La Justice, les ministères sociaux, l’éducation Nationale ne parviennent,
dans certains domaines, que très difficilement à assurer, dans de bonnes
conditions, leurs missions au service du citoyen. Vont-ils devoir encore contribuer
à cet effort alors que les citoyens expriment à leur encontre une attente
toujours plus exigeante ? La droite promet des redéploiements massifs entre
administrations mais sont-ils possibles à l’échelle d’une fonction publique
très spécialisée et segmentée comme la nôtre ? En d’autres termes, un inspecteur
des impôts peut-il s’improviser inspecteur des affaires sanitaires et
sociales ? La réflexion de l’UMP sur ces questions est inexistante.
Nicolas Sarkozy s’attaque également aux garanties même de la fonction
publique et aux principes qui la fondent : fonction publique de carrière, promotion
à l’ancienneté, rémunération sanctuarisée selon une grille précise.
C’est oublier un peu vite que ces principes lui ont permis de traverser les
décennies en restant loyale, unie, performante et honnête.
Il souhaite importer dans le secteur public des modes d’organisation et de
gestion du secteur privé : culture de la performance, intéressement, rémuL’inquiétante
« rupture tranquille » de Monsieur Sarkozy
90
nération des heures supplémentaires… « Il faut profiter des départs à la
retraite pour réduire le nombre de fonctionnaires et partager avec eux les
gains de productivité, défend-il. Il faut permettre aux fonctionnaires qui le
souhaitent de travailler plus pour gagner plus. Il faut créer un système de
rémunération à trois étages, avec un traitement indiciaire de base, une
prime liée à la difficulté du poste et une prime liée aux performances »(90).
Le secteur public a sûrement à apprendre du privé, notamment la capacité
d’adaptation de certaines entreprises aux mutations technologiques. Mais
ce choix doit être fait avec discernement, et après un débat approfondi et
transparent avec les principaux intéressés, car cette évolution n’est pas
anodine pour une fonction publique fondée sur des principes d’organisation
et des valeurs sensiblement différentes de celle du secteur privé, en
matière de performance.
2. « Des dépenses de fonctionnement et d’investissement de l’État passées
au crible »
Au-delà de la réduction du nombre des fonctionnaires, le ministre plaide
pour une réduction sensible des dépenses de fonctionnement et d’investissement
de l’État.
Ainsi, il a affirmé qu’il prenait à son compte l’ensemble des préconisations
du rapport Pébereau pour revenir en 10 ans à une dette soutenable. « Je
souhaite que ces recommandations soient rapidement mises en oeuvre et
dans leur ensemble » a-t-il déclaré. Une véritable thérapie de choc est préconisée
par le rapport, en se gardant bien toutefois d’en proposer le moindre
chiffrage macro-économique : réduction des déficits de 0,6 point par
an jusqu’au retour à l’équilibre, obligation d’analyse précise de l’utilité des
dépenses publiques, application du principe selon lequel toute nouvelle
dépense doit être gagée par la suppression d’une autre, stabilisation des
prélèvements obligatoires, non-remplacement d’une partie des départs à
la retraite des fonctionnaires, cession des participations de l’état dans les
entreprises publiques.
Il y a tout lieu de penser qu’à peine élu, Nicolas Sarkozy demanderait à son
Premier ministre de ne plus utiliser l’instrument budgétaire pour dynamiser
la demande, gèlerait les dépenses publiques voire réduirait les crédits
alloués à l’éducation, à la santé ou à l’environnement…
Les conséquences de ce régime drastique seraient périlleuses pour l’économie
française dont la croissance reste fragile : elles engendreraient une
Nicolas Sarkozy ou le vrai libéral sous couvert d’un faux pragmatique
91
dépression économique majeure. Le gel des investissements et des dépenses
n’est sûrement pas la solution, au moment même où le besoin de routes,
d’écoles, de crèches, de laboratoires, d’hôpitaux est croissant et que
les infrastructures constituent un élément déterminant de la compétitivité
de la France. Car il n’est pas certain du tout que l’investissement privé suffise
et que son « utilité » soit en tout point supérieure à la dépense publique.
3. Quel avenir pour les services publics ?
Pour accompagner le mouvement de réduction des dépenses, Nicolas Sarkozy
prépare en outre l’opinion à ce qui s’apparente à un véritable démantèlement
des services publics.
À écouter le Président de l’UMP, les pouvoirs publics se seraient révélés
incapables d’offrir un service de qualité aux usagers-clients. Sa critique
frise encore la caricature : « La réalité, c’est que depuis 25 ans les usagers
font aux services publics toujours les mêmes reproches : les procédures
sont beaucoup trop lentes ; l’accueil téléphonique est insupportable ; les
horaires d’ouverture sont inadaptés ; les attentes au guichet sont trop longues
; le traitement des dossiers est impersonnel ; les administrations sont
trop cloisonnées. Quelle entreprise pourrait se contenter de ce que 70 %
seulement de ses clients sont satisfaits de ses services ? ». Le mot est prononcé
: en libéral convaincu, le président de l’UMP avoue sa conviction de
la supériorité de la gestion privée sur la gestion publique, quel que soit le
périmètre considéré.
C’est la raison pour laquelle il souhaite le développement des délégations
de services publics et des partenariats public-privé (PPP) qui permettent
aux entreprises de financer et de gérer un service public ou une infrastructure
à la place d’une collectivité – sans insister sur le fait que ces modes
de gestion – qui en soit peuvent apporter expertise et financements sur un
certain nombre de projets d’infrastructure – ne peuvent et ne doivent pas
devenir le seul mode d’intervention des pouvoirs publics nationaux ou locaux.
Au-delà, Nicolas Sarkozy entretien l’équivoque sur la clé du futur périmètre
des services publics : on lui objecte que le maintien des services est la
seule façon de conserver une offre de service égale sur l’ensemble du territoire,
y compris dans les zones les plus reculées ? Le Ministre répond
derechef que le secteur privé est capable des mêmes garanties, quitte à
être subventionné par l’état pour cela.
4. Détour chez nos voisins européens
Peut-être serait-on tenté de suggérer au président de l’UMP de regarder plus
L’inquiétante « rupture tranquille » de Monsieur Sarkozy
92
attentivement certains exemples hors de nos frontières, notamment au
Royaume-Uni, lui qui ne cessent d’évoquer à tout va les modèles étrangers.
Après son arrivée au pouvoir, Tony Blair avait continué à serrer la vis des
dépenses publiques dans la lignée de ses prédécesseurs conservateurs.
Mais depuis 2001, il a radicalement changé son fusil d’épaule : les dépenses
publiques sont passées de 37 % du PIB en 2000 à 42,8 % en 2003,
selon l’OCDE. Ainsi, l’emploi dans les administrations publiques, l’éducation,
la santé, qui ne s’était accru que de 97 000 personnes entre 1990 et
1997, a augmenté de 860 000 personnes depuis, expliquant la quasi-totalité
des créations d’emplois en 2003. Tony Blair a fait embaucher 100 000
fonctionnaires de plus chaque année depuis 2000.
Cet effort est sans équivalent parmi les pays de l’OCDE. Ce n’est toutefois
pas pour soutenir la conjoncture mais parce que ses prédécesseurs conservateurs,
au pouvoir de 1979 à 1997, tant admirés par Nicolas Sarkozy à
l’époque, ont laissé les infrastructures publiques exsangues : système de
santé et éducation en déliquescence, transports en ruine. Il a même fallu
« renationaliser » les chemins de fer en 2001 suite à plusieurs catastrophes
ferroviaires.
5. La privatisation des dernières entreprises publiques parachève cette
offensive.
Le démantèlement des services et du secteur publics est en marche et il
est difficile de prévoir où s’arrêtera ce mouvement.
En 1996 déjà, Nicolas Sarkozy estimait que le statut d’Air France l’empêchait
de se développer. Ministre de l’économie et des finances en 2004, il
a largement préparé le terrain, s’agissant d’EDF et de GDF en transformant
ces deux établissements publics en société anonyme. Pour faire passer
la pilule auprès des syndicats et du personnel, il n’a pas hésité, à nouveau,
à prêter serment …. Il s’est engagé à ce que ces deux entreprises ne soient
jamais privatisées(91).
L’ouverture du capital de GDF est intervenue quelques mois après son départ
de Bercy, et Nicolas Sarkozy s’est finalement mis d’accord avec le Premier
ministre pour qu’elle soit totalement privatisée avant la fin 2006. Le Conseil
constitutionnel a récemment renvoyé la concrétisation du mariage Suez-
GDF à la fin du premier semestre 2007, soit après l’élection présidentielle.
Ironie du sort : Nicolas Sarkozy devient aux yeux des Français le candidat
de la privatisation de GDF !
Nicolas Sarkozy ou le vrai libéral sous couvert d’un faux pragmatique
93
Il a par ailleurs achevé de privatiser France Telecom. Il a aussi mis 35 % du
capital de la Snecma sur le marché, de même que le capital de deux sociétés
d’autoroute (SANEF et SAPRR) à un tarif que tout le monde reconnait bradé.
Le tour viendra pour Areva, la CNP, le CEA… N’en doutons guère(92).
Jusqu’où ira ce mouvement ? L’ouverture à la concurrence ne devrait pas
se limiter à la seule sphère économique. Le service public de l’emploi a
déjà été touché avec la suppression du monopole de placement de l’ANPE
(Agence Nationale pour l’Emploi). Elle pourrait un jour aussi s’étendre à
l’éducation Nationale.
6. Ce retrait de l’état ne s’accompagne pas d’un renforcement de l’échelon
européen sur le plan politique ou économique.
Nicolas Sarkozy a beaucoup tardé à investir le sujet européen comme s’il
ne l’intéressait guère. Il est vrai qu’il ne montre pas beaucoup d’ambition
sur ce terrain.
Or, le seul vrai débat important en matière européenne se résume en une
question : quel est l’objet de la construction européenne ou, en d’autres
termes, quel est notre projet pour l’Europe ?
Il existe aujourd’hui, et schématiquement, trois projets distincts pour
l’Europe.
Être le lieu de réconciliation des adversaires du siècle passé. C’est un projet
que l’on pourrait qualifier d’inspiration allemande. En 1945, la crise morale
est énorme : 50 millions de morts dont 35 millions de civils, 10 millions
d’hommes anéantis dans les camps de la mort. L’Europe qui renaît dans
les années 50 est donc fortement marquée par cet héritage. Elle est d’abord
celle de la réconciliation de tous les nationalismes exacerbés du siècle
passé. Hier réconciliation des français et des allemands, aujourd’hui des
tchèques et des slovaques, des allemands et des peuples de la Mitteleuropa,
demain des serbes, des croates et des bosniaques ou encore et peut être
des turcs et des grecs.
Deuxième alternative possible : être un vaste marché commun débarrassé
des entraves au libre échange. C’est un projet de conception anglo-saxonne
qui a clairement la préférence des américains. Il parie sur l’intégration et
la taille des marchés, la division du travail et de la rationalisation des tâches
à l’échelle du continent.
L’inquiétante « rupture tranquille » de Monsieur Sarkozy
94
Troisième alternative possible : être une puissance politique majeure
sur la scène internationale. Si l’Europe veut compter, alors il lui faut s’affirmer
comme une puissance politique, diplomatique et militaire. Ce projet
est tout entier organisé autour de l’idée d’indépendance européenne :
indépendance de son modèle social vis-à-vis du modèle dominant, indépendance
de sa politique internationale visant à promouvoir un modèle
alternatif à une mondialisation soumise exclusivement aux impératifs
du marché, indépendance enfin vis-à-vis d’un partenaire américain qui
a cédé à la tentation d’abuser de sa toute puissance. Cette dernière vision
est historiquement celle de la France. Elle peut devenir demain celle de
nos partenaires européens mais est-elle aujourd’hui celle de Nicolas
Sarkozy ?
Nicolas Sarkozy nous laisse dans le domaine de la politique européenne
une lancinante et persistante impression de double jeu.
Les leaders européens qu’il apprécie le plus ne comptent pas parmi les
européens les plus convaincus, qu’il s’agisse de José Maria Aznar ou de
Silvio Berlusconi.
Il conteste l'efficacité, pourtant avérée, du moteur franco-allemand et invoque
un temps la réalité démographique (les pays de plus de 40 millions
d'habitants) pour préconiser une alliance avec la Grande-Bretagne, l'Italie
et la Pologne, trois pays qui se sont montrés les plus fidèles soutiens des
États-Unis dans la guerre irakienne… C’est aujourd’hui l’hypothèse des
six pays fondateurs qui tient la corde pour constituer, à ses yeux, le futur
moteur de la construction européenne…
En 1992, au moment du référendum sur le traité de Maastricht, il est, avec
Édouard Balladur, de ceux qui suggèrent à Jacques Chirac de prôner l'abstention.
Si le président du RPR les avait suivis, le oui aurait très probablement
été battu et l'Euro envoyé aux oubliettes.
Treize ans plus tard, en mai 2005, au moment du référendum sur la constitution
européenne, il finasse de nouveau. Certes, le président de l'UMP
prône le oui à la constitution européenne mais fait voter son parti contre
l'adhésion de la Turquie : le 6 mars 2005, le Conseil national l'UMPconfirme
donc cette position qu’il avait pourtant déjà adoptée le 9 mai 2004 à
Aubervilliers sous la présidence d'Alain Juppé ! En entretenant la confusion
entre le vote de la constitution européenne et la question turque, Nicolas
Sarkozy fait de la politique politicienne et règle ses comptes personnels
avec le président de la République.
Nicolas Sarkozy ou le vrai libéral sous couvert d’un faux pragmatique
95
Quelques mois plus tard, lors de la convention de l’UMP consacrée, en septembre
2005, à l’Europe, il fait profession de foi européenne mais derrière
les belles déclarations sur l’Europe puissance, quelles sont ses propositions
concrètes ? Une politique communautaire en matière de recherche et
d’innovation, un renforcement des capacités de projection sur les champs
d’intervention extérieure, un Schengen de la lutte anti-terroriste et de la lutte
contre la criminalité organisée, une diplomatie de l’énergie pour sécuriser
les approvisionnements, comme le font actuellement les états-Unis et la
Grande-Bretagne… Rien de bien nouveau, ni de vraiment concret ! Voilà
qui est bien peu pour quelqu’un qui prône la rupture ! Rien sur l’emploi, sur
le renforcement du gouvernement économique de la zone euro, sur l’harmonisation
de la fiscalité des entreprises, ou sur un vaste programme de
grands travaux fondé sur l'édification de grands réseaux transeuropéens
de transport, d’énergie et la préparation de la société de l'information ! Rien
de tout cela, tout au plus un vague engagement à définir au niveau européen
une politique de protection de nos intérêts économiques.
Ces trois épisodes en 1992, en mai 2005 et enfin en septembre de cette
même année témoignent, au mieux de l’euro-scepticisme de Nicolas
Sarkozy, au pire de son absence complète de conviction en ce domaine :
l’Europe ne serait alors pour lui qu’un moyen parmi d’autres de parvenir à
ses fins : accéder à la présidence de la République. Instrument de son avenir
plutôt que de celui des européens !
Sa réflexion se résume à une vague critique de l’euro et de la banque centrale
européenne (BCE), jugés responsables des maux dont souffre la France.
Durant son discours d’Agen du 22 juin 2006, il « reconnaît » que « l’introduction
de l’euro a brouillé les repères monétaires et qu’il s’est bel et bien
accompagné d’une forte hausse du coût de la vie et d’une chute du pouvoir
d’achat ».
Pour corriger ces dysfonctionnements, le président de l’UMP préconise un
gouvernement économique de l’Europe qui prime sur la politique de la BCE.
Donnons lui acte de reprendre une idée que les socialistes soutiennent depuis
1992. Il y a fort à craindre toutefois que nous ne mettions pas la même chose
derrière ces mots. Nicolas Sarkozy ne souhaite guère que l’Europe intervienne
dans l’économie au-delà de ses compétences actuelles qui se limitent
finalement à la concurrence, à l’agriculture et à la monnaie.
Il n’a jamais été favorable au renforcement des marges de manoeuvre budgétaire,
à une progression du budget européen, ou à la mise en oeuvre
L’inquiétante « rupture tranquille » de Monsieur Sarkozy
96
d’une véritable politique industrielle ou sociale. Il a toujours été farouchement
opposé à l’harmonisation fiscale, souhaitant pouvoir utiliser de
manière discrétionnaire cet outil pour favoriser ses clientèles (les buralistes,
les médecins, …). « Chaque gouvernement devrait pouvoir déterminer
le taux de TVAapplicable aux prestations locales » martèle-t-il. Même
s’il n’a pas hésité à menacer les pays de l’Est de représailles (suppression
de l’éligibilité aux fonds structurels) si ceux-ci ne consentaient pas à mettre
fin à leur dumping fiscal… Il n’en est pas à une contradiction près.
Tout cela n’est pas à la hauteur des enjeux européens.
En fait, l’Europe d’aujourd’hui satisfait Nicolas Sarkozy. Comme elle satisfait
les États-Unis. La vision anglo-saxonne d’une Europe réduite à une
zone de libre échange, le cas échéant régulée par quelques politiques communes,
est en train de l’emporter. Faute de volonté et de cohérence,
l’Europe se contente d’être une puissance civile, une sorte de Scandinavie
du Monde, une nouvelle Finlande dont les États-Unis auraient neutralisé
la politique extérieure comme jadis l’URSS avait neutralisé la Finlande.
On comprend mieux dans ses conditions son attitude pour le moins ambiguë
lors de l’intervention américaine en Irak.
Permettre aux riches de s’enrichir davantage
« Je suis le gardien du fruit du travail des Français qui en ont le plus besoin »
aime à répéter Nicolas Sarkozy. Pour réhabiliter l’effort, l’audace, le goût
du risque, il veut déculpabiliser les Français de gagner davantage d’argent.
Ainsi souhaite-t-il intéresser les enseignants à la performance en rémunérant
davantage les plus compétents, autoriser les salariés à travailler
plus de 35 heures et gagner davantage par le biais des heures supplémentaires,
encourager les bénéficiaires des minima à retrouver un emploi. Tout
ceci paraît partir d’une louable intention. Mais c’est l’arbre qui cache la
forêt, car ce qu’il cherche avant tout, et en cela il s’inscrit clairement dans
le courant néo-conservateur américain, c’est l’éradication de tous les obstacles
à l’enrichissement des « meilleurs », c’est la neutralisation des mécanismes
de redistribution verticale. Et peu lui importe si cette politique débouche
sur un accroissement des inégalités, comme c’est le cas aux états-Unis.
Les mesures fiscales décidées pendant son passage à Bercy en 2004 constituent
un condensé de la politique que le candidat pourrait appliquer à grande
ampleur s’il était élu à la Présidence de la République. Elles ont dans leur
grande majorité visé à favoriser des clientèles – les patrons, les propriétaires,
les détenteurs de patrimoine – et ont toutes comme point commun
de favoriser les plus riches et les plus favorisés. Pendant son discours d’Agen,
le président de l’UMP n’a-t-il pas avoué : « Je veux dire au grand patron
Nicolas Sarkozy ou le vrai libéral sous couvert d’un faux pragmatique
97
qui gagne beaucoup d’argent qu’il est sain de gagner de l’argent quand on
l’a mérité parce qu’on a contribué à créer beaucoup d’emplois et beaucoup
de valeur ».
Déjà en 1993-1995, il avait choisi d’augmenter la CSG (1,3 point), la TIPP,
la TVA sur les abonnements EDF-GDF, la redevance… et avait parallèlement
baissé l’impôt sur le revenu, élevé les réductions d’impôts pour garde
d’enfant à domicile, baissé l’imposition des plus values.
Plus récemment, après avoir baissé injustement l’impôt sur le revenu(93)
et avoir incité les citoyens les plus aisés à opérer des donations en franchise
d’impôt, le ministre a décidé en 2005 de s’attaquer aux droits de succession
pour promouvoir la France des rentiers. Il s’est bien gardé de toucher
au barème et s’est contenté d’instituer un abattement général supplémentaire
de 50 000 euros, amputant un peu plus encore la base fiscale des successions.
Cette mesure devrait faire chuter de 40 % le nombre de patrimoines
imposables.
Quand on sait que seuls 20 % des français payaient jusqu’alors des droits
de succession (l’abattement principal est de 76 000 euros et la moitié des
successions françaises sont inférieures à 55 000 euros), cette mesure favorise
clairement la promotion sociale par l’héritage et non par le travail. Elle
encourage les phénomènes de reproduction sociale au détriment du modèle
républicain de promotion par le mérite et l’effort. Ces phénomènes devraient
largement s’accentuer dans les années à venir, Nicolas Sarkozy ayant annoncé
une exonération massive sur les successions en cas de victoire aux élections
présidentielles ouvrant la voie à la suppression de toute fiscalité dans
la lignée de ce que Bush et Berlusconi ont fait voter dans les derniers mois
(si aucun nouveau vote n’intervient, l’impôt successoral américain aura
disparu dans 10 ans).
Le ministre n’a pas hésité non plus à accroître dans le budget 2005 le montant
de la réduction d’impôt pour l’emploi d’un salarié à domicile : le plafond
est passé cette année-là de 10 000 à 12 000 euros (et 1 500 euros
supplémentaires par enfant ou personne âgée à charge) au bénéfice de
0,2% des foyers fiscaux les plus riches : le coût pour la collectivité d’une
telle mesure s’est élevé à 100 millions €.
Avec sa bénédiction, le Gouvernement a récemment poursuivi son offensive
fiscale au bénéfice des ménages les plus riches dans la loi de finances
pour 2006.
L’inquiétante « rupture tranquille » de Monsieur Sarkozy
98
Nicolas Sarkozy a soutenu l’initiative parlementaire qui visait à alléger l’impôt
de solidarité sur la fortune pour les salariés et les dirigeants actionnaires.
S’ils détiennent des actions ou des parts nominatives de leur entreprise,
ils bénéficieraient désormais d’un abattement de 75 % sur la valeur de ces
actions à condition de les garder six ans. Pour les dirigeants partant à la
retraite, il était prévu qu’ils profitent du même dispositif à la condition qu’ils
aient détenu leurs actions trois ans avant leur départ et qu’ils les aient conservées
six ans après leur cessation d’activité. La droite affaiblit une fois de
plus l’impôt sur la fortune et favorise essentiellement les dirigeants et les
cadres supérieurs, principaux bénéficiaires des stock-options.
Nicolas Sarkozy a également soutenu la « simplification » du barème de
impôt sur le revenu (IRPP) avec l’intégration de l’abattement de 20 %, (qui
aura bénéficié aux actifs gagnant plus de 10 000 euros net par mois) et la
création d’un bouclier fiscal – le total des impôts directs d’un contribuable
ne pouvant désormais plus dépasser 60 % de ses revenus(94)…
Au total, ces réductions d’impôt annoncées pour 2007 représentent 5 milliards
€ (soit 0,3 % du PIB). 4 milliards € sont dépensés au profit des ménages
les plus riches. 20 % des foyers fiscaux imposables les plus modestes
ne gagnent rien à la réforme de l’impôt sur le revenu.. « Au total, près de
66% des 3,6 milliards € de baisse d’impôt sont restitués au 20% des foyers
imposables les plus riches »(95).
Il serait vain de vouloir recenser l’ensemble des autres décisions de Nicolas
Sarkozy qui cherchent à privilégier les plus riches. Citons tout de même
encore pour mémoire :
– le peu d’empressement de Nicolas Sarkozy à empêcher la mise en oeuvre
de l’amnistie fiscale pour les capitaux illégalement expatriés, voulue par
Jean Pierre Raffarin, mesure qui a favorisé directement les gros revenus ;
– l’exonération des donations permettant par exemple à un couple de grandsparents
de donner à ses trois enfants et à ses neuf petits enfants jusqu’à
720 000 euros sans que l’état prélève un seul centime ! « On n’a pas à s’excuser
d’avoir un patrimoine » déclarait lors de son premier discours, le président
de l’UMP. Mais qui peut donner une telle somme si ce ne sont les
ménages les plus riches ?
Réhabiliter le travail ? Le précariser plutôt !
Nous l’avons déjà souligné, pour Nicolas Sarkozy, la France est anémiée par
une culture de la paresse, par une culpabilisation de ceux qui travaillent. Il est
selon lui urgent de réhabiliter l’effort en allégeant ou éradiquant toutes les
Nicolas Sarkozy ou le vrai libéral sous couvert d’un faux pragmatique
99
contraintes qui pèsent sur le travail et l’esprit d’entreprendre. Il faut non seulement
récompenser le travail mais aussi fluidifier le marché du travail. « La
France qui travaille doit être remerciée » déclare-t-il. « La cohésion sociale,
c’est le droit à un emploi pour chacun (…) ce n’est pas plus d’allocations, plus
d’assistance, plus d’égalitarisme ». « Cessons de culpabiliser la France qui
se lève tôt ». « Notre politique sociale ne peut se limiter à la seule question
des exclus ». Cette nouvelle ambition passe par plusieurs transformations.
1. D’abord, il faut alléger les « charges » qui pèsent sur le coût du travail
et la compétitivité des entreprises. Le système de financement de la sécurité
sociale est accusé de dégrader la compétitivité des entreprises et de
nuire à l’emploi. Ces critiques sont largement excessives et procèdent d’une
analyse à courte vue.
Le coût du travail en France se situe à un niveau comparable aux autres
pays industrialisés : le coût horaire de la main d’oeuvre française se situe
dans la moyenne des pays de l’OCDE, car les salaires nets y sont plus faibles,
ce que l’on peut d’ailleurs regretter. Avec le vaste mouvement d’exonération
de charges sociales mené depuis plusieurs années, le coût du
travail en France se situe même à un niveau compétitif par rapport à la plupart
des pays développés, y compris les pays anglo-saxons s’agissant des
travailleurs les moins qualifiés.
La croissance du prélèvement social n’a pas empêché la restauration des
marges des entreprises depuis la fin des années 80.
2. Ensuite, il faut supprimer les 35 heures ou à tout le moins « restaurer la
liberté pour les salariés de travailler plus », en incitant au recours aux heures
supplémentaires par une rémunération attractive, quitte à les exonérer
de charges sociales. Nicolas Sarkozy ne semble pas avoir conscience
de l’existence de rapport de force dans les entreprises lorsqu’il affirme qu’il
souhaite que les salariés soient « libres » de travailler plus de 35 h, de travailler
le dimanche, de ne pas faire grève…
« Il existe une marge pour augmenter les salaires sans renchérir le coût du
travail : en diminuant les charges sociales sur les heures supplémentaires
(…). Ces baisses de charges permettront de financer des augmentations
de salaires pour ceux qui travailleront plus ».
Cette idée induit des effets pervers évidents : ce sont in fine les salariés
qui financeront eux-mêmes les heures de travail supplémentaires par une
L’inquiétante « rupture tranquille » de Monsieur Sarkozy
100
baisse de leurs salaires indirects collectifs (salaires différés liés aux droits
à la retraite et à la maladie).
Au-delà des 35 heures, c’est toute la législation sur la durée du travail qu’il
entend réformer. C’est ainsi qu’il déclare le 4 décembre 2006 lors d’un déplacement
à Chalon sur Saône : « Ceux qui veulent être payés le double et
travailler le dimanche 24 [décembre], pourquoi les empêcher de le faire ? »
3. Enfin et surtout, Nicolas Sarkozy préconise une déréglementation du
marché du travail : assouplissement des conditions de licenciement et remplacement
du CDI et du CDD par un nouveau contrat souple et dénué de
garantie sérieuse. Dans ce domaine, le président de l’UMP reprend à son
compte les préconisations du rapport de Pierre Cahuc et Francis Kramarz(96).
Les deux économistes proposent de supprimer les emplois précaires (le CDD)
et de créer un contrat de travail unique à durée indéterminée. Ce contrat, que
Nicolas Sarkozy évoque à chacune de ses interventions sur l’emploi, aurait
trois composantes selon les auteurs : « il sera(it) à durée indéterminée ; il
donnera(it) droit à une « indemnité de précarité » versée au salarié ; il
donnera(it) lieu à une « contribution de solidarité » correspondant à une taxe
payée par l’entreprise qui licencie. » Cette dernière servirait à garantir le reclassement
du salarié, assuré non plus par les entreprises, mais par un nouveau
service public de l’emploi, mettant en concurrence des organismes publics
ou privés, et s’appuyant sur des professionnels rémunérés au résultat.
Que penser de ce nouveau contrat unique ?
Les garanties attachées au salariat n’ont pas toujours existé. Le salariat tel que
nous le connaissons aujourd’hui, et à travers lui la norme de l’emploi stable à
durée indéterminée, est le fruit d’un long et difficile cheminement(97). Ce n’est
qu’à la faveur des Trente Glorieuses qu’il s’est imposé comme une norme. L’apparition
du chômage de masse a constitué le premier facteur d’érosion de ce statut. L’évolution
des techniques s’est accompagnée pour les entreprises d’une recherche de davantage
de flexibilité (réorganisation du travail, polyvalence, sous-traitance, caractère
saisonnier des tâches). Par ailleurs, l’analyse selon laquelle la persistance
du chômage serait due aux rigidités du marché du travail a généré l’éclosion de
nouvelles catégories de contrats atypiques (CDD, intérim…).
Même si le CDI à plein temps reste majoritaire, il ne cesse de perdre du
terrain (86% de l’emploi salarié en 2004 contre 91 % en 1975) à mesure
que ces contrats précaires et partiels se banalisent, notamment pour les
jeunes, les femmes et les travailleurs âgés.
Nicolas Sarkozy ou le vrai libéral sous couvert d’un faux pragmatique
101
Dès lors ce contrat unique est-il susceptible de réduire la précarisation du
travail observée aujourd’hui ? Il est permis d’en douter. La fusion du CDD
et du CDI en un contrat de travail unique vise selon les auteurs à éradiquer
le dualisme du marché du travail. En fait, elle produit un autre dualisme,
tout aussi pervers, entre les travailleurs nouvellement embauchés et ceux
ayant le plus d’ancienneté dans l’entreprise.
Le bénéficiaire de ce contrat acquiert des protections et des garanties
croissantes avec l’ancienneté. Il risque fort d’être particulièrement peu
protégé en début de carrière. Ce qui est très inquiétant. Il se retrouvera à
la merci de la stratégie de gestion des ressources humaines de l’employeur.
Certes il ne s’agit pas d’incriminer a priori les entreprises qui ont aussi
intérêt à investir durablement dans leur main d’oeuvre : la flexibilité demeurera
très différente selon les profils et les plus performants se verront proposer
sans doute des contrats sur mesure. Toutefois, comme le souligne
Florence Lefresne(98), socio-économiste à l’Institut de Recherche économique
et Sociale (IRES), l’individualisation à outrance « confronte parfois
le salarié (…) au risque de l’évaluation de ses qualités par le seul marché,
le soumettant à ses seules capacités de négociation, loin de toute garantie
collective. Là où le statut salarial le protégeait, le retour au simple contrat
l’expose toujours plus. Par ailleurs quelle peut être la qualité des investissements
dans le travail et dans la formation quand pèse la menace permanente
d’un licenciement ? ».
La fusion CDI/CDD n’est envisagée par ailleurs qu’au prix d’un affaiblissement
considérable des protections contre le licenciement. Les entreprises
n’auraient finalement plus qu’à payer une taxe pour les salariés qu’elles
licencient, comme elles le font déjà massivement pour les personnes handicapées
qu’elles refusent de recruter.
Le projet fait donc reposer la protection sociale au sens large (y compris
la formation) sur des droits non directement liés au contrat de travail. Le
risque est grand de dédouaner les entreprises de toute responsabilité collective
en matière d’emploi, d’insertion et de chômage.
Ce qui choque donc le plus, c’est le sentiment que le salarié est replacé
dans une position de forte subordination vis-à-vis de l’employeur, sans bénéficier
en contrepartie des protections et des garanties collectives jusqu’alors
acquises à travers le code du travail, les accords interprofessionnels, les
accords de branche et d’entreprise. La droite libérale cherche à attribuer
à l’entreprise l’unique soin de réguler les relations du travail, quitte à abouL’inquiétante
« rupture tranquille » de Monsieur Sarkozy
102
tir à une individualisation extrême des relations du travail. Le risque est
grand pour le salarié de dégrader les relations sociales qu’il entretient avec
l’employeur et de le contraindre in fine à la démission forcée ou la soumission
désabusée.
L’employeur pour sa part, soudain décomplexé par la disparition de normes
qui jusqu’à présent encadraient l’exercice de son autorité, et n’étant
plus contraint par la négociation collective, pourrait être tenté d’adopter
des comportements autoritaires. De tels comportements sont déjà observés
Outre Atlantique. N’a-t-on pas vu récemment l’équipementier américain
Delphi et la firme General Motors proposer à leurs salariés une baisse
drastique des salaires (des 3/5ème chez Delphi), des réductions des prestations
privées d’assurance maladie et des pensions versées par les fonds
de retraite, soit disant pour préserver l’emploi ? En réalité, ces mesures
permettaient d’accorder au haut management des primes vertigineuses :
486 cadres de haut niveau auraient ainsi obtenu le versement en espèces
d’une majoration de 30 à 250 % de leur salaire.
Enfin, l’idée selon laquelle il faut inciter voire contraindre les chômeurs à
retrouver rapidement un emploi en supprimant l’allocation chômage s’ils
refusent une offre produit plus d’inconvénients que d’avantages. Cette mesure
substitue aux trappes à inactivité des trappes à faible qualification, phénomène
que l’on observe déjà Outre Atlantique. Si la conjoncture conduit
un salarié au chômage et qu’il se voit contraint d’accepter un emploi déqualifié,
il lui sera difficile – sauf conjoncture particulièrement favorable – de
retrouver un emploi correspondant à sa qualification initiale. La politique
de Nicolas Sarkozy risque d’organiser le déclassement des travailleurs.
Les propositions de Nicolas Sarkozy, si elles venaient à être appliquées,
préfigurent donc la disparition du salariat. Elles sonneront le glas par ricochet
du syndicalisme, du paritarisme, des assurances sociales telles que
nous les connaissons.
LES DANGERS D’UNE RÉVOLUTION LIBÉRALE -
LE VOLET SOCIAL
Le président de l’UMP estime aussi que la politique sociale de la France
doit être profondément repensée. Fondée selon lui exclusivement sur l’assistanat,
elle ne profiterait, souvent de manière indue, qu’à une petite frange
de la population, « les exclus », alors que « ceux qui travaillent doivent
payer pour subventionner ceux qui ne travaillent pas »(99). Tout se passe
comme si, ceux qui sont aujourd’hui privés d’emploi, ou contraints à un
emploi partiel ou précaire, le choisissaient délibérément.
Nicolas Sarkozy ou le vrai libéral sous couvert d’un faux pragmatique
103
« Le meilleur modèle social est celui qui donne un emploi à chacun, pas
des allocations à tous ». Cynique, Nicolas Sarkozy a eu cette formule le 9
novembre 2004, lors d’une réunion de l’aile libérale de l’UMP : « oh, excusez-
moi, ça fait vingt minutes que je parle et je n’ai pas prononcé le mot
social, ni même le mot cohésion sociale. Est-ce à dire que je suis moins
généreux que les autres ? ». Il n’a pas non plus hésité à mettre en parallèle
le dirigeant qui négocie des rémunérations excessives et celui qui profite
des minima sociaux : lors de son discours-programme d’Agen le 22 juin
2006, il demande d’un côté la suppression des « parachutes en or » et des
« retraites chapeau » et exige de l’autre que « celui qui vit avec les minima
sociaux accomplisse un travail d’utilité sociale ».
Cette méfiance que Nicolas Sarkozy porte envers les plus démunis qui perçoivent
des allocations de subsistance procède d’abord d’une méconnaissance
profonde du tissu social français. Mais comment pourrait-il en être
autrement? Maire de la ville la plus riche de France, président du conseil
général du département ayant la base fiscale la plus élevée, il ne connaît
ni les chômeurs, ni les familles modestes. Il « découvre » la situation précaire
de certaines banlieues. Mais cette méconnaissance est également
le fruit d’un désintérêt pour les questions sociales, son angle de perception
et d’analyse étant surtout sécuritaire. Il ne raisonne qu’en terme d’ordre
public et de sécurité des biens et des personnes. Les ressorts sociaux
des phénomènes de violence ne l’intéressent guère. C’est la raison pour
laquelle il privilégie toujours la répression sur la prévention, la réponse
immédiate à une crise au travail de fond pour en prévenir les manifestations
et en corriger les causes structurelles.
Aussi la pensée sociale de Nicolas Sarkozy est assez pauvre, et le ralliement
de François Fillon, nouvelle « conscience sociale » du sarkozisme
n’est pas fait pour rassurer. Mais là encore, l’objectif attendu est clair : il
s’agit de démanteler progressivement le modèle social français. Ce projet
s’articule autour de trois offensives :
– préserver le revenu des classes moyennes et élevées en mettant fin à la
« spoliation » des politiques redistributives, quitte à creuser les inégalités ;
– aider davantage les familles et les classes moyennes ;
– placer sous surveillance et sous conditionnalité les bénéficiaires de l’aide
sociale.
Gommer les mécanismes de redistribution verticale
Pour ne pas « désespérer la France qui travaille », le système social doit
réorganiser profondément ses modes de redistribution. D’une solidarité
L’inquiétante « rupture tranquille » de Monsieur Sarkozy
104
jusqu’alors principalement verticale, le président de l’UMP souhaite instaurer
un nouveau système qui préserve l’intégrité des revenus des classes
supérieures et dans une moindre mesure des classes moyennes.
Ainsi, en diminuant l’impôt sur le revenu, seul à être vraiment progressif et
ne touchant que la moitié des foyers fiscaux, Nicolas Sarkozy donne un petit
coup de pouce aux classes moyennes, fait un gros cadeau aux nantis, et
laisse de côté les plus modestes. En promettant de distribuer des stock options
à tous les salariés, il ne récompense que ceux qui ont une situation stable
dans les grandes entreprises cotées en Bourse, en laissant derrière les autres
(chômeurs, inactifs, travailleurs dans les PME et les très petites entreprises).
Il en est de même quand il défend le principe d’une franchise pour les
premiers soins en matière d’assurance maladie qui affecterait avant tout
les plus modestes,ou lorsqu’il défend le principe d’une TVA sociale, pour
financer la protection sociale, qui est pourtant l’impôt le plus injuste.
Àl’occasion de la convention de l’UMP sur l’école, Nicolas Sarkozy a plaidé
en outre pour la suppression de la carte scolaire et pour l’abandon du système
des zones éducatives prioritaires (ZEP) qui permettent jusqu’à présent
de concentrer des efforts financiers et humains dans des établissements
qui accueillent une population en difficulté sociale.
S’agissant de la carte scolaire, l’UMP considère qu’elle est devenue profondément
injuste car « les parents des couches les plus favorisées (ou les parents
les plus motivés qui acceptent de lourds sacrifices financiers) contournent la
carte scolaire en inscrivant leurs enfants dans des établissements privés. D’autres
parents usent de leur influence, de leur connaissance du système (…) pour obtenir,
au travers de domiciles fictifs ou d’options rares ou tout simplement de dérogations,
l’inscription de leurs enfants dans l’établissement de leur choix ».
Le diagnostic comporte sans doute une part de vérité. Mais quel aveu d’impuissance
de se borner à un simple constat pour supprimer un dispositif qui a
pour objectif louable de favoriser la mixité sociale ! Le supprimer purement et
simplement n’aura pour conséquence que d’aggraver la ghettoïsation scolaire
en laissant les établissements seuls maîtres de leur politique de recrutement.
Aider davantage les familles et les classes moyennes aux
dépens des plus pauvres
Nicolas Sarkozy considère que la politique sociale doit avant tout être une
politique familiale :
– afin de concilier vie professionnelle et vie familiale, il propose de revaNicolas
Sarkozy ou le vrai libéral sous couvert d’un faux pragmatique
105
loriser significativement la prestation d’accueil au jeune enfant (PAJE)
et d’appliquer un vaste plan de construction de crèches et de promotion
des crèches d’entreprises. Là encore, ces dispositifs concernent exclusivement
ceux qui travaillent au détriment des autres catégories de la
population ;
– il souhaite que les allocations familiales versées aux parents qui ne s’occupent
pas de leurs enfants ou sont « en grande détresse sociale » soient
placées sous tutelle ; il conviendrait que le président de l’UMP explique
ce qu’il entend par « détresse sociale ». Se définit-elle uniquement en
fonction d’un niveau de revenus ? Ce serait dans ce cas inadmissible, le
fait d’être plus riche ne garantissant absolument pas un sens plus élevé
des responsabilités ;
– seule proposition généreuse : Nicolas Sarkozy se déclare en faveur d’une
forte hausse des allocations familiales à partir du 1er enfant pour les familles
les plus modestes.
Le ministre-candidat rêve également, comme le Président Bush, de l’émergence
d’une « société de propriétaires ». Il souhaite transformer la France
en un pays de petits propriétaires par un accès facilité au crédit, par un
allègement de la fiscalité sur les donations et héritages, par le développement
des crédits hypothécaires…
Or, une nouvelle fois, une telle politique s’avère profondément inégalitaire :
– tous ne pourront pas accéder à la propriété dans les mêmes conditions
(de financement, mais aussi de garantie de qualité et de salubrité) ;
– la vente d’1 % des logements sociaux ne s’accompagnera pas nécessairement
de la construction de nouveaux logements alors que l’offre est
déjà tellement insuffisante ;
– cette opération aurait pour effet de vendre aux plus démunis des logements
insalubres ou de mauvaise qualité. Les logements sociaux en meilleur
état se négocieraient probablement à des prix trop élevés pour trouver
acquéreur auprès des plus démunis, comme on l’a vu lors de l’opération
annoncée par Nicolas Sarkozy dans les Hauts-de-Seine ;
– cette politique donnerait enfin l’occasion à l’état de se désengager de
ses obligations dans les domaines de la construction, de la réhabilitation
et de la gestion du parc de logement locatif social.
L’inquiétante « rupture tranquille » de Monsieur Sarkozy
106
Placer les plus démunis sous surveillance et les aides
auxquelles ils prétendent sous conditions
Nicolas Sarkozy annonce sans ambiguïté la stratégie de rupture qu’il souhaite
amorcer en cas de victoire à la présidentielle lors de la convention
UMP sur les questions sociales : « la collectivité ne peut pas aider ceux qui
ne fournissent pas le minimum d’effort personnel sans lequel rien n’est possible
». Il faut donc conditionner les aides aux plus pauvres à des critères
précis et rigoureux : il faut que « celui qui vit avec des minima sociaux accomplisse
un travail d’utilité sociale » déclare-t-il encore lors du discours d’Agen.
Partant du constat jamais démontré selon lequel les bénéficiaires de
minima sociaux ont une préférence pour l’assistanat, lui et la droite néoconservatrice
qu’il incarne souhaitent forcer les bénéficiaires de l’aide sociale
à travailler coûte que coûte. Avant de montrer combien cette logique de
conditionnalité peut être perverse dans le cas des bénéficiaires des minima
sociaux, il faut rappeler ici combien la politique de la droite, au lieu de prévenir
l’exclusion, a au contraire provoqué une entrée massive dans les dispositifs
d’aide sociale et notamment de RMI.
Une étude récente de la DARES(100) révèle ainsi que fin 2003, plus de 4,25
millions de demandeurs d’emplois sont potentiellement indemnisables, soit
une hausse de 5,7 % par rapport à 2002. Parmi cette population, 2,7 millions
de demandeurs d’emploi sont effectivement indemnisés, soit un nombre
absolu jamais atteint auparavant. Mais le nombre de demandeurs d’emploi
non indemnisés augmente aussi spectaculairement. La réforme des filières
d’indemnisation encouragée par la droite en 2002 a conduit à une diminution
du flux des admissions en indemnisation et à l’épuisement des droits
à indemnisation. Or, cette exclusion des droits provoque depuis 2004 une
explosion du nombre d’allocataires du RMI, dernier filet de sécurité. Ainsi,
fin décembre 2004, on dénombrait plus d’un million d’allocataires, soit une
progression de 9,2% par rapport à 2003(101). Si le nombre de Rmistes se
tasse légèrement au premier trimestre 2006 (– 0,8 %), l’augmentation sur
douze mois reste importante (3,9 % par rapport au 1er trimestre 2005) et
ininterrompue depuis trois ans(102). Au bilan, le nombre de Rmistes a augmenté
de 231 000.
Mais revenons à la question de la mise sous conditions des aides. Certes,
la logique que l’on qualifie pudiquement « d’activation des dépenses sociales
» n’est pas en elle-même condamnable : il est logique de chercher à
aider les personnes les plus éloignées de l’emploi à rejoindre le marché du
Nicolas Sarkozy ou le vrai libéral sous couvert d’un faux pragmatique
107
travail, si cela est possible, en leur fournissant des formations qualifiantes,
un accompagnement adapté : inutile de préciser que les populations
concernées attendent de l’état qu’il les aide à se réinsérer et que personne
ne peut se contenter des quelques centaines d’euros mensuels que représente
par exemple le RMI aujourd’hui(103).
Poussée à l’extrême, cette logique devient toutefois perverse : « l’emploi
forcé » pour les populations les plus vulnérables, politique menée de main
de fer aux états-Unis et au Royaume-Uni (workfare), ou sous une forme
à peine atténuée dans certains pays scandinaves, est non seulement inacceptable
car attentatoire aux libertés mais surtout totalement inopérante.
Initiée en 1996 par Bill Clinton aux états-Unis avant tout pour diminuer le nombre
de bénéficiaires de l’aide sociale, le dispositif, intitulé « Temporary
Assistance for Needy Families » conditionne le versement de l’aide sociale à
une activité minimale de 30 heures par semaine, dans le cadre d’un « plan de
responsabilité individuelle » qui définit les étapes de la réinsertion professionnelle.
Bush a souhaité relever ce seuil à 40 heures, pour le moment en vain.
Anne Daguerre(104), chercheuse à l’université du Middlesex à Londres en
a évalué les effets sociaux :
– le nombre de bénéficiaires de l’aide sociale aux états-Unis a fortement
baissé : de 14,4 millions en 1994 à 5,4 millions en 2001 ;
– phénomène particulièrement inquiétant, « le taux de pauvreté des enfants,
qui avait diminué d’un cinquième entre 1996 et 2000, augmente désormais,
passant de 16% en 2000 à 17,6% en 2003 » ;
– « en dépit de ces données alarmantes, l’administration américaine prétend
que le fait d’occuper un emploi, aussi peu qualifié et mal payé soit-il,
réduit la pauvreté et améliore automatiquement les perspectives de carrière,
ce que les spécialistes nomment work first. En fait, les allocataires
ayant un emploi touchent entre 472 et 738 dollars par mois, soit un revenu
annuel compris entre 5 664 et 8 856 dollars, au-dessous du seuil de pauvreté
(9 827 dollars par an) ».
Une mise sous conditions des allocations du même type, mais sous des
formes différentes, a été également appliquée au Royaume-Uni (le New
Deal de Tony Blair) ou au Danemark en 1994. à chaque fois, les résultats
sont plus que mitigés : sous-emploi chronique des publics concernés, extrême
précarité des revenus, éviction du bénéfice de l’aide sociale ou des régiL’inquiétante
« rupture tranquille » de Monsieur Sarkozy
108
mes d’indemnisation du chômage au profit des pensions de pré-retraites
ou d’invalidité. C’est ainsi qu’Anne Daguerre note qu’au Royaume-Uni, si
le taux de chômage officiel se situe à son plus bas niveau depuis 20 ans
(de 4,5 à 4,8 % en 2004) c’est aussi parce que 2,7 millions de personnes,
soit 7,5 % de la population active en âge de travailler, perçoivent désormais
une pension d’invalidité.
Dans le cas de la France, les parcours et les profils des allocataires de
minima sociaux sont de toute façon très hétérogènes. Serge Paugam(105)
distingue par exemple trois types de Rmistes :
– les personnes ayant une qualification inadaptée au marché du travail
mais qui restent en lien avec les organismes d’insertion professionnelle ;
– celles qui ne peuvent pas prétendre à un emploi stable (problème de
santé, d’incapacité ou d’âge) du moins dans la sphère marchande, mais
qui conservent un minimum de liens sociaux ;
– enfin celles qui ne peuvent pas accéder à l’emploi et qui ont perdu toute
attache sociale.
Les besoins spécifiques de chaque groupe justifient clairement une intervention
sociale spécifique. Pour les deux dernières catégories, qui constituent
le « noyau dur » des Rmistes, l’insertion dans l’emploi à tout prix n’est
sans doute pas la solution. Le RMI n’est pas pour eux un filet de sécurité
temporaire mais leur revenu principal et permanent. Un accompagnement
seulement professionnel n’est certainement pas plus approprié qu’un
accompagnement social.
Le discours sur la mise sous conditions des allocations s’accompagne en
outre d’une stigmatisation insupportable des bénéficiaires de l’aide sociale.
Le président de l’UMP a coutume d’appréhender les bénéficiaires de
minima sociaux à travers un prisme aussi réducteur que celui qui les considère
comme des profiteurs de la société, des paresseux, des jouisseurs
au détriment de ceux qui travaillent dur. Ils sont même volontiers soupçonnés
de tricherie, de détournement de deniers publics.
C’est ainsi par exemple que dans le document préparatoire à la convention
de l’UMP sur les inégalités, l’encadré relatif à la couverture maladie
universelle (CMU) complémentaire assène une double charge à l’encontre
de ce dispositif dont la réussite a été saluée depuis longtemps par tous,
depuis la Cour des Comptes jusqu’au Parlement. « Le dispositif actuel est
Nicolas Sarkozy ou le vrai libéral sous couvert d’un faux pragmatique
109
doublement injuste (…) : il ne protège pas toutes les personnes qui y ont
droit, mais en plus il fait l’objet de fraudes et d’abus. » La première critique
n’est certes pas inexacte, mais elle est particulièrement mal venue lorsque
l’on sait combien la droite, depuis son retour aux responsabilités en
2002, a multiplié les aménagements de ce dispositif pour en réduire les
effets : réforme de la condition de ressources pour réduire le nombre de
personnes éligibles, contrôle plus drastique des ressources,…
La deuxième critique est indigne autant qu’indécente. Sans aucune preuve
ni aucun chiffre à l’appui, la note précise que « les professionnels de santé
et les agents des caisses primaires font l’expérience quotidienne et rapportent
de nombreux cas d’abus et de fraudes (…) tels que les fraudes à la
déclaration de ressources, les fraudes à la carte vitale ou les abus de consommation
médicale ou pharmaceutiques ». Cette vision est réductrice.
La Caisse Nationale d’Assurance Maladie des Travailleurs Salariés
(CNAMTS) a apporté un démenti à ces insinuations abusives et ces accusations
infondées. Une analyse fine des comportements de soins en 2002
a certes montré que la dépense moyenne d’un bénéficiaire de la CMU complémentaire
était 25 % supérieure à celle d’un autre patient du régime général.
Mais elle a montré aussi que cet écart était principalement lié à une
consommation trois fois supérieure de soins hospitaliers : les plus démunis,
souffrant d’un état de santé plus précaire, sont davantage hospitalisés
dans des services de moyen et long séjour ainsi qu’en psychiatrie, et
ceci pour des durées plus longues.
Cette étude montre surtout la forte concentration des dépenses de soins
parmi les 20 % des bénéficiaires de la CMU complémentaires (85 % de la
dépense totale), du fait d’un état de santé beaucoup plus dégradé que le
reste de la population pour cause de soins trop longtemps ajournés. L’étude
conclut « les huit dixièmes plus faibles consommants des bénéficiaires de
la CMU ont une consommation de soins relativement proche des huit dixièmes
plus faibles consommants du régime général ». Pas d’abus et de trafics
à l’horizon donc…
Une autre explication qui pourrait être avancée réside dans les comportements
scandaleux de refus de soins opposés aux bénéficiaires de la CMU
par certains professionnels de santé libéraux pour les soins ambulatoires.
Une enquête régionale de la Dies (organisme d’études filiale de la fondation
de l’Avenir) et du fonds de financement de la CMU parue en juin 2006,
construite selon la méthode du testing, est éloquente. Elle a été menée
L’inquiétante « rupture tranquille » de Monsieur Sarkozy
110
dans six villes du Val-de-Marne. Le taux de refus de soins par les médecins
libéraux est de 14 %. Il atteint 41 % pour les spécialistes de secteur 1
et 2 ! Nicolas Sarkozy se serait grandi à lutter contre ces comportements
d’ostracisme d’un autre âge de la part de certaines catégories de médecins.
Mais comment pourrait-il critiquer une partie de son électorat ? Il préfère
s’en prendre aux plus démunis et aux plus faibles.
Nicolas Sarkozy a également critiqué l’Aide Médicale de l’état(106) :
« Aujourd’hui, un étranger en situation irrégulière a plus de droits aux soins
gratuits qu’un smicard qui paie ses cotisations, ce n’est pas acceptable ».
Cette comparaison est choquante. L’AME est réservée aux étrangers en
situation irrégulière qui sont dépourvus de revenus. Leur couverture est
inférieure à celle d’une assurance complémentaire : la prise en charge des
soins étant limitée à 100% du ticket modérateur sans dépassement.
L’ÉLECTION DE SARKOZY, UNE MENACE POUR LA SÉCURITÉ
ÉCONOMIQUE DES PERSONNES
La crise du contrat première embauche (CPE) a poussé Nicolas Sarkozy
à atténuer son image de « pur et dur ». Depuis quelques mois, et notamment
depuis la rentrée politique de septembre 2006, Nicolas Sarkozy tente,
au gré de ses apparitions et de ses interventions, de gommer les tendances
les plus clairement libérales de son discours. Son discours se fait plus
modéré, la rupture qu’il continue de plaider se trouve dépourvu de ses éléments
les plus caricaturaux, elle devient « tranquille ».
C’est ainsi qu’il traite les patrons qui démantèlent leurs usines la nuit de
« voyous » ou qu’il condamne les parachutes dorés.
C’est ainsi aussi qu’il flatte les fonctionnaires, ou affirme que les 35 heures
ne seront pas supprimées mais que la liberté de choix sera redonnée
aux salariés. Qu’il se fait le porte-drapeau du patriotisme économique, n’hésitant
pas à aller à la rescousse d’Alstom, à favoriser le mariage entre Sanofi
et Aventis, à soutenir le mariage de Suez et de GDF quitte à ce qu’il aboutisse
à la privatisation de cette dernière.
Le 6 juillet dernier, en Touraine, il se pose en rassembleur des contraires :
« les libéraux, les gaullistes, les centristes, les Européens, les souverainistes
» et qu’il propose d’incarner un « libéralisme populaire », opposé à
un « capitalisme sans règle et sans éthique ». Il a martelé pendant tout l’été
des messages rassurants à Douai, à Nîmes et même à l’université d’été
Nicolas Sarkozy ou le vrai libéral sous couvert d’un faux pragmatique
111
de l’UMP, cherchant à donner des gages à un François Fillon ou un Jean-
Louis Borloo.
Le 10 novembre, il affirme que l'État et l'Europe devaient mieux protéger
les Français contre les « terribles dangers » de la mondialisation. Elle est
selon lui « la cause du vote protestataire et du ralliement des couches de
plus en plus larges de la population aux thèses protectionnistes ». Il se
déclare favorable à « État stratège garant de la préservation des intérêts
industriels fondamentaux ».
Il défend ensuite l'idée que l'Europe se dote d'une véritable politique de
préférence communautaire. Car il n'est pas question de « prêcher, au nom
de la mondialisation, la résignation à tous ceux dont les conditions de vie
et de travail ne cessent de se dégrader depuis vingt-cinq ans (…) Je n'accepte
pas d'entendre que tous ceux qui souffrent n'ont rien compris ».
Il déclare même sans rire : « je suis un libéral, mais je suis aussi un humaniste.
Le capitalisme a besoin, pour être accepté, d'une exigence spirituelle. »
Lors de sa déclaration de candidature à l’investiture de son parti, le 30
novembre, il affirme vouloir faire de la France « le pays où tout peut devenir
possible pour tout le monde ». Cherchant à « ratisser large », le candidat
promet tout à tout le monde : « la promotion sociale, la possibilité de
devenir propriétaire de son logement, d’avoir pour ses enfants une meilleure
école, la possibilité pour les salariés d’avoir un meilleur salaire et plus
de pouvoir d’achat. » Et il se décide enfin à « parler à tous ceux qui pensent
que ce n’est jamais pour eux ».
Un virage semble pris : il exclut désormais de supprimer en totalité l’impôt
sur la fortune, il affirme vouloir maintenir les 35 heures, il plaide une préférence
communautaire en matière de politique commerciale et une dose
de protectionnisme, il souhaite revaloriser les retraites des femmes seules
et précaires ayant élevé des enfants, et augmenter les indemnités de
chômage les plus faibles…
Il va même plus loin en s’appropriant par opportunisme les idées de ses
adversaires. C’est ainsi qu’il promet le 3 novembre à Villepinte « l'ordre
juste » dans les banlieues sensibles. Une autre fois, après Ségolène Royal,
il dénonce une sous-estimation de l'évolution réelle des prix : « les indices
habituels de calcul de l'inflation ne reflètent pas la réalité » et fait de la lutte
pour une revalorisation du pouvoir d’achat des français une de ces nouvelles
priorités.
L’inquiétante « rupture tranquille » de Monsieur Sarkozy
112
Aurait-il renoncé en trois mois à 10 ans de constance idéologique ?
Qu’on ne se laisse pas attendrir par cette petite musique séduisante. Tout
cela est purement tactique. Qu’on ne s’y trompe guère. Cette apparente
retenue n’est qu’un écran de fumée.
Le big bang libéral est en préparation et ira à son terme s’il est élu Président.
Quelques exemples suffisent à le rappeler.
I. À propos du CPE d’abord, Nicolas Sarkozy a certes pris ses distances
avec le Premier ministre et son projet lorsqu’il a mesuré l’ampleur du front
contre le CPE. Il a en effet vite compris qu’il aurait tort de chercher à s’y
opposer. Mais à l’origine, il était sans ambiguïté partisan du CPE, en revendiquant
même la paternité.
II. Sa position sur le temps de travail n’a pas non plus varié d’un iota. Ainsi,
le 6 décembre dernier, il affirme qu’il est prêt à ne pas revenir sur les 35 heures.
Mais son credo en faveur du temps de travail choisi cache au contraire
la mise à bas de ce dispositif. « Le premier problème économique de la France,
c'est le pouvoir d'achat et les salaires (...) Je propose une nouvelle révolution
économique : récompenser ceux qui veulent travailler davantage (...)
On va garder les trente-cinq heures, mais ceux d'entre vous qui voudront
mettre du beurre dans les épinards pourront travailler plus » déclare-t-il.
III. Le projet législatif de l’UMP, rédigé par le faux nez social de la droite,
François Fillon, et présenter début novembre, annonce cette révolution
libérale en marche :
– avec l’exonération des charges fiscales et sociales sur les heures supplémentaires
pour inciter les Français à « travailler plus pour gagner plus »,
– avec l'exonération des droits de donation et de succession pour « tous
les patrimoines petits et moyens », sans préciser ce que cela recouvre.
IV. le 1er décembre dernier à Angers, Nicolas Sarkozy réaffirme à nouveau
qu’il souhaite rompre « avec l'assistanat qu'on subventionne sur le dos de
ceux qui travaillent ». « Pour acheter la paix sociale (...) on a troqué l'égalité
des chances contre une illusion éphémère de l'égalité. (…)De tout ce
qu'a raté la culture de l'assistanat et de la facilité, l'école est sans doute sa
plus belle déroute ».
V. Il rappelle enfin récemment sa préférence pour le contrat de travail unique
: « Je veux y intégrer tous les contrats d'intérim et à durée déterminée
qui n'existent que parce que le CDI fait peur. Ce sera un contrat dont les
droits sociaux augmenteront au prorata du temps passé. Et qui ne sera pas
Nicolas Sarkozy ou le vrai libéral sous couvert d’un faux pragmatique
113
exclusif : il n'empêchera pas le maintien d'un certain type d'intérim ou de
certains contrats de mission ».
Rien n’a donc changé au contraire de la détermination de Nicolas Sarkozy
à aller jusqu’au bout de son projet libéral.
Mais beaucoup d’indices, dont le rejet du CPE par les Français, ont montré
l’extraordinaire vitalité de la société française et sa capacité extraordinaire
à se mobiliser au nom de la solidarité et contre le capitalisme débridé.
« Sans une sécurisation initiale destinée à rassurer l’individu sur son avenir
(travail et habitat), il ne reste plus que l’issue du ghetto, celui de la relégation
ou celui de l’excellence. à travers le mouvement multiforme de 2006,
ce sont les couches moyennes qui ont d’abord manifesté un désir de résister
à la fragmentation sociale et à la polarisation sécuritaire qui favorise la
mondialisation. »(107)
Cela rassure et laisse espérer un rejet massif du sarkozisme en 2007.
L’inquiétante « rupture tranquille » de Monsieur Sarkozy
114
(76) Le Figaro magazine, 15 novembre 2004.
(77) Thomas Piketty, Libération, 15 novembre 2004.
(78) Sources : Eurostat.
(79) Pierre Cahuc, Francis Kramarz, De la précarité à la mobilité : vers une sécurité sociale professionnelle, 2 décembre 2004.
(80) Nicolas Baverez, La France qui tombe, Perrin, Août 2003.
(81) L’Express, 12 janvier 2006.
(82) 7 septembre 2005.
(83) 7 septembre 2005.
(84) DARES, Les 35 heures, l’emploi et les salaires, 1er décembre 2000.
(85) Direction de la Prévision au ministère de l’Economie, des Finances et de l’Industrie, D’où viennent les écarts de richesse par habitant
entre les États-Unis, la zone Euro, la France et le Japon ?, septembre 2003. L’étude souligne en particulier que la piètre performance
de la France sur la productivité horaire depuis 1993 est liée pour partie à sa bonne performance sur le taux d’emploi.
(86) 30 juin 2005.
(87) 7 septembre 2005.
(88) Convention UMP sur l’éducation, 22 février 2006.
(89) VSD, 7 mai 1997.
(90) Convention UMP sur les services publics, 7 juillet 2005.
(91) « Il est faux de dire que je veux vous privatiser. L’État reste propriétaire d’EDF et de GDF, avec un seuil minimal de 66% du capital.
Seul votre statut juridique va changer ». Et lorsque les salariés demandent : « et notre statut, nos retraites, le comité d’entreprise,
Sarkozy répond « Il n’y aura pas une virgule de changée » (11 mai 2004).
(92) De passage à Chalon, en Bourgogne, où il visitait l'usine locale d'Areva, Nicolas Sarkozy a indiqué le 4 décembre 2006 que le groupe
nucléaire français devait se voir donner les « moyens de sa croissance », suggérant ainsi qu'il ne serait pas opposé à l'ouverture
de son capital s'il était élu à la présidence de la République. « Ce qui importe, c'est qu'Areva puisse se développer et gagner des parts
de marché », a-t-il souligné. « L'entreprise peut y parvenir par ses propres moyens. Elle peut aussi avoir besoin de partenaires, et
nous parlerons de tout cela en temps utile avec son management. ».
(93) 10% du coût étant concentré sur 1% des contribuables contre 70% sur 30% des contribuables.
(94) Nicolas Sarkozy s’est même déclaré favorable à un seuil de 50%.
(95) Cyrille Hagneré, Mathieu Plane et Henri Sterdyniak, « Réforme fiscale 2007 : un pas de côté… », Lettre de l’OFCE, 20 octobre 2005.
(96) Pierre Cahuc, Francis Kramarz, De la précarité à la mobilité : vers une sécurité sociale professionnelle, 2 décembre 2004.
(97) Robert Castel, Les métamorphoses du social, Fayard, Paris 1995.
(98) Florence Lefresne, « Précarité pour tous, la norme du futur », Le monde diplomatique, mars 2006.
(99) Nicolas Sarkozy, Libre, Pocket, 2001, rééd 2005.
(100) DARES, « En 2003, l’indemnisation des chômeurs progresse, le chômage non indemnisé aussi », Premières informations, premières
synthèses, n°10.2, mars 2005.
(101) Direction de la Recherche, des Etudes, de l’Evaluation et des Statistiques, ministère de la Santé et des Solidarités, DREES, Etudes et
Résultats, mars 2005.
(102) DREES, Etudes et Résultats, juin 2006.
(103) 433,06 pour une personne seule sans enfant au 1er janvier 2006.
(104) Anne Daguerre, « Emplois forcés pour les bénéficiaires de l’aide sociale », Le Monde Diplomatique, juin 2005.
(105) Serge Paugam, « RMI : plusieurs types d'allocataires », avec Françoise Euvrard, Notes et Graphiques, (CERC) 1991 (repris ensuite
dans Problèmes économiques, 2.232, juillet 1991, pp. 10-13).
(106) Le Figaro, 30 juin 2005.
(107) Editorial, Esprit, mai 2006.
115
La France est-elle en panne, en recul, en crise ou, pire encore, en déclin
ou en décadence ? Nicolas Sarkozy l’affirme parce qu’il cherche un prétexte
à toutes sortes de sacrifices sociaux : persuadons les Français que
tout va mal et ils avaleront alors la potion amère du libéralisme ; créons une
ambiance de désastre national et un nouveau modèle s’imposera, le
modèle américain.
Il ne sert à rien de nier les difficultés que traverse la France. Elle a été rattrapée,
pour le revenu moyen, par la Grande-Bretagne, l’Espagne et l’Irlande.
Elle est distancée par les pays scandinaves comme par les États-Unis. L’absence
de croissance entraîne l’absence de création d’emplois. Son taux de chômage
reste l’un des plus élevé du continent européen. Le taux d’emploi de
la population est l’un des plus mauvais d’Europe. Mais pourquoi vouloir rompre
avec le modèle français et non pas le réformer en s’inspirant de ce qu’il
est permis d’appeler le modèle social européen ? Pourquoi en appeler au
rêve américain si ce n’est par un a priori idéologique ?
LE RÊVE AMÉRICAIN ET LE RÊVE EUROPÉEN
Selon Jeremy Rifkin(108), le rêve américain « affirme avec force que chacun
peut, sans aucune limite, rechercher le succès, ce qui revient à dire,
dans le langage courant américain, le succès financier ». Ce rêve repose
donc sur l’idée que chacun peut passer de la misère à la richesse : les plus
4
Nicolas Sarkozy
Ou le clone de Bush
PIERRE BAYARD
L’inquiétante « rupture tranquille » de Monsieur Sarkozy
116
motivés et les plus talentueux s’élèveront jusqu’au sommet, les autres échoueront.
Chacun est maître de son destin. C’est le thème bien connu des pionniers
protestants du 19ème siècle. Ils ont posé les deux fondements du modèle
américain : la ferveur religieuse tout d’abord puisque les Américains ne
doutent pas un instant de leur destinée exceptionnelle, à titre individuel et
en tant que peuple. Et ensuite le droit au bonheur par le progrès personnel,
c’est-à-dire par la réussite personnelle matérialisée par l’accumulation
de richesse. Elle seule, par l’autonomie qu’elle confère, garantit à la
fois la liberté et la sécurité.
Ce mélange unique de ferveur religieuse et d’utilitarisme robuste donne
une force remarquable au rêve américain qui apporte une réponse aux
deux désirs humains les plus fondamentaux : le bonheur ici-bas et le salut
dans l’au-delà.
On comprend donc très bien pourquoi la droite y cherche aujourd’hui son
inspiration : le rêve américain repose sur une foi inébranlable dans la prééminence
de l’individu et dans la responsabilité personnelle. Chacun peut
réussir, c’est-à-dire s’enrichir, s’il s’en donne la peine. Les pauvres le sont
donc par leur faute et ne doivent en aucun cas compter sur l’état pour pallier
leurs insuffisances personnelles.
Pourtant, c’est au moment où Nicolas Sarkozy se revendique « américain »
que Jeremy Rifkin qualifie le rêve américain de dépassé.
Un autre rêve, européen celui-là, serait, selon lui, en train de naître. Il a
l’audace de suggérer une nouvelle histoire qui prête attention à la qualité
de la vie, à la durabilité, à la paix et à l’harmonie. « Le rêve américain met
l’accent sur la croissance économique, la richesse personnelle et l’indépendance.
Le rêve européen se concentre davantage sur le développement
durable, la qualité de vie et l’interdépendance. Le rêve américain rend
hommage à l’éthique du travail. Le rêve européen fait plus grand cas du
temps libre et de l’accomplissement personnel ». «Le rêve européen fait
passer les relations sociales avant l’autonomie individuelle, la diversité
culturelle avant l’assimilation, la qualité de vie avant l’accumulation de richesse,
le développement durable avant la croissance matérielle illimitée, l’épanouissement
personnel avant le labeur acharné, les droits universels de
l’homme et les droits de la nature avant les droits de propriété, et la coopération
mondiale avant l’exercice unilatéral du pouvoir ». « La nouvelle
vision européenne de l’avenir accorde plus d’importance à la transformation
personnelle qu’à l’accumulation matérielle individuelle. Le nouveau
Nicolas Sarkozy ou le clone de Bush
117
rêve ne se concentre plus sur l’augmentation des richesses mais plutôt sur
l’élévation de l’esprit humain. Le rêve européen cherche l’élargissement
de l’empathie humaine, pas du territoire ».
Le rêve américain repose sur l’idée que chacun peut passer de la misère
à la richesse. Le rêve européen s’attache plutôt à l’amélioration de la qualité
de vie de la population tout entière. Le premier insiste sur les possibilités
individuelles, le second sur le bien-être collectif. Le premier repose
sur la prééminence de l’individu et la responsabilité individuelle, le second
sur la naissance d’une conscience globale et la responsabilité collective.
Il est donc pour le moins paradoxal que la droite française, sous l’impulsion
de Nicolas Sarkozy, fasse sien le rêve américain au moment où s’affirme
et prend forme, sur le vieux continent, un rêve nouveau préfigurant
l’avenir. Il faut aujourd’hui beaucoup de cécité pour renier le modèle européen
et adhérer sans critique au modèle américain.
LE RENIEMENT DU MODÈLE EUROPÉEN
Or ce modèle de société européen existe. Il doit bien évidemment évoluer
pour s’adapter aux mutations économiques et sociales mais faut-il pour autant
en renier toutes les caractéristiques ? Avant de le jeter aux orties, encore
faudrait-il prendre la peine de le définir. C’est ce qu’avait demandé Romano
Prodi, alors président de la commission européenne lorsqu’il avait formé
une table ronde intitulée « Un projet durable pour l’Europe de demain ».
Dans son rapport, remis en avril 2004, le modèle européen y est défini comme
traduisant « la volonté de fonder un monde de justice reposant sur l’irréductibilité
de la dignité humaine ». Il est constitué de quatre composantes.
L’inviolabilité des droits de l’homme tout d’abord. Les droits de l’homme
sont apparus, pour des raisons historiques, en Occident mais l’homme est universel
et ses droits également. Les droits de l’homme sont donc communs à
l’humanité toute entière mais leur inviolabilité est la marque de l’Europe comme
en témoignent le bannissement de la peine de mort, la suppression des tribunaux
d’exception, l’interdiction de la commercialisation du corps humain, l’extension
des libertés publiques constitutionnelles. « Cette empreinte » est moins
forte aux États-Unis comme en témoignent, à des niveaux différents, la persistance
de la peine de mort, la commercialisation des foetus, la création du camp
de Guantanamo(109) à la suite de guerre contre le régime des talibans afghans,
la torture des prisonniers irakiens par des soldats américains à Abou Ghraib en
Irak ou encore la pratique de l’exfiltration par le gouvernement américain des
personnes présumées terroristes vers des régimes amis pratiquant la torture(110).
L’inquiétante « rupture tranquille » de Monsieur Sarkozy
118
Deuxième composante du modèle de société européen : la culture
comme moyen d’émancipation. La culture est avant tout conçue en Europe
comme un instrument de développement de la personne humaine, et non
comme le support d’une activité marchande. Tel n’est pas le cas aux États-
Unis où la publicité est présente jusque dans les manuels scolaires puisque
les enfants aujourd’hui scolarisés sont les consommateurs de demain.
Troisième composante : un modèle de développement durable, caractérisé
par un équilibre particulier entre prospérité économique, justice
sociale et protection de l’environnement. L’importance attachée à
la justice sociale est propre à l’Europe : le développement de l’État providence,
l’intensité de la redistribution fiscale sont des spécificités européennes.
Les prélèvements obligatoires atteignent ainsi en moyenne 42 % du
PIB en Europe, variant selon les états membres entre 38 % et 53 % ; ils
n’atteignent que 28 % aux États-Unis et au Japon, soit dix points de moins
que dans l’état européen le moins redistributeur. C’est un choix de société :
d’un côté, et pour reprendre les termes du préambule de la Constitution,
« la Nation assure à l’individu et à la famille les conditions nécessaires à
leur développement. Elle garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère
et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le
repos et les loisirs. Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état
physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l’incapacité
de travailler a le droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables
d’existence ». D’un autre côté, la Nation s’en remet au marché pour
assurer tous ces risques sociaux ! Le modèle américain rend d’emblée l’individu
responsable de sa réussite économique personnelle et ne lui assure
qu’un minimum d’aide sociale, hormis la garantie d’une éducation publique
gratuite. Les Européens, en revanche, estime que la société a le devoir
de contrebalancer le darwinisme parfois impitoyable du marché en accordant
une aide sociale aux plus démunis, afin que personne reste à la traîne.
L’attention particulière portée à l’écologie est également propre à l’Europe :
elle est l’endroit du monde où ces questions revêtent la plus grande importance.
Les positions diplomatiques prises lors des négociations de Kyoto
en sont le témoignage.
Quatrième et dernière composante : une vision de l’ordre international
fondée sur le multilatéralisme. Les pays européens ont été confrontés,
sur leur propre territoire, à deux guerres mondiales au cours du 20ème
siècle. Cette histoire les a convaincus que le dialogue et le développement
sont des voies plus efficaces pour garantir la sécurité que le recours aux
Nicolas Sarkozy ou le clone de Bush
119
solutions militaires. Cette approche les conduit à accepter des restrictions
à leur souveraineté tant au niveau européen qu’international pour favoriser
la paix indispensable au développement économique et social. à l’inverse,
l’administration Bush ignore le droit international et le multilatéralisme,
elle privilégie la seule promotion de l’empire américain : non signature du
protocole de Kyoto, pas de participation au traité de Rome créant une Cour
de justice internationale… La gestion des relations avec l’Irak constitue le
paroxysme de cette attitude.
Dans sa volonté de rupture, quelles sont les composantes fondamentales
du modèle européen que Nicolas Sarkozy veut supprimer ? L’attachement
aux droits de l’homme ? Le respect de la diversité culturelle ? La Sécurité
sociale comme instrument de mutualisation des risques sociaux ? L’affirmation
européenne face à l’unilatéralisme américain ? Il faudra qu’il le précise sauf
à laisser penser qu’il n’y a dans sa volonté de rupture qu’une rhétorique
démagogique destinée à servir son intérêt personnel.
L’ADHÉSION AU MODÈLE AMÉRICAIN
Nicolas Sarkozy omet par ailleurs d’évoquer les faiblesses du modèle
américain. Des faiblesses dans ses fondements mais aussi dans ses
performances.
Un modèle aux fondements fragilisés
On a vu que le modèle américain repose sur deux fondements : la ferveur
religieuse et le droit au bonheur par le progrès personnel dans le travail.
Or chacun de ses deux fondements apparaît aujourd’hui bien fragile.
Si la ferveur religieuse de l’Amérique est puissante, elle est bien moindre
en Europe et elle ne suffit plus aux états-Unis pour pallier les insuffisances
de l’Etat fédéral. Selon Jeremy Rifkin(111), les États-Unis connaissent
un déclin régulier et brutal du recrutement de bénévoles dans le secteur
privé à but non lucratif : le rêve américain est donc en train « de se replier
autour de la défense d’intérêts personnels étriqués avec des conséquences
désastreuses pour la société tout entière ».
Jeremy Rifkin constate également un affaiblissement du second élément
du rêve américain, c’est-à-dire de l’éthique américaine du travail. :
« L’aspiration au succès immédiat a envahi toute la culture américaine. Le
jeu légal n’est que l’une des nombreuses voies empruntées par les
Américains dans l’espoir d’accomplir le rêve américain. Pendant un moment,
à la fin des années 1990, la bourse a fait fureur (…). Aux yeux de nombreux
L’inquiétante « rupture tranquille » de Monsieur Sarkozy
120
jeunes américains, la télé réalité est devenue le moyen le plus en vogue
d’accéder à de hautes destinées (…). Les Américains sont devenus, disent
ses critiques, un peuple obèse, paresseux et sédentaire qui passe un temps
considérable à aspirer à la réussite sans accepter de payer son dû, c’està-
dire admettre que l’investissement personnel est indispensable pour faire
quelque chose de sa vie. »
Cette fragilité des fondements du rêve américain conduit Jeremy Rifkin à
pronostiquer « la mort lente du rêve américain ».
UN MODÈLE AUX PERFORMANCES CONTESTABLES
UN ASCENSEUR SOCIAL BLOQUÉ
écoutons encore le chercheur américain décrire les faibles performances
du système américain : « Jusqu’aux années 1960, l’ascension sociale était
au coeur du rêve américain. Vers cette époque, le rêve a commencé à s’effilocher,
lentement d’abord, puis de manière accélérée dans les années
1970, 1980 et 1990 ». Les États-Unis ne peuvent donc plus prétendre être
un modèle en matière d’ascension sociale pour le monde entier (et pas
plus pour la France de Nicolas Sarkozy). Aujourd’hui, 17 % des Américains
vivent dans la pauvreté. En comparaison, celle-ci touche 5,1 % de la population
en Finlande, 7,5 % des Allemands, 8 % des Français, 10,1 % des
Espagnols et 14,2 % des Italiens(113). Les États-Unis arrivent en 24ème position
parmi les pays développés pour ce qui est de l’inégalité des revenus.
Seuls la Russie et le Mexique obtiennent de moins bons résultats. Les 18
pays européens les plus développés présentent ensemble une moins
grande inégalité de revenus entre riches et pauvres(114). 22 % des enfants
des États-Unis vivent dans la pauvreté(115). Ce résultat place aujourd’hui ce
pays en 22ème position des pays développés (soit en avant-dernière position
devant le Mexique). Dans le même temps, aux états-Unis, les 100 dirigeants
les mieux payés perçoivent en 1999 plus de 1 000 fois le salaire
moyen d’un travailleur, contre 30 fois en 1970…
Un marché du travail artificiellement efficace
La performance américaine en matière d’emploi est également surfaite.
Au zénith de leur essor économique, à la fin des années 90, les États-Unis
affichaient officiellement un taux de chômage de 4 %. Toutefois une récente
étude américaine a établi que les véritables chiffres se rapprochaient des
taux de l’union européenne car 2 millions de salariés découragés avaient
tout simplement baissé les bras tandis que la population carcérale montait
en flèche passant de 500 000 détenus en 1980 à 2 millions aujourd’hui.
Nicolas Sarkozy ou le clone de Bush
121
Près de 2% de la main-d’oeuvre adulte masculine potentielle des États-
Unis est actuellement derrière les barreaux. À l’été de 2003, le département
américain du travail établissait le taux de chômage à 6,2 % mais les
chiffres prenant en compte les salariés découragés se situaient à 9 % de
la population active(116).
Une intégration faussement performante
On présente souvent le modèle américain fondé sur le communautarisme
et la discrimination positive comme plus efficace que le modèle républicain
français… Il est permis d’en douter. Certes, la politique de préférence
raciale a permis, depuis le début des années 70, la promotion réelle et visible
des minorités ethniques, et principalement des noirs et son impact a
été fort dans les universités les plus prestigieuses mais il est moins évident
pour ce qui est de l’emploi. C’est d’ailleurs pourquoi en 2003, le revenu
médian d’un foyer noir équivaut à 64% du revenu médian d’un foyer blanc
(soit 29 500 $ contre 46 300 $)(117).
Dans le même temps, « l’affirmative action » n’a pas eu que des conséquences
positives. Selon Orlando Patterson, deux tiers des afro-américains
vivent mieux qu’avant mais la situation du dernier tiers se dégrade :
les déclassés deviennent plus visibles et les invisibles sont encore plus
délaissés. L’affirmative action a en outre « racialisé » tous les problèmes
de la société américaine et celle-ci divise désormais ses pauvres entre
blancs, noirs et latinos(118).
Le politiste Andrew Hacquer parle ainsi aujourd’hui de l’existence aux États-
Unis de deux nations, l’une noire et l’autre blanche, séparées, hostiles et
inégales. Et de fait, certaines statistiques, terribles, lui donnent raison : les
blancs sont près à débourser 13 % de plus pour vivre dans des quartiers
totalement « blancs ». 12 % des Américains noirs, de sexe masculin, âgés
de 20 à 34 ans se trouvent actuellement derrière les barreaux(119) contre
4 % des latinos et 1,6 % des blancs. Si les tendances actuelles se poursuivent,
un tiers des américains noirs nés en 2001 sera emprisonné une
fois dans sa vie. Un jeune noir de sexe masculin, vivant à New York, a la
même espérance de vie qu’un Sri lankais(120).
Une société malade
Plusieurs autres indices témoignent d’une société malade de ces excès.
Le taux moyen d’homicides pour 100 000 habitants a été, entre 1997 et
1999, de 1,7 pour l’union européenne alors que celui des États-Unis fut
près de quatre fois plus élevé (près de 6,26).
L’inquiétante « rupture tranquille » de Monsieur Sarkozy
122
Le taux d’incarcération constaté aux états-Unis témoignent d’une société
particulièrement violente et peu sécurisante : plus de 2 millions d’Américains
sont actuellement incarcérés, ce qui représente près du quart de l’ensemble
de la population carcérale mondiale. Il y a dans les états membres de
l’union européenne 87 détenus pour 100 000 habitants, on atteint aux États-
Unis le chiffre incroyable de 685 détenus pour 100 000 habitants.
Enfin, les classes moyennes, pourtant symbole de la réussite américaine,
sont désormais en péril. Fin 2005, deux mois avant son départ à la retraite,
Alan Greenspan, alors président de la réserve fédérale, s’est inquiété des
inégalités croissantes aux États-Unis et de la disparition de la classe
moyenne. Il a regretté devant la commission économique jointe du Congrès
que 80 % des employés n’aient pas bénéficié de la moindre augmentation
de salaire lors des dernières années. « La première solution adoptée par
les familles pour compenser la baisse des salaires réels est de travailler
plus. Les emplois à mi-temps deviennent à plein temps et certains prennent
un deuxième ou un troisième travail » explique Rick Wolf, professeur
d’économie de l’université du Massachusetts, auteur d’une étude sur l’évolution
des rémunérations depuis le xixe siècle. « L’autre conséquence, poursuit-
il, est l’augmentation de l’endettement des ménages, plus particulièrement
depuis années 2000. Plus de 15 % des revenus après impôts sont au service
de la dette ».
Un système social réduit aux acquêts
Enfin, le système social américain est bien moins protecteur qu’en Europe.
Dans les années 1990, le salaire minimum légal aux États-Unis n’atteignait
que 39 % du salaire moyen alors que dans l’union européenne il était de
53 %(121). Cela fait maintenant 9 ans que le salaire minimum est figé à
5,15 dollars aux États-Unis. Cela représente 10 700 dollars par an, une
somme nettement inférieure au seuil de pauvreté fixé à 16 000 dollars pour
une famille de trois personnes. Selon les économistes, le pouvoir d’achat
du salaire minimum est à son plus bas niveau depuis 1955. Créée en 1938
par le président démocrate Franklin Delano et Roosevelt, cette rémunération
plancher fait partie de l’héritage social de la Grande dépression qu’une
partie de la droite républicaine voudrait supprimer.
Outre Atlantique, les employeurs ne sont pas légalement obligés d’offrir des
congés à leurs salariés. Les vacances de deux semaines sont ainsi devenues
la règle dans la plupart des entreprises. Selon l’OCDE (2000), les salariés
américains ont la durée annuelle de travail la plus élevée de tous les
grands pays industrialisés. Ils travaillent actuellement 10 semaines de plus
Nicolas Sarkozy ou le clone de Bush
123
par an que les salariés allemands et quatre semaines et demi de plus que
les britanniques. Et le fameux « droit à travailler plus » réclamé par Nicolas
Sarkozy se transforme vite en une obligation de toujours faire plus.
Les États-Unis font partie des trois seuls pays industrialisés où les entreprises
ne sont pas tenues d’accorder un congé de maternité ou de paternité.
Les américains n’ont pas d’assurance maladie collective. À l’exception de
deux programmes publics, l’un destiné aux personnes âgées (Médicare)
et l’autre aux personnes en difficulté sociale (Medicaid), l’assurance-maladie
y est donc privée et les Américains y accèdent par la médiation de leur
emploi. Or ce système se révèle peu efficace.
Tout d’abord parce qu’il est particulièrement coûteux. La dépense de santé
par habitant est aux États-Unis la plus élevée du monde développé. En fait,
le recours au marché génère davantage de bureaucratie que l’État car les
compagnies d’assurances consacrent une part importante de leur activité à
l’analyse des risques inhérents à la signature de chaque police d’assurance.
Les frais généraux y sont donc beaucoup plus élevés que dans une agence
publique(122). C’est l’une des raisons pour lesquelles les entreprises américaines
répugnent aujourd’hui à embaucher, recourent au travail temporaire,
réduisent la couverture de l’assurance-maladie, gèlent ou même réduisent
encore les salaires. Certaines n’hésitent pas à contourner la législation sur
l’interdiction des discriminations en fonction de l’âge, les primes d’assurance
pour un jeune travailleur étant plus faibles que pour un salarié plus âgé(123).
Ensuite parce que modèle américain prive de couverture maladie près du
cinquième de la population américaine. à un instant donné, environ 45 millions
d’Américains ne bénéficient d’aucune couverture sociale soit environ
20 % de la population. Ce chiffre dissimule une précarité plus importante
encore car, sur une période de deux années, ce sont près de 40 % de la
population qui, à un moment donné, ne bénéficiera d’aucune couverture
sociale(124). Selon l’OMS, les États-Unis et l’Afrique du Sud sont les deux
seuls pays développés du monde à ne pas disposer d’un système de santé
accessible à tous leurs citoyens.
Enfin parce que le modèle américain est, au final, peu performant en matière
de santé. Les États-Unis ne recensent que 279 médecins pour 100 000
habitants contre 322 pour l’Union européenne. Ils arrivent pour la mortalité
infantile en 26ème position parmi les pays industrialisés avec 7 décès
pour 1000 naissances, un résultat bien plus mauvais que la moyenne des
L’inquiétante « rupture tranquille » de Monsieur Sarkozy
124
pays de l’union européenne. L’espérance de vie y est plus faible que dans
de nombreux pays : il vaut mieux être japonais (81,5 années en 2001) ou
européen de l’Europe des 15 (79 ans la même année) qu’américain
(77,1 ans). Et les différences d’espérance de vie se creusent (cinq mois
en 1960 entre les États-Unis et la France, 2,1 années en 2001). Une médecine
à la pointe du progrès demeure à l’évidence incapable de compenser
les effets des conditions de vie. Toutes les études montrent que la cohésion
sociale contribue à la croissance de l’espérance de vie. Les pays qui
offrent à leur population la plus longue espérance de vie à la naissance
(comme la Suède ou le Japon) se trouvent être aussi ceux où la différence
de revenus entre classes sociales est la plus faible.(125)
Un ascenseur social bloqué, un marché du travail artificiellement performant,
une société incarcérant 2 % de sa population, un droit d’accès au
système de santé bafoué, des congés réduits à presque rien, un droit au
congé de maternité ou de paternité refusé, une espérance de vie inférieure
à celle des pays européens, le modèle américain n’a pas que des avantages.
Nicolas Sarkozy y voit pourtant l’avenir de la société française ! Plutôt
que d’importer le modèle américain en France, pourquoi ne pas réformer,
adapter et construire le modèle européen ?
L’ADHÉSION AU CONSERVATISME DE BUSH
Nicolas Sarkozy n’est pas seulement un ami de l’Amérique, il en est un zélateur
qui se définit volontiers lui-même comme « américain ». Et plus encore
qu’un américain, c’est d’abord un adepte du conservatisme de G.W. Bush.
Nicolas Sarkozy, l’américain
Il est normal pour un homme politique français de se déclarer l’ami des états-
Unis. Nos deux pays n’ont jamais été en conflit au cours de l’histoire (ce qui
n’est vrai ni pour la Grande Bretagne, ni pour l’Espagne, ni pour l’Italie ou
encore l’Allemagne) ; les français ont soutenu les insurgés américains face
à la couronne anglaise lors de la guerre d’indépendance de 1776 à 1783 ; à
l’inverse, les états-Unis ont par deux fois participé à la libération du territoire
français au cours du 20ème siècle. Nos deux pays sont donc alliés et amis
depuis des décennies. Aussi lorsque Nicolas Sarkozy déclare en avril 2004
devant le comité juif américain que « certains en France m’appelle Sarkozy
l’américain. J’en suis fier. Je suis un homme d’action, je fais ce que je dis et
j’essaie d’être pragmatique. Je partage beaucoup des valeurs américaines »,
ce ne sont pas tant les propos tenus qui posent problème que leur concomitance
avec le tour dramatique que prend alors la guerre en Irak(126).
Nicolas Sarkozy ou le clone de Bush
125
Cinq mois plus tard, lors de sa visite à New York en octobre 2004, Nicolas
Sarkozy va plus loin encore dans ses déclarations à l’égard des États-Unis.
Il se dépeint comme étranger en son propre pays(127) et d’ajouter encore :
« le monde vous admire. Le monde vous respecte. »
Nicolas Sarkozy, l’atlantiste convaincu –
le soutien inconditionnel à la guerre en Irak
Nicolas Sarkozy a donné de nombreux gages d’atlantisme lors de la crise
irakienne aussi bien avant qu’après l’invasion du territoire irakien par les
troupes américaines.
Lui, habituellement si disert, évite de s’exprimer sur la question irakienne
dans les mois précédant l’intervention militaire américano-britannique
contre l’Irak, le 20 mars 2003. Il ne dit rien. Pas même un bref commentaire.
Pas même à une presse confidentielle. Son silence tranche avec la
dénonciation par les autorités françaises de la guerre préventive.
Le président de la République accorde une interview à l’hebdomadaire « Time
magazine » le 16 février 2003. Le 10 mars, il reçoit Patrick Poivre d’Arvor
(TF1) et David Pujadas (France 2) pour une interview télévisée au cours
de laquelle il confirme que « la France votera non (à une résolution fixant
un ultimatum à l’Irak) parce qu’elle considère ce soir qu’il n’y a pas lieu de
faire une guerre pour atteindre l’objectif que nous nous sommes fixés, c’està-
dire le désarmement de l’Irak ». Il menace clairement les États-Unis d’utiliser
son droit de veto au Conseil de sécurité de l’ONU. Un droit de veto
que la France n’a depuis 1945 utilisé que 18 fois, et une fois seulement
contre les états-Unis en 1956 !
De son côté, le 14 février 2003, lors d’une séance publique du Conseil de
sécurité des Nations unies, Dominique de Villepin, alors ministre des
Affaires étrangères, suggère aux Nations Unies de « donner la priorité au
désarmement dans la paix » et se prononce en faveur de la poursuite des
inspections. Le 7 mars 2003, lors d’une nouvelle réunion du Conseil de
sécurité sur l’Irak, le ministre français des Affaires étrangères, s’oppose à
nouveau à une intervention armée et rappelle que devant la multiplicité et
la complexité des menaces, il n’y a pas de réponse unique, mais une seule
exigence, l’union de la communauté internationale.
Il y a des silences qui en disent plus que de longs commentaires. Le coeur
du président de l’UMPbat du côté de Georges. W Bush et de Donald Rumsfeld
et non du coté de Jacques Chirac et de Dominique de Villepin ! Il est clair
L’inquiétante « rupture tranquille » de Monsieur Sarkozy
126
que le président de l’UMP approuve, au moins tacitement, l’intervention
unilatérale américaine en Irak.
Un an après, en avril 2004, Nicolas Sarkozy se rend aux états-Unis. Il s’emploie
alors à donner un faste tout particulier à ce déplacement et obtient
d’être reçu par Colin Powel, le chef de la diplomatie américaine et par Condoleezza
Rice, la très proche conseillère à la sécurité nationale du président Bush.
Finis les silences rentrés de l’année précédente. Nicolas Sarkozy met en
scène son admiration pour les états-Unis et le lien tout particulier qui l’unit
aux états-Unis. Dans une interview accordée depuis Washington aux radios
françaises, il insiste : « les États-Unis et la France ont connu une période
un peu tendue à la suite du désaccord qui nous a opposés sur la façon de
traiter la question irakienne. Eh bien maintenant, cela appartient au passé,
il faut se tourner vers l’avenir et pour cela le plus de contacts possibles sont
nécessaires ». Le message est clair, il faut se garder de parler de guerre en
Irak, ne pas importuner les autorités américaines avec ce conflit.
Et pourtant à la même époque, de nombreuses informations font état d’actes
de torture et de mauvais traitements infligés par les forces de la coalition
conduite par les américains.
Selon Amnesty international, un rapport du CICR datant de février 2004
précisait que « des actes de torture et d’autres formes de mauvais traitements
étaient utilisés au moment de l’arrestation, pendant l’incarcération
et au cours des interrogatoires. Ce document recensait notamment le port
forcé d’une cagoule – parfois durant quatre jours –, l’utilisation de menottes
entraînant des lésions cutanées et nerveuses, des coups assenés avec
des objets durs, des menaces d’exécution, le maintien à l’isolement, des
humiliations (le fait d’exhiber le prisonnier totalement nu, par exemple),
l’exposition du détenu encagoulé à des musiques ou à des bruits assourdissants,
ainsi que le maintien prolongé de la personne dans des positions
douloureuses ».
Au mois d’avril 2004, des images datant de 2003 et montrant des prisonniers
irakiens torturés et maltraités par des soldats américains à Abou Ghraib sont
diffusées dans le monde entier. Amnesty international s’en fait l’écho dans
son rapport 2005 : « On y voyait des groupes de prisonniers nus obligés de
se mettre dans des positions humiliantes et sexuellement explicites. Des fils
électriques avaient été attachés à un détenu. D’autres étaient menacés
par des chiens. D’autres éléments de preuve indiquaient que des prisonniers
irakiens avaient été roués de coups, forcés de manger du porc, de
Nicolas Sarkozy ou le clone de Bush
127
boire de l’alcool, de se masturber devant des femmes soldats américaines
ou de marcher à quatre pattes et d’aboyer ». Nicolas Sarkozy n’a rien vu,
rien entendu, rien lu. En tout cas, il ne dit rien qui puisse déplaire à ses
hôtes américains.
Mais tout cela compte peu aux yeux de Nicolas Sarkozy ! Par ses silences
avant l’intervention américaine en Irak, par le lustre de son déplacement
aux états-Unis en avril 2004, par ses stratagèmes destinés à éluder avec
les autorités américaines les actes de torture et de mauvais traitements
infligés par les forces de la coalition anglo-américaine en Irak, il approuve
de fait l’invasion de l’Irak et la conduite de ce conflit par les américains.
Des questions viennent alors à l’esprit : qu’aurait-il fait s’il avait été président
de la République ? Son atlantisme l’aurait-il conduit à s’aligner sur la
stratégie de Georges W. Bush ? Aurait-il envoyé nos forces armées sur le
théâtre irakien dans une guerre qui n’en finit plus depuis ce 20 mars 2003
qui vit les troupes anglo-américaines envahir l’Irak ? La France serait-elle,
elle aussi, engluée dans ce conflit qui s’est transformé en guerre civile et
qui alimente désormais la vindicte terroriste ?
Nicolas Sarkozy, le conservateur
Mais plus encore qu’aux Américains, il s’identifie au conservatisme de G.W. Bush.
Il a analysé ce qui s’est passé aux États-Unis avant la victoire de Georges
Bush. Il a compris que le libéralisme seul ne lui permettrait pas de gagner
l’élection présidentielle et qu’il fallait y ajouter, comme G.W. Bush l’avait
fait en 2004, d’autres dimensions : mêler la famille et la sécurité à la religion
et au nationalisme. En ce sens, il apparaît clairement comme l’héritier
du président des états-Unis : même style, même discours moral, même
credo conservateur.
Un même style
Dans les deux cas, on retrouve un même discours populiste, une même
croyance enthousiaste, quasi caricaturale, dans les vertus du changement
(l’action prime sur l’objectif), un même héros moderne qui serait l’entrepreneur
individualiste, un même discours sur la réussite, la promotion sociale
ignorant les inégalités sociales. Comme Bush, Nicolas Sarkozy a une vision
binaire du monde. Comme lui, il utilise les mêmes méthodes de propagande
: l’instrumentalisation de la peur, le populisme, un discours basé sur
un nombre très réduit d’idées simples mais martelées. Comme pour lui
enfin, le verbe tient lieu d’action et l’exonère de toute responsabilité dans
l’efficacité des politiques conduites.
L’inquiétante « rupture tranquille » de Monsieur Sarkozy
128
Un même discours moral d’essence essentiellement religieuse
G. W. Bush défend le retour de la religion dans la politique. Le président
américain a été en effet très influencé(128) par l’argumentation de Marvin
Olasky’s selon laquelle les organisations religieuses sont plus aptes à résoudre
le problème de la pauvreté que la « bureaucratie sociale » parce qu’elles
visent à changer les gens plutôt qu’à leur donner de l’argent. Cette idéologie
l’a conduit, par exemple, à supprimer les fonds dispensés aux ONG pratiquant
l’avortement dans d’autres pays et à réorienter le tiers des fonds
destinés à la prévention du Sida dans les pays en voie de développement
vers l’éducation à l’abstinence.
On retrouve « cette inspiration » chez Nicolas Sarkozy. à l’instar des
conservateurs américains, son discours moral est désormais d’essence
religieuse comme le révèle son livre « LARÉPUBLIQUE, LES RELIGIONS,
L’ESPÉRANCE » : la morale ne peut être que religieuse, les valeurs républicaines
sont réduites à « l’ordre public ». Il oublie que les Français ne sont
pas les Américains : aux états Unis, 98 % des habitants croient en Dieu,
contre 76 % des britanniques, 62 % des français et 52 % des suédois. Mais
la religion est chez nous une affaire privée. Et c’est cela qui est « sacré »…
Une même tentative de redéfinition du credo conservateur
Nicolas Sarkozy est en fait le relais en France de l’idéologie de George
Bush. Il défend les mêmes orientations politiques : la réduction des libertés
au nom de la sécurité, l’accroissement de la répression policière, l’exaltation
du patriotisme au risque du nationalisme, le communautarisme et la
discrimination positive, l’ultralibéralisme économique et le retour de la religion
dans la politique.
La droite américaine retient les trois credo habituels de la droite anglosaxonne
: la méfiance à l’égard des pouvoirs de l’État, la préférence pour
la liberté par rapport à l’égalité et le nationalisme.
La méfiance à l’égard des pouvoirs de l’État.
Pour beaucoup d’américains (et tout particulièrement les conservateurs),
veiller à ce que l’état dispose d’un pouvoir réduit constitue un principe fondamental
: le pouvoir appartient à l’individu et non à l’état. Il appartient d’abord
à l’individu, puis aux communautés locales, aux états fédérés et enfin seulement
à l’État fédéral.
C’est pourquoi, les états-Unis sont, avec la Suisse, les deux seuls pays à
organiser très couramment des référendums. Cela explique également que
Nicolas Sarkozy ou le clone de Bush
129
seuls 29 % des américains reconnaissent à l’état la responsabilité d’aider
les pauvres (ce taux est, même au Royaume-Uni, deux fois plus élevé). Le
héros moderne du conservateur américain n’est pas le châtelain paternaliste
mais le rude individualiste sans attache : le chef d’entreprise qui construit
un empire puissant à partir de rien.
Depuis son accession à la présidence, G.W. Bush a baissé les impôts en
2001, 2002 et 2003, au profit essentiellement des plus fortunés… Les conservateurs
favorisent une privatisation partielle du système de sécurité sociale
américain (retraite, assurance chômage)(129) et détournent ainsi le produit
des cotisations obligatoires vers les marchés financiers. Cette politique de
privatisation s’accompagne du développement massif d’une épargne privée
défiscalisée et favorise donc massivement les Américains les plus riches,
ceux qui constituent le noyau dur de l’électorat républicain. Au fondement
de cette politique, on retrouve le credo selon lequel la propriété privée et
l’épargne individuelle constituent la meilleure, et la plus légitime, source
de sécurité pour chacun. Ce que G. W. Bush a appelé l’ère de la possession
(« Era of Ownership »).
Dans la même ligne, Nicolas Sarkozy, bien qu’il se prétende pragmatique en
matière économique, est profondément méfiant vis à vis de l’état. Ecoutons le
7 septembre 2005 lors de la convention de l’UMP sur le nouveau modèle français
: « Première urgence : faire souffler un vent de dynamisme sur la vie des
entreprises et des affaires. Levons les interdictions inutiles, simplifions les démarches,
créons de la mobilité entre trop de statuts ou de secteurs qui s’ignorent ».
Le héraut du libéralisme économique en France, Alain Madelin, n’aurait pas
dit mieux. Comme il aurait d’ailleurs approuvé la suite du discours du ministre
candidat : « Cessons de punir la détention du patrimoine, alors que tant de
Français font des efforts pour transmettre à leurs enfants un capital ; cessons
de punir la réussite en taxant excessivement le fruit des investissements à risque
alors que nous consacrons tant d’argent pour orienter l’épargne vers de
tels placements ; supprimons les droits de succession et de donation pour les
patrimoines petits et moyens, parce qu’il n’est pas supportable pour des
parents de penser que leurs enfants devront vendre une partie de leurs biens
pour payer ces droits ». Après avoir réduit le poids de l’impôt sur le revenu,
Nicolas Sarkozy veut désormais s’attaquer aux impôts frappant le patrimoine.
Il le fait via l’imposition sur les successions (et non pas seulement des « petites
et moyennes »), il le fera ensuite via l’impôt de solidarité sur la fortune !
La préférence pour la liberté par rapport à l’égalité. C’est la suite logique
de la défiance vis à vis de l’état. Seules comptent les libertés éconoL’inquiétante
« rupture tranquille » de Monsieur Sarkozy
130
miques, elles apporteront le bien être aux populations: C’est la reprise du
rêve américain selon lequel chacun peut passer de la misère à la richesse
: les plus motivés et les plus talentueux s’élèveront jusqu’au sommet, les
autres échoueront. Rien ne caractérise mieux l’approche américaine que
sa tolérance à l’inégalité. Pour la plupart, les américains associent la réussite
au mérite et non à la chance ou aux origines sociales. Chacun est maître
de son destin. Telle est l’idéologie sous jacente à la conception
sarkozienne de promotion de la valeur travail.
Le nationalisme. 6 américains sur 10 pensent que la culture américaine
est supérieure aux autres cultures. Ils ne sont en France que 3 à penser
la même chose pour la culture française, et 4 en Grande Bretagne
et en Allemagne. C’est cette veine nationaliste que reprend désormais
Nicolas Sarkozy. Par exemple dans son discours du 23 avril 2006 : « Là
encore, nous en avons plus qu’assez de devoir en permanence avoir
le sentiment de s’excuser d’être Français. D’ailleurs, si certains se sentent
gênés d’être en France, je le dis avec un sourire mais aussi avec
fermeté, qu’ils ne se gênent pas pour quitter un pays qu’ils n’aiment
pas ». Enchaînant dans la même veine le 2 mai suivant à l’assemblée
nationale pour être sûr d’être bien compris : « on en a plus qu’assez
d’avoir le sentiment d’être obligé de s’excuser d’être Français ». Ces
propos font écho à ceux prononcés par deux de ses rivaux à l’élection
présidentielle : Jean-Marie Le Pen, président du Front National, qui dans
les années 1980 déclarait déjà « la France, aimez la où quittez- la », et
Philippe de Villiers, président du mouvement pour la France, dont les
affiches proclament « La France, tu l’aimes ou tu la quittes ». Les deux
ne s’y sont pas trompés : « on peut aller à la chasse aux voix du Front
National et perdre sa place a déclaré Le Pen, on gagne une voix du FN
et on en perd trois à son bénéfice.» Le second s’est félicité de la « villierisation
» des esprits et a exclu un éventuel ralliement à M. Sarkozy
au second tour de l’élection présidentielle. On voit mal en effet pourquoi
les électeurs du FN préféreraient soudainement Nicolas Sarkozy
alors qu’ils ont déjà entendu des dizaines de fois Jean-Marie Le Pen
proférer de tels propos. En fait, sous sa fausse bonne idée (reprendre
les voix du Front National), les propos de Nicolas Sarkozy renvoient à
une période que l’on croyait révolue, celle où la droite républicaine n’était
pas au clair avec l’extrême droite.
La droite américaine ajoute à ces credo traditionnels de la droite anglosaxonne
trois autres caractères plus novateurs auxquels Nicolas Sarkozy
tente de coller.
Nicolas Sarkozy ou le clone de Bush
131
Cette droite se veut en premier lieu plus optimiste et se différencie du
scepticisme de la droite classique à l’égard du progrès. Elle veut en fait
s’approprier la foi dans le progrès et l’avenir qui est l’un des déterminants
essentiels de la gauche. Cette stratégie des néo-conservateurs américains
est très visible chez Nicolas Sarkozy. On le voit ainsi faire l’éloge du volontarisme
politique à Nîmes le 9 mai 2006 : « Il n’y a pas de fatalité au déclin,
il y a seulement les ravages de l’immobilisme. (…) Ce soir, je suis venu
vous dire que les choses peuvent changer, que les choses vont changer.
Parce que nous allons ensemble construire le chemin qui fera entrer la
France de toujours dans le monde de demain ». Mais attention, cet optimisme
a toutefois un prix : le retour au pouvoir de l’idéologie libérale, la
toute puissance du marché !
Cette droite se veut en deuxième lieu plus égalitaire. C’est à ce titre
d’ailleurs que Nicolas Sarkozy revendique la rupture avec le modèle européen.
Le 5 septembre 2005, à la Baule, il se dit « convaincu que l’on ne
peut pas continuer à commenter les inégalités, il faut les réduire si l’on ne
veut pas créer les conditions d’un drame pour la France dans les 20 ou 30
années qui viennent ». Comme aux États-Unis, ce discours sur la lutte contre
les inégalités n’a qu’un objet : celui de séduire les couches populaires pour
les arrimer à la droite conservatrice. Il connaîtra ensuite le même destin :
celui des promesses vite oubliées car qui oserait prétendre que les inégalités
se sont réduites sous la direction de G.W. Bush ?
Cette droite se veut en dernier lieu moins élitiste et plus populiste. Le
populisme égalitaire s’agrège alors à la religion civique, au patriotisme et
à la religion tout court pour « équilibrer » dans l’inconscient collectif la croyance
dans les vertus du marché et la méfiance à l’égard des administrations étatiques.
C’est manifestement dans ce registre que Nicolas Sarkozy en fait
le plus. Sa stratégie : trouver des boucs émissaires qui lui permettent sur
un coup médiatique de capitaliser de futurs suffrages. Il se pose en défenseur
du peuple face aux étrangers, tous assimilés hâtivement à des délinquants
en situation irrégulière. Il faut nettoyer la cité au kärcher et la débarrasser
de la racaille pour restaurer l’ordre public. Autres cibles de choix : les chômeurs(
131) et les Rmistes, tous assimilés à des profiteurs face à la France
qui se lève pour aller travailler. La technique est désormais bien rôdée :
décrypter les études qualitatives des instituts de sondages pour déterminer
ce qu’attendent les Français, se prévaloir ensuite d’un fait divers et leur
faire entendre ce qu’ils voulaient justement entendre, parler peuple pour
faire peuple et enfin prétendre qu’il est populaire et non populiste puisque
« être populiste, c’est considérer que la majorité a raison parce qu’elle est
L’inquiétante « rupture tranquille » de Monsieur Sarkozy
132
la majorité ». Or qu’a-t il fait sinon organiser le rendement de son populisme
et sa mise en scène et faire croire que l’électorat le suit alors qu’il le
flatte pour au final pouvoir accéder à la présidence de la République. Le
rôle d’un leader politique est de dire la vérité au peuple tout en lui redonnant
confiance en lui. Nicolas Sarkozy lui dit ce qu’il veut entendre de ses
peurs pour qu’il lui donne sa confiance ! Il utilise la vieille recette du populisme
qui consiste à flatter le peuple et à dénoncer l’incurie des élites.
(110) Jeremy Rifkin, Le rêve européen, Fayard.
(111) On estime que 760 personnes soupçonnées par les Américains d'être des combattants de l’ennemi sont passées par Guantanamo
depuis 2002.
490 y étaient encore incarcérées en mars 2006. Les autres ont été libérées ou envoyées dans d'autres centres de détention,
américains ou étrangers.
(112) La commission d'enquête du Parlement européen sur la CIA, dans un projet de rapport intérimaire rendu public mercredi 26 avril
2006, confirme que « depuis le 11 septembre 2001, plus de 1000 vols affrétés par la CIA ont transité par l'Europe 12 ans pour y opérer
des restitutions extraordinaires ».
(113) Jeremy Rifkin, Le rêve européen, (chapitre 1er : la mort lente du rêve américain), Fayard.
(110) Jesuit, David et Smeelding, Thimothy, « Poverty Levels in the Developped World », Maxwell School of Citizenship and Public Affairs
at Syracuse University, 23 juillet 2002, page 8 et 9; Id. “Poverty and Income Ditribution, Luxembourg Income Study White paper,
n° 293, Syracuse, NY, Syracuse University, janvier 2002, page 7.
(114) Smeelding, Thimothy, « Globalization, Inequality, and the Rich Countries of the G20 ; Evidence from the Luxembourg Income Study
(LIS) », 30 juillet 2002, page 14.
(115) Est pauvre celui qui a des revenus inférieurs à la moitié du revenu moyen national du pays dans lequel il vit.
(116) Herbert, Bob, « Despair of the Jobless », The New York Times, 7 août 2003, « Jobs and the Jobless », The Washington Post, 5 mai
2003.
(117) Sheryl Cashin, « The Failures of Integration : How Race and Class are undermining the American Dream », Public Affairs, 2004.
(118) Patrick Weil, La République et sa diversité, pages 83 à 85, La République des idées, Seuil.
(119) « The 2003 Global 500 », Fortune, 21 juillet 2003, www.fortune.com.
(120) Jean de Kervasdoué, « cohésion sociale et espérance de vie », Le Monde, mai 2005.
(121) Glazer, Nathan, « Why Americans don’t Care About Income Inequality », article présenté aux Inequality and Social Policy Seminar
Series, 11 février 2002, pages 3 et 4.
(122) JP. Fitoussi, « Le retour de l’Etat Providence : un (bon) film américain à gros budget », Le Monde oct 2004.
(123) JP. Fitoussi, « Le retour de l’Etat Providence : un (bon) film américain à gros budget », Le Monde oct 2004.
(124) Jean de Kervasdoué, « cohésion sociale et espérance de vie », Le monde, mai 2005.
(125) Jean de Kervasdoué, « cohésion sociale et espérance de vie », Le monde, mai 2005.
(126) Voir le chapitre 3 ci-dessus.
(127) Voir le chapitre 3 ci-dessus.
(128) John Micklethwait, Adrian Wooldridge, “The Right Nation : Why America is different”, Penguin Books, London, 2004.
(129) Daniel Béland, « Social Security : History and Politics from the New Deal to the Privatization Debate », University Press of Kansas,
2005.
(130) « La France ne peut pas être le seul pays à avoir un degré aussi élevé de protection sociale, et aussi peu d’obligations qui pèsent sur
leurs bénéficiaires », Nîmes - mardi 9 mai 2006.
133
Depuis 2002 et son retour dans les palais de la République, Nicolas Sarkozy
n’a cessé de se mettre en scène afin de se présenter aux Français comme
le seul capable de régler leurs problèmes. Lui seul les écouterait, lui seul
les comprendrait, lui seul serait porteur des réformes nécessaires à la France
pour endiguer le déclin auquel elle est aujourd’hui condamnée. Voilà cinq
ans que Nicolas Sarkozy trompe les Français.
Il se prétend efficace mais a collectionné les échecs
Secrétaire d’état au Budget de 1993 à 1995, il laisse des finances de l’état
dans un état « calamiteux » : la dette explose et passe de 45,3 % à 54,6 %
du PIB ; les prélèvements obligatoires atteignent 43,6 % du PIB en 1995
contre 42,9 % en 1993.
Pendant son passage à Bercy en 2004 en tant que ministre de l’économie,
des finances et de l’industrie, la croissance marque le pas : elle est à son
départ 6 fois moins élevée qu’à son arrivée !
Par deux fois ministre de l’intérieur, il multiplie les chantiers législatifs afin
d'entretenir l'illusion médiatique d'un fléchissement de la délinquance. La
réalité est moins avouable : si l'on neutralise les deux infractions qui dépen-
Conclusion
PIERRE BAYARD
L’inquiétante « rupture tranquille » de Monsieur Sarkozy
134
dent le moins du comportement de la police, à savoir les vols liés à l’automobile
et aux deux-roues à moteur ainsi que les cambriolages, la délinquance
affiche alors sur la période 2001-2005 une augmentation de 25,7 %.
Les violences contre les personnes n'ont jamais cessé de s'accroître : + 8,6 %
en 2002, + 7,2 % en 2003, + 4,4 % en 2004, + 4,4 % en 2005 et au total
+ 27 % sur la période 2001-2005. Il s’ingénie à casser le thermomètre pour
faire croire que la température a baissé : il ferme Sangatte mais les migrants
sont toujours là ; il durcit les conditions des unions mixtes et du regroupement
familial des étrangers et fabrique ainsi de l'immigration clandestine.
Le verbe tient lieu d’action et l’exonère de toute responsabilité dans l’efficacité
des politiques conduites.
Nicolas Sarkozy veut incarner le volontarisme mais fait en réalité le
choix de la démission en politique
Il croit le modèle républicain en faillite et le phénomène communautaire
inévitable. Il propose donc de réhabiliter les identités communautaires en
prenant argument de la diversité de notre société.
Il prétend qu’il faudrait sortir l’économie française de sa léthargie par une
politique résolue et ambitieuse mais ne fait rien qui puisse perturber le cours
des affaires, comme il l’a prouvé pendant ses passages au Ministère des
Finances. L’important n’est pas de faire, il faut seulement donner l’illusion
que l’état continue d’agir. C’est donc avant tout un état « incantatoire » en
matière économique que Nicolas Sarkozy souhaite promouvoir s’il est élu
Président de la République.
Son volontarisme apparent n’est en fait qu’une résignation, sa volonté de
rupture qu’un abandon. Avec lui, les politiques publiques sont condamnées
à n’être que psychologiques.
Nicolas Sarkozy promet la sécurité pour tous mais prépare en fait l’insécurité
de chacun
C’est l’insécurité économique et sociale qui se profile derrière le discours
rassurant sur la libération de la France : « libérer les énergies », instituer
des « candidatures libres » aux élections syndicales, « libérer le travail »,
laisser « le libre choix » de travailler plus ou moins, assurer la « libre autonomie
des établissements, notamment dans l’élaboration d’un projet éducatif
spécifique », la « liberté pédagogique des enseignants », tout cela
vise à changer notre modèle social et à ériger la concurrence comme le
principe de régulation de l’ensemble de nos rapports sociaux. Avec les résultats
que l’on sait : un droit du travail en lambeaux, un droit syndical réduit
Conclusion
135
à néant, une France éclatée, la constitution de ghettos scolaires, des banlieues
et des territoires abandonnés à eux-mêmes…
Ce modèle s’accompagnera comme aux États-Unis d’une très forte insécurité
des biens et des personnes. Rappelons encore les terribles chiffres
rendus publics par le bureau du recensement américain (US Census
Bureau) le 29 août dernier : 1 américain sur 8 (soit près de 37 millions d’individus)
n’a pas assez d’argent pour vivre décemment, avec un revenu
annuel inférieur à 7 769 euros ! Les américains d’origine étrangère (afroaméricains,
hispaniques, asiatiques) sont ceux qui en payent le plus lourd
tribut. Le salaire réel médian a baissé depuis 1999. Les inégalités sont
criantes : l’écart de rémunération entre un PDG et un salarié de 1 à 40 en
1980, est passé de 1 à 411 en 2005 ! Pire, la situation s’est encore dégradée
en ce qui concerne la couverture santé : 1,3 millions de personnes ont
rejoint en 2005 les rangs des américains privés d’assurance maladie, soit
un total de 46,6 millions d’individus ! Est-ce cela que les Français souhaitent
pour la France ? Tel est l’avenir que nous prépare Nicolas Sarkozy.
Il substitue à notre état social de sécurité un état libéral de sécurité : un
état aveugle, manquant de lucidité et qui se contente de combattre « la
racaille » en faisant l’économie de l’analyse des causes profondes de la
délinquance ; un état qui isole donc la recherche de la sécurité de la réalité
sociale. Ainsi isolée, cette recherche de sécurité est vaine et se dégrade
immanquablement en une crispation sécuritaire… pour le plus grand profit
électoral de la droite (et de l’extrême droite !).
Les Français ont donc de bonnes raisons d’être inquiets !
Nicolas Sarkozy préconise l’adossement béat de notre politique étrangère
sur la politique des États-Unis de Bush, quitte à affaiblir l’Europe et à renforcer
l’instabilité internationale
Le monde a changé au cours des 20 dernières années. La fin de la bipolarité
qui avait structuré l’équilibre mondial autour de deux puissances opposées,
les états Unis et l’URSS, a laissé la place à un seul acteur, les États-Unis,
qui cherche désormais à imposer son hégémonie sur le monde entier.
Dans ce contexte, seule une Europe forte et unie peut équilibrer la puissance
américaine actuellement sans contrepoint. L’enjeu d’aujourd’hui est
donc bien de faire de la construction d’un monde multipolaire régi par le
droit un objectif véritablement stratégique. Mais l’Europe d’aujourd’hui est
L’inquiétante « rupture tranquille » de Monsieur Sarkozy
136
en crise : sa croissance est en panne, son émergence en tant que puissance
politique a échoué et la démocratie européenne n’est toujours que
balbutiante. Le rejet par les Français, le 29 mai 2005, du projet de constitution
européenne ne fut en fait que l’une des nombreuses manifestations
de cette crise.
Face à ce monde en mutation, quelle est la pensée de Nicolas Sarkozy
dans le domaine de la politique internationale et de la construction européenne
? Bien difficile à dire tant l’intéressé a été peu disert en ces
matières. Peut-être faut-il alors se fier au jugement de l'un des plus fins
connaisseurs de Nicolas Sarkozy... Jacques Chirac, qui se plaignait auprès
de son vieil ami Pierre Mazeaud : « Tu comprends, Pierre, il est libéral,
atlantiste et communautariste »(131). Et de fait, les exemples de la construction
européenne et de l'intervention américaine en Irak en 2003 témoignent
de l'atlantisme du président de l'UMP.
Nicolas Sarkozy se prétend aux services de l’ensemble des Français
mais sert avant tout sa clientèle
Déjà en 1993-1995, il avait choisi d’augmenter la CSG, la TIPP, la TVAsur
les abonnements EDF-GDF… et avait parallèlement baissé l’impôt sur le
revenu, élevé les réductions d’impôts pour garde d’enfant à domicile et
baissé l’imposition des plus values.
Il récidive en 2004 lors de son nouveau passage à Bercy : il baisse injustement
l’impôt sur le revenu, incite les citoyens les plus aisés à opérer des
donations en franchise d’impôt et décide de s’attaquer aux droits de succession
pour promouvoir la France des rentiers…
Nicolas Sarkozy veut incarner l’avenir de la France mais propose en
fait les recettes du passé
La délégitimation du modèle européen au profit du modèle américain vise
clairement à affaiblir la légitimité de l’état providence européen. C’est la
première étape du démantèlement de la sécurité sociale au profit d’un système
d’assurances privées. Adapter notre système de sécurité sociale est
une nécessité, le démanteler un retour à l’Europe des années 30.
Nicolas Sarkozy souhaite doter les religions d’un véritable statut
Réalisable dans le contexte religieux simplifié du début du 20ème siècle, ce
projet ne l’est plus un siècle plus tard au temps de la multiplication des rites
et de l’individualisation des pratiques et des croyances. Le président de
l’UMP s’est tout simplement trompé de siècle.
Conclusion
137
Revenir sur la laïcité comme il le souhaite, c’est amener l’état à faire le tri
dans les philosophies, les croyances et les opinions ! En fait, il propose un
retour au régime bonapartiste du concordat de 1801 et des articles organiques
de 1802, une tentative d'appropriation de l'église par l'État, ou, à
tout le moins, un contrôle politique des églises de France.
Il se prétend porteur d’une ambition pour la France mais ne vise qu’à
satisfaire sa boulimie de pouvoir et sa volonté de puissance
Il se dit déterminé et se révèle pur opportuniste. Il se prétend franc et direct,
il est cynique et calculateur. Il prétend dénoncer les prudences tactiques,
il exhibe en fait son appétit démesuré du pouvoir. Il pourfend la langue de
bois mais en invente une forme nouvelle, le parler cru.
Voilà 5 ans que Nicolas Sarkozy trompe et abuse les Français.

Anonyme a dit…

Au secours, je prefere encore voir la gauche 5ans de plus dans l'opposition plutot qu'elle fasse nommer une dirigeante despotique néoconservatrice en son nom au pouvoir, ca n'est dans l'interet de personne, pas meme de la gauche et (s'en souviens t on encore) pas plus dans l'interet des français.
Il faut savoir reconnaitre quand on a misé sur le mauvais cheval. Reviens DSK !

Anonyme a dit…

Ségolène a-t-elle déjà perdu?

J'ose espérer.

Mais, voyant l'état des choses, je vais aller me propulser au bureau de vote le 6 mai, alors que je m'étais bien juré qu'on ne m'y reprendrai plus (45km aller-retour, merci!)

Quant à "anonyme" et son copié-collé de 50 pages, merci, pauvre type, de me donner une raison de plus pour voter Sarkozy.

Anonyme a dit…

Et bien moi qui ai voté pour Sarkozy au premier tour, à la lecture de ce texte effectivement un peu long, je viens de comprendre mon erreur.

Je ne suis pas un traitre à mes convictions, mais que je ne veux pas donner ma voix à un futur despote, donc cette fois, je m'abstient.

Entre deux nullités pareilles, je préfère le vide protestataire.

Anonyme a dit…

N'importe quoi, il est certain que la France est devenu un pays minable, et seul un homme à poigne peut redonner sa grandeur à la France.

Quelques années de dictature feraient le plus grand bien à ce pays de feignants, de gonzesses et de corrompus.

Anonyme a dit…

Ben voyons, pourquoi pas rétablir la Gestapo ?
On en a déja plein les bottes, de ces arnaques d'état que sont par exemple les amendes des radars, et l'URSSAF.

La police au lieu de traquer et racketter les simples citoyens honnètes devrait plutôt s'occuper des bandes mafieuses.

Mais seulement ça fait du chiffre dans les statistiques et les caisses de l'état.

Donc la méthode Sarkozy pour faire semblant de baisser les impots, en piquant le fric ailleurs, merci bien, j'ai déja donné.

Anonyme a dit…

L'abstention c'est prendre le risque qu'une femme prenne le pouvoir en France, et ça ce n'est pas possible.

C'est comme si chez moi, ma femme avait la parole, non mais je rève !

A part donner un peu de plaisir au hommes et pondre des gosses, les femmes devraient se contenter de ce qu'on leur laisse, et si elles sont pas contentes, qu'elles se barrent, ou portent le voile.

C'est pour ça que j'admire Sarkozy, car quand sa femme l'a emmerdé, il a su la remettre à sa place, et c'est comme ça qu'il saura conduire la France.

Anonyme a dit…

Je suis révoltée par de tels propos.
On se croirait au moyen age.
Bravo les amis de Sarkozy !

Parlez-nous plutot de la corruption des politiques et des enveloppes qu'ils se mettent dans les poches, par exemple avec les promoteurs immobiliers de Neuilly...

Anonyme a dit…

Retourne dans ton harem poufiasse !

Anonyme a dit…

Illustration d'une future dictature:

PARIS (AP) -- François Bayrou est venu perturber mercredi le duel Sarkozy-Royal en annonçant qu'il ne donnerait aucune consigne de vote pour le second tour de l'élection présidentielle et qu'il acceptait le débat proposé par la candidate socialiste.

Ségolène Royal a suggéré que ce débat ait lieu vendredi lors d'un forum de la presse quotidienne régionale.

Fort de ses 6,8 millions de voix et de ses 18,57%, François Bayrou a annoncé sa position pour le 6 mai lors d'une conférence de presse très attendue: «je ne donnerai pas de consigne de vote», a déclaré sans surprise l'arbitre du second tour, très courtisé depuis dimanche par les deux finalistes. Il a préféré laisser ses électeurs -et ses élus- «libres de leur choix» le 6 mai. Lui-même a refusé de dire pour qui il allait voter.

Celui qui a imposé une «force nouvelle» dans la vie politique française a annoncé la création d'un «parti démocrate», qui «présentera des candidats à toutes les élections à venir», et d'abord aux élections législatives des 10 et 17 juin.

S'il a renvoyé dos à dos Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal, qui vont tous les deux «aggraver les maux» de la France, selon lui, le candidat de l'UDF a réservé ses mots les plus durs au candidat de l'UMP.

François Bayrou a ainsi prédit que M. Sarkozy allait «concentrer les pouvoirs comme jamais ils ne l'ont été» de par «sa proximité avec les milieux d'affaires et les puissances médiatiques», et «son goût de l'intimidation et de la menace». Il a dénoncé «la manière de gouverner des Hauts-de-Seine», et les «pressions» dont les élus UDF sont l'objet depuis lundi de la part de l'UMP. «Il y a des ressemblances entre (Silvio) Berlusconi et Nicolas Sarkozy», a-t-il même lancé.

Quant à Ségolène Royal, si elle «parait mieux intentionnée en matière de démocratie», son programme, «perpétuant l'illusion que c'est à l'Etat de s'occuper de tout (...) va exactement en sens contraire des orientations nécessaires», a-t-il estimé.

M. Bayrou a toutefois laissé la porte ouverte à une prise de position d'ici le second tour «si des évolutions se produisent».

«Pour clarifier le choix» de ses électeurs, le président de l'UDF a accepté la proposition de débat «ouvert» et «public» que lui a lancée lundi soir Ségolène Royal.

La candidate socialiste a immmédiatement proposé que ce débat ait lieu vendredi à Paris dans le cadre d'un forum de la presse quotidienne régionale. Ségolène Royal, qui a impérativement besoin des électeurs de François Bayrou pour battre Nicolas Sarkozy, a souhaité que ce débat permette un «éclaircissement sur un certain nombre de propositions» de son pacte présidentiel.

Côté socialiste, on se réjouissait des propos très durs tenus par M. Bayrou contre Nicolas Sarkozy. «Il a dit un certain nombre de choses assez claires», a noté Mme Royal. François Hollande a remarqué la «sévérité» des mots employés par le président de l'UDF envers le candidat UMP.

A l'UMP, on se refusait à tout commentaire. Nicolas Sarkozy devait réagir dans la soirée sur TF1. Interrogé dans la matinée lors de la visite d'un chantier de construction de logements à Paris, le candidat de l'UMP a réaffirmé son refus des «combinaisons d'état-major».

Dans le même temps, M. Sarkozy, qui a déjà rallié 11 parlementaires centristes, poursuit son offensive visant à priver François Bayrou du gros de ses forces. Il précise dans «Le Monde» que «tout élu de l'UDF qui soutiendra sa candidature avant le 6 mai sera dans la majorité présidentielle et recevra l'investiture de cette majorité». L'UMP menace de représailles les députés sortants UDF qui ne rejoindraient pas le «pôle centriste» de la éventuelle majorité présidentielle de Nicolas Sarkozy.

Web Hosting a dit…

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